Cannes Classics: Z, un film de Costa-Gavras – Critique

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En cette fin d’années 60, plus que jamais, le Festival de Cannes montre qu’il n’est pas coupé de la réalité qui l’entoure. En 1968, il est interrompu, certains cinéastes estimant qu’ils se devaient d’être solidaires avec le mouvement social français. En 1969, le Prix du jury sera attribué, à l’unanimité, à Z, le troisième long métrage du cinéaste grec Costa-Gavras.

Synopsis : dans un pays indéterminé, un député pacifiste est assassiné. Les autorités militaires veulent faire croire à un accident.

Une fable politique
Z se déroule dans un pays indéterminé. Les personnages principaux n’ont pas de nom et sont uniquement désignés par leur fonction : Général, Colonel, Procureur, Substitut du procureur, Député. Et pourtant, cet anonymat ne parvient pas à masquer le véritable drame politique caché derrière le film.
Le générique nous donne déjà des indices. On y voit les noms des acteurs s’inscrire sur fond de décorations militaires et on y aperçoit des inscriptions en alphabet grec. Puis, à la fin du générique apparaît cette mention : « Toute ressemblance avec des événements réels, des personnes mortes ou vivantes n’est pas le fait du hasard. Elle est volontaire. »
Si, à cela, on ajoute que le cinéaste est d’origine grecque, on arrive facilement à l’idée que ce que Costa-Gavras a voulu montrer ici, c’est l’installation de la Dictature des Colonels en Grèce, deux ans plus tôt.

Mais, au-delà de ces événements, l’anonymat des personnages en fait des types et transforme le film en une sorte de fable politique. Les scénaristes Costa-Gavras et Jorge Semprun ont voulu montrer l’installation rampante de la dictature et les dangers qui menacent les démocraties, quels que soient les pays.

Un film ancré dans son époque
Le pays dans lequel se déroule le film est une démocratie, certes. On y trouve une justice indépendante, les journalistes y font leur métier dans une relative liberté. Mais cette démocratie est constamment sous la menace de ses opposants.
La scène d’ouverture est assez éloquente. On y suit une conférence sur le mildiou puis un officier prend la parole et compare la maladie de la vigne et le « mildiou social » qui secoue l’Europe, avec les « voyous à cheveux longs, les athées, les drogués au sexe indéterminé. »
Le film est, de ce fait, très ancré dans son époque. Les militaires visent directement les mouvements de contestations de la fin des années 60. Les références à l’actualité grecque, mais aussi à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy sont nombreuses.

La démocratie menacée
Dans un pays indéterminé au climat politique très tendu, un député (Yves Montand) pacifiste essaie de tenir une réunion politique sur le thème du désarmement. Après avoir prononcé son discours, le député sera agressé et grièvement blessé à la tête ; il mourra quelques temps plus tard. La thèse officielle est celle d’un accident de la circulation.
Le cinéaste montre ainsi les menaces subtiles, discrètes, qui rognent petit à petit les libertés individuelles et transforment un état de droit en une dictature. Il s’agit de petits actes, mais qui constituent quand même un danger. L’alliance entre l’armée, des groupuscules d’extrême-droite, la religion (« Dieu refuse d’éclairer les Rouges ») et certains hommes politiques aboutit à un danger contre la démocratie.
Il ne s’agit jamais d’actes anti-démocratiques flagrants et évidents, mais de petits phénomènes. Ainsi, notre député éprouve les plus grandes difficultés à trouver une salle pour faire sa réunion : les propriétaires se désistent ou refusent les uns après les autres. La police infiltre des manifestations, les « honnêtes citoyens » arrachent des affiches… Rien de franchement hors-la-loi. Costa-Gavras ne nous parle pas de pressions politiques, c’est aux spectateurs de croire ce qu’il veut.

Une enquête
Le film est clairement divisé en deux parties : l’attentat contre le député, et l’enquête du substitut.

Un substitut du procureur (Jean-Louis Trintignant, magnifiquement marmoréen derrière ses lunettes de soleil, droit comme la justice, sûr de son bon droit car il travaille uniquement dans le respect des lois) est nommé pour mener l’enquête.

Costa-Gavras a choisi de nous montrer cet accident et de nous faire voir qu’il s’agissait d’un attentat prémédité. Ainsi, pour nous, spectateurs, le doute n’est pas permis. La question n’est pas de savoir ce qui s’est passé, mais si l’enquêteur arrivera au terme logique de ses investigations, ou s’il en sera empêché.
Le jeu de Trintignant est remarquable : il apparaît tout timide, effacé, discret, ce qui a sûrement justifié son choix ; il a l’air, de prime abord, d’être parfaitement influençable. Mais l’enquête fera de lui un homme inflexible.
Et cette enquête, c’est la dernière chance de sauver la démocratie. C’est un modèle de ce que doit être la justice : une enquête menée sans a priori, sans préjugés, en se basant uniquement sur les faits, et soucieuse du mot juste (comme lorsque le mot « incident » est remplacé par « assassinat »).
Z est un film remarquable, sobre, profond, efficace. Première partie d’une trilogie sur les dictatures (avec L’Aveu et État de siège, film injustement oublié), il montre avec minutie comment une démocratie peut facilement sombrer si on n’y prend pas garde. C’est un appel à chacun d’entre nous pour défendre les droits constitutionnels, être le gardien de ce qui ne doit pas être perdu.

Ζ (Costa Gavras) – Trailer

Fiche technique- Z

Réalisateur : Costa-Gavras
Scénaristes : Coasta-Gavras, Jorge Semprun, d’après le roman de Vassilis Vassilikos.
Directeur de la photographie : Raoul Coutard
Montage : Françoise Bonnot
Producteurs : Jacques Perrin, Ahmed Rachedi, Éric Schlumberger, Philippe d’Argila
Société de distribution : Valoria Films
Avec : Yves Montand (le député), Irène Papas (la femme du député), Jean-Louis Trintignant (le substitut du procureur), François Périer (Procureur), Jacques Perrin (le journaliste), Pierre Dux (général de la police), Julien Guiomar (colonel de la police), Renato Salvatori (Yago), Marcel Bozzuffi (Vago), Charles Denner (Manuel), Bernard Fresson (Matt), Jean Bouise (Georges Pirou).
Date de sortie en France : 26 février 1969.
Durée : 127’