Avant son quatrième come-back au cinéma, retour sur Jason Bourne : une saga de cinéma, une autre de romans ; deux auteurs, l’un de cinéma, Tony Gilroy, et le romancier à l’origine de tout, Robert Ludlum ; un personnage et une question : qui est Jason Bourne ?
Ce mercredi 10 août, un agent secret vient occuper à nouveau nos salles obscures. Cette fois-ci, l’objectif n’est plus sa quête d’identité, mais un nouvel accroc avec les agences d’espionnages occidentales – notamment la C.I.A. – a lieu, comme le suggère les bandes annonces jusqu’ici. Son nom de code : Jason Bourne. Son nom réel : David Webb.
Mais avant d’être un action hero du cinéma avec la sortie du premier film The Bourne Identity en 2002, et alors avant d’être le héros de cette nouvelle forme d’actionners – filmés caméra à l’épaule et découpés follement au montage – mise en place par le maître britannique Paul Greengrass en 2005 avec The Bourne Supremacy puis The Bourne Ultimatum en 2007, l’agent secret fut d’abord un héros de roman. À noter que la forme apportée par l’ancien journaliste Greengrass tient de son style, déjà mis en place dans ses précédents films, par exemple Bloody Sunday sorti en salles en 2002.
Jason Bourne naît dans l’imagination du romancier Robert Ludlum (voir photographie ci à droite) dans un premier roman ayant le même titre que le premier film de la saga, soit The Bourne Identity publié en février 1980. Il écrira deux autres romans sur le même personnage : The Bourne Supremacy, sorti en 1987, puis The Bourne Ultimatum, publié en 1991. La saga se poursuivra avec Eric Van Lustbader à la plume qui écrira dix romans d’après le personnage créé par Ludlum, dont l’un des titres sera repris par le quatrième opus de la saga cinématographique, film spin-off, The Bourne Legacy, qui n’a de point commun avec le roman que le titre. Il faut aussi dire que Ludlum est l’un des pères du roman d’espionnage moderne avec John Le Carré, on lui doit en effet un grand nombre d’œuvres (et) best-sellers (hors saga Jason Bourne), par exemple The Osterman Weekend (1972) adapté au cinéma avec Sam Peckinpah à la réalisation en 1983 avec Rutger Hauer, John Hurt et Dennis Hopper, ou encore Le Pacte Holcroft (1978) adapté au cinéma par John Frankenheimer avec Michael Caine en 1985.
L’intérêt du travail d’adaptation fait par le scénariste Tony Gilroy (aussi scénariste et réalisateur de Michael Clayton et de The Bourne Legacy ; frère du scénariste/réalisateur Dan « Night Call » Gilroy ; voir photographie ci à gauche) est d’avoir pris en compte le fait que l’œuvre d’origine travaillait son héros dans le contexte propre à son époque. C’est-à-dire que Ludlum place Bourne dans le contexte de l’espionnage de la fin des années 70s et du début des années 80s, notamment occupé par Carlos, ou Ilich Ramirez Sanchez, terroriste mondialement recherché à l’époque, et même jusqu’en 1994, année de son arrestation musclée. L’agent secret fait partie d’une équipe clandestine de la C.I.A., Treadstone, chargée d’anéantir Carlos. Mais Bourne échoue lors d’une mission. Il se réveille amnésique sur un bateau voguant sur la méditerranée. Son équipage l’a repêché et aidé, et le déposera à Marseille. Une capsule cachée sous sa peau lui a donné des coordonnées de comptes bancaires placés à Zurich, il s’y rendra. Mais il est attaqué par des tueurs de Carlos, puis par ses paires, les agents du programme Treadstone dont il fait partie, et plus largement la C.I.A. qui veut contenir le grabuge provoqué par l’agent qu’ils pensent être devenu tueur à gages. Gilroy fait ainsi comme Ludlum à son époque et place Bourne dans le contexte de l’écriture, soit ici au début des années 2000. Ainsi, exit Carlos. Bourne échoue dans sa mission qui consiste à abattre un dictateur africain. Il est notamment troublé par la présence des enfants de l’homme. Il est abattu et tombe en pleine méditerranée. Comme dans le roman, il ira jusqu’à Zurich, mais il est traqué par les autorités et plus largement la section / le programme Treadstone et la C.I.A. qui veulent supprimer tout lien possible entre eux et la mission d’assassinat du dictateur.
La Mémoire dans la peau : Bande-annonce
Ainsi le livre place Bourne dans un double combat : celui contre Carlos, et l’autre combat contre la C.I.A./Treadstone. Il doit aussi retrouver sa mémoire et se laver des soupçons de la C.I.A. qui le pensent aussi responsable de l’assassinat de nombreux membres de la section Treadstone, acte commis par Carlos. Il y arrivera, même si Carlos réussit à s’échapper. Il pourra ainsi vivre en paix. Il est aidé par une femme dans le roman comme dans le film, seul le nom diffère. D’ailleurs, dans le film, l’agent secret livre aussi un double combat : celui contre la C.I.A., et celui pour retrouver sa mémoire et son identité, placé au centre de l’intrigue du film et de la trilogie. À la fin du long métrage, Treadstone est effacé par son créateur, Ward Abbott, qui fait abattre le leader de la section par un énième tueur qui était chargé du cas Bourne. L’ancien agent secret retrouve la fille au final du film et il se croit débarrassé de ses problèmes, ce qui était impossible. Dans le livre, même final, excepté le fait que Bourne n’a plus qu’à craindre seulement de Carlos.
Treadstone, qu’est-ce que c’est ? C’est à la fois une branche secrète de la C.I.A. et un programme. Quel type de programme est-ce ? Un programme fictif de reconditionnement psychologique et physique, inspiré par un véritable programme nommé MK Ultra (et non Monarch, légende qui attise les esprits conspirationnistes). L’idée de ce dernier, mise en place par la C.I.A. dans les années 50 et en fonction jusque dans les années 70, visait à créer des agents plus performants. Le travail de reconditionnement passe par l’utilisation de psychotropes et par un contrôle psychologique. Bourne est ainsi le résultat d’un programme du même type. Mais le conditionnement de l’agent secret diffère entre le film et l’œuvre originale.
La Vengeance dans la peau : Extrait (le « commencement » de Jason Bourne)
En effet, dans les films, on découvre que Bourne a été reconditionné psychologiquement. Mais peut-on dire que les modifications aient été physiques (hormis le placement de la capsule sous la peau) ? Le héros s’appelle à l’origine David Webb, il est militaire américain volontaire. Bourne devient son titre d’agent, à l’image de Darth Vader pour Anakin Skywalker dans Star Wars. Il était donc déjà formé physiquement, mais ses réflexes ont été poussés, et il a reçu des formations de combat rapproché, poussives. The Bourne Legacy montrait un autre programme notamment fondé sur une médication améliorant les performances, mais jamais Bourne n’en a consommé dans la trilogie. Toutefois, le roman de Ludlum est allé beaucoup plus loin, puisqu’il présente le héros comme un être physiquement modifié pour passer inaperçu et non pas juste conditionné physiquement pour combattre. Lorsque Bourne est sur le bateau des pêcheurs, le médecin Washburn lui explique* : « Vous êtes le prototype de l’Anglo-Saxon blanc qu’on voit tous les jours sur les meilleurs terrains de cricket et sur les plus beaux courts de tennis. Ou bien au bar du Mirabel’s. Ces visages deviennent Presque impossibles à distinguer les uns des autres, vous ne trouvez pas ? (…) Pour changer votre aspect physique. Je dirai de façon très professionnelle. »
* LUDLUM, Robert, La Mémoire dans la Peau (The Bourne Identity), Collection Le Livre de Poche, Éditions Robert Laffont, Date de publication originale : Février 1980, Édition Octobre 2007, p.24 & 25.
Le livre va ainsi bien plus loin dans le travail de création de l’agent secret Jason Bourne, qui veut se souvenir de ce qu’il était, et de ce qu’il a été avant les intrigues d’espionnage, soit David Webb, dans un corps qui n’est plus tout à fait le sien. Toutefois l’intérêt du Bourne de Matt Damon est qu’il a déjà un visage banal et passe-partout. Aussi il ne contrôle pas tout à fait son corps dont les réflexes de combat fonctionnent au quart de tour dans La Mémoire dans la Peau. Le héros est donc aussi – mais d’une manière différente – dépossédé de son corps. Le titre français La Mémoire dans la Peau présente ainsi un intérêt : le héros doit se souvenir à travers son corps et de son propre corps. Le Bourne réécrit par Tony Gilroy est moins proche de la créature de Frankenstein que l’agent secret fabriqué de toute pièce ou presque de Ludlum. Il est une créature majoritairement fabriquée psychologiquement.
Cette année, Bourne revient, et l’on se demande bien ce qu’il va pouvoir apporter de plus à la saga. L’un des slogans promotionnels du film tient presque de l’absurdité : « Il se souvient de tout, mais il ne sait pas tout. » Un prétexte que pourrait s’offrir et qu’a pu s’offrir nombre de films sequels (les suites), préquels (films qui se passent chronologiquement avant le film source), et les spin-offs. En effet, ce prétexte digne du « Ils reviennent » – en parlant des méchants d’un premier film – ou encore de « Vous n’avez pas encore tout vu » qu’on trouve dans bien des trailers de films fantastiques et super-héroïques tient d’une logique de marketing usée et devenue ridicule. Il a été dit dans plusieurs interviews que ce nouveau volet relancerait peut-être une deuxième trilogie. Si la première était centrée sur sa quête d’identité (et la destruction des programmes qui l’ont vu naître, liée au désir de vengeance provoqué par la mort de Marie), qu’en sera-t-il du nouvel arc ?
Enfin il faut rappeler que le Spin-off The Bourne Legacy ne donnerait apparemment pas de suite malgré les possibilités d’une rencontre Aaron Cross (héros du film interprété par Jeremy Renner – voir image ci à droite) et Jason Bourne. Telle était d’ailleurs la volonté du scénariste de la saga Tony Gilroy et réalisateur de ce volet. Ce volet avait lieu pendant le troisième film de la trilogie et nous présentait les actions d’agents obscurs de la C.I.A. en crise (à cause de Bourne) œuvrant pour faire disparaître le moindre programme secret en fonction. Ainsi le spectateur ne savait pas tout et apprenait d’autres sombres secrets et découvrait de nouveaux agents torturés dans une ambiance de film d’espionnage beaucoup moins actionnée que les autres films. Jason Bourne va donc devoir nous montrer quelque chose d’autre s’il cherche à nous présenter de nouveaux éléments inconnus pour Bourne comme pour le spectateur. Notons tout de même que Jason Bourne, qui d’après le réalisateur-scénariste Paul Greengrass, serait un retour aux sources, d’où le titre (choisi par le studio), n’a pas été écrit par Tony Gilroy. Que peut-on attendre de ce volet ? Un remake/reboot/best-of des précédents volets ? Soit un Star Wars The Force Awakens ou un Jurassic World de la trilogie ?
Jason Bourne : Bande-annonce
Il faut aussi noter qu’une première adaptation de The Bourne Identity s’est faite en série télévisée créée en 1988 avec Richard Chamberlain dans le rôle-titre, Jaclyn Smith, et Anthony Quayle entre autres. La série reprenait le contexte du roman avec Carlos aux trousses de Bourne. Celle-ci est à présent entièrement disponible sur Youtube.
The Bourne Identity : Bande-annonce de la série
https://www.youtube.com/watch?v=QfogOXHTG44