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Music : entre chant mythologique et poème mutique

Œdipe au pays d’Aliocha, entre formalisme exaspérant et recherche intransigeante, Music, le nouveau film d’Angela Schanelec perd et fascine.

Disons le tout de suite Angela Schanelec n’en fait qu’à sa tête tant avec son scénario qu’avec sa mise en scène. C’est sans doute un talent de savoir n’en n’avoir cure et de se poser au-delà, dans une sorte de no woman’s land inaccessible et libre. Si ce n’est un talent, c’est culotté. La cinéaste allemande ayant reçu l’Ours d’argent en 2019 avec J’étais à la maison, mais… affirme avec ce second opus un geste radical, abscons ou affranchi de tous repères de sens.

Disons le aussitôt le jury du festival de Berlin ne s’est donc pas embarrassé de précautions ni d’une quelconque cohérence pour attribuer le prix du scénario cette année au film d’Angela Schanelec. Car si Music mérite un prix c’est plutôt celui de l’absence de scénario ou prix à inventer du principe de l’association libre en guise de scénario.

Nous y allions curieux, épris de mythes et de mystères. Music nous a -il est vrai- déconcerté par son manque absolu de limpidité qu’une esthétique formaliste un peu forcée et pas nécessairement somptueuse n’équilibre pas. Vous l’avez saisi : Music ne se laisse pas cerner ni réduire.

De quoi s’agit-il alors?

Du mythe d’Oedipe re-inventé dans des récits épars, disloqués et juxtaposés, délibérément incomplets et peu lisibles, récits se situant entre la Grèce et l’Allemagne.

Mais là sans doute n’est pas ce qui anime la réalisatrice. Reprenons un peu depuis le début. Le prélude du film entre montagne et mer offre une expérience de silence. Des actions ont lieu, des femmes des hommes s’affairent dans le brouillard, un homme aux pieds entaillés, un carrefour, un homme assassiné. Cela rappelle cette phrase du dramaturge anglais Edward Bond dans une lettre à ses acteurs : ce qui se passe sur une scène de théâtre ce sont des gens profondément perturbés qui font des choses inattendues.

De fait, ce qui semble importer à Angela Schanelec sont davantage le timbre d’une scène, son chant, sa géométrie surprenante, et l’atmosphère sans continuité narrative qu’elle installe par ses cadres atypiques non sans parenté avec le cinéaste grec Yorgos Lanthimos (Canine, The Lobster…)

Et surtout dans la famille Schneider, la réalisatrice a élu non pas Niels, non pas Vassili le héros des « Amandiers » mais Aliocha, musicien de son état à qui elle va laisser toute latitude( la dernière partie du film étant une sorte de concert) pour être cet Œdipe moderne réconciliant ses meurtrissures archaïques par le chant.

Dès lors que le film cesse son mutisme et entre dans la musique de son titre éponyme, on saisit un peu mieux les intensités en présence et préoccupations de la cinéaste . Dans la prison où il est enfermé, Aliocha-Oedipe prénommé Jon tombe amoureux d’une surveillante Iro (Agathe Bonitzer). Là encore faisant fi des ellipses et des raccords temporels, Angela Schanelec juxtapose l’éclosion de l’histoire d’amour des deux personnages principaux et leur installation dans une vie de couple.

Qu’importe l’histoire, qu’importe les aberrations temporelles, nous sommes au pays des associations libres, des images qui viennent à la tête sans censure et c’est cela qui est voulu et réalisé. L’inconscient au travail de la caméra.

Il reste la beauté gémellaire des deux profils d’Agathe Bonitzer et d’Aliocha Schneider venant interpeller l’écran, il reste une chromatique particulière se fondant avec l’harmonieuse et sévère candeur du corps d’Agathe Bonitzer se baignant dans les flots d’une crique grecque.

La réalisatrice fait beaucoup confiance à l’intérieur de ses plans à la durée (elle a tort car ils ne sont pas suffisamment sidérants pour happer). Elle fait aussi beaucoup confiance à des personnages secondaires en position de stupéfaction comme si cette attitude stupéfaite qui nous regarde pouvait avoir le don de nous stupéfier aussi. C’est une belle idée de théâtre transposée ici au cinéma. Music égare par la durée de ses plans incertains et innove par son affranchissement des normes proposant au spectateur une nouvelle manière de regarder un film les scomme dans un rêve !

Bande-annonce : Music

Fiche Technique : Music

Réalisatrice : Angela Schanelec
Avec Aliocha Schneider, Agathe Bonitzer, Argyris Xafis, Marisha Triantafyllidou, Frida Tarana, Ninel Skrzypczyk, Wolfgang Michael…
Berlinale 2023 : Ours d’argent – Meilleur scénario
Distributeur : Shellac
Sortie le 8 mars 2023.

Synopsis : Trouvé à sa naissance par une nuit de tempête dans les montagnes grecques, Jon est recueilli et adopté, sans avoir connu ni son père, ni sa mère. Adulte, il rencontre Iro, surveillante dans la prison où il est incarcéré à la suite d’un drame. Elle recherche sa présence, prend soin de lui tandis que la vue de Jon commence à décliner… Désormais, à chaque perte qu’il subira, le jeune homme gagnera quelque chose en contrepartie. Ainsi il deviendra aveugle, mais vivra sa vie plus que jamais.
Librement inspiré du mythe d’Œdipe.

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