Grand Prix au dernier Festival de Cannes (avec Un héros d’Asghar Farhadi), Compartiment n° 6 est le deuxième film du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen, après Olli Mäki en 2016. Adapté du roman de Rosa Liksom, le film est une plongée délicate dans la Russie et dans l’altérité humaine.
Synopsis : Laura (Seidi Haarla), Finlandaise, embarque à bord du train Moscou-Mourmansk, à la recherche de pétroglyphes. Elle y rencontre Ljoha (Yuri Borisov), un Russe qui partage sa voiture-couchette. En dépit de leurs différences, les deux êtres se rapprochent.
Histoire d’un regard
Le cinéma de Juho Kuosmanen est un cinéma des petites choses. Un cinéma qui va à l’essentiel, sans fioritures. Un cinéma qui ne cherche pas à créer l’extraordinaire. A priori, rien de spectaculaire donc. Pourtant, la beauté est là, dans cet épurement, dans ce presque rien. Comme dans un haïku, tout naît d’une sensation. Ainsi, les craintes et les joies de Laura se forment à travers son regard étranger. Ses peurs et ses instants de bonheur prennent sens de par son regard émerveillé sur tout ce qui l’entoure. En effet, la jeune femme scrute la Russie ainsi que ses habitants. Elle cherche à sonder avec émotion les images qui s’offrent à elle, aussi banales qu’elles puissent paraître.
De fait, Laura est comme une enfant. Son regard est admiratif, captivé, fasciné. Son regard qui découvre ce pays pour la première fois. Et, comme pour savourer chaque instant de ce périple, pour l’inscrire dans la pérennité, la jeune femme tente d’éterniser ses impressions en les filmant. La caméra de Laura se transforme en une boîte à souvenirs, suspendus dans le temps. Un accès direct entre son regard et le monde et entre celui-ci et l’intimité de ses sensations. Ces images, qui seront volées par un passager du train, rappellent que, parfois, l’immatérialité des sens l’emporte. Le film semble dire qu’il faut vivre au présent et observer le monde avec un regard toujours renouvelé.
La prose de Moscou-Mourmansk et de la petite Laura de Finlande
Dans la veine des grands récits ferroviaires du cinéma et de la littérature, Compartiment n° 6 est une ode délicate au monde du voyage. L’œuvre sonne comme un doux hommage à la simplicité ordinaire du train qui suscite pourtant des rencontres extraordinaires. Extraordinaires justement parce que différentes : des rencontres qui s’inscrivent hors du temps, hors de la banalité du quotidien. Finalement, le voyage de Moscou à Mourmansk est tel un parcours initiatique spirituel. Une parenthèse décisive dans la vie de Laura. Mais une parenthèse avant tout puisque le voyage prendra fin. Il y aura toujours un avant et un après cette longue traversée.
C’est avec beaucoup de poésie que se dévoile donc la Russie, terre sacrée et quasi allégorique. Dans Compartiment n° 6, la Russie est tout autant abstraite que concrète. Si elle symbolise la recherche archéologique réelle de Laura, elle incarne avec beaucoup plus de force sa quête personnelle de sens à plus large échelle. Finalement, les pétroglyphes deviennent rapidement un prétexte pour la jeune femme : elle se cherche d’abord, avant de chercher les traces des autres. Contrairement à ce qu’elle dira à son compagnon de route, ce n’est pas le passé de l’humanité qui fait ce qu’elle est aujourd’hui mais bien ses rencontres présentes, à l’instar de sa rencontre avec Ljoha.
Plus loin que la nuit et le jour
D’emblée, la rencontre avec Ljoha se place sous le prisme de la peur. Dès leur premier échange, le jeune homme se montre entreprenant et Laura prend peur. Comme par un coup de dés hasardeux et providentiel, la jeune Finlandaise est contrainte de rester dans le compartiment, faute de place à bord du train. Petit à petit, la gêne du départ se transforme en un étrange sentiment : Laura est intriguée par son colocataire éphémère. Elle finit par voir plus loin que sa vulgarité initiale. Au fil de l’avancée du train et des arrêts de celui-ci, les deux jeunes gens se dévoilent l’un à l’autre. Par l’énigme qu’incarne cet inconnu et que Laura tente de sonder, c’est elle-même qu’elle souhaite comprendre.
Compartiment n° 6 devient presque une métaphore. Une façon imagée de parler des rapports humains. Dans notre époque actuelle où les échanges avec autrui semblent de plus en plus complexes, marqués par une profonde solitude, Juho Kuosmanen filme des êtres, simplement. Des visages et des corps beaux puisque naturels. La force du film réside dans cette candeur. Loin d’un glamour superflu, Compartiment n° 6 est une œuvre libre qui invite le spectateur à prendre son temps, à découvrir l’autre. Parfois, c’est dans la fugacité que tout un chacun apprend le plus. Il suffit de voir au-delà des différences et des enveloppes qui couvrent nos êtres les plus profonds.
Bande-annonce – Compartiment n° 6
Fiche technique – Compartiment n° 6
Réalisation : Juho Kuosmanen
Scénario : Andris Feldmanis, Juho Kuosmanen et Livia Ulman, d’après le roman de Rosa Liksom
Interprétation : Seida Haarla (Laura), Yuriy Borisov (Ljoha)
Durée : 1h46
Genre : Drame
Date de sortie : 03 novembre 2021
Pays : Finlande, Allemagne, Estonie, Russie