Carmina !, un film de Paco Léon : Critique

Synopsis : Dans son petit appartement sévillan, Carmina doit faire le deuil de son mari Antonio qui vient de mourir en plein milieu du salon. Elle fait le choix de rester tout le week-end à veiller sur le cadavre avant de le déclarer aux autorités, et ce afin de s’assurer de toucher ses indemnités de fin de mois. Bien qu’elle ait entrainé sa fille Maria dans cette petite entreprise de divulgation, le secret va être difficile à garder.

Paco Léon signe une comédie un peu décousue mais dresse surtout un portrait de femme fracassant.

Ne vous en faites pas si son nom ne vous dit rien, c’est uniquement parce que la sitcom qui a fait connaitre Paco Léon en Espagne, Aída, n’a jamais été diffusée en France. Son premier film, Carmina o revienta, n’a d’ailleurs pas non plus eu droit à une distribution dans l’Hexagone, alors qu’il avait, en 2012, créé en certain tumulte dans le petit monde local des professionnels de la distribution audiovisuelle en étant le premier film hispanique à y sortir à la fois en salles, en DVD et en VOD. Deux ans plus tard, Léon signe une suite à son film qui, elle, sera en revanche exploitée dans quelques salles de cinéma de l’Hexagone. Plus de deux ans après sa sortie en Espagne soit, mais mieux vaut tard que jamais. Mais est-ce que cette suite –dont le titre français se limite d’ailleurs au nom de son héroïne, anaphorique dans les titres originaux, laissant supposer qu’un éventuel troisième opus s’appellera paradoxalement chez nous Carmen 2– peut se voir sans avoir préalablement vu le premier film ? Oui, sans aucun doute.

Il est même fondamentalement moins intéressant de connaitre le background des personnages principaux que l’identité de leurs interprètes. Les deux actrices principales sont en effet pas moins que la mère et la sœur du réalisateur. Autant dire que le tournage s’est fait en famille mais surtout que le rôle-titre, et très probablement certaines situations, sont directement inspirés de souvenirs très personnels. Et les deux femmes font preuve d’une telle liberté de jeu que l’on a, en particulier dans le premier quart d’heure, le sentiment qu’elles sont en plein exercice d’improvisation… et s’en sortent fabuleusement bien. Le personnage de Carmina est clairement une figure féminine très forte, au bagout irrésistible, représentation tout à la fois des rapports de force hommes/femmes post-féministes et d’une classe moyenne prête à tout pour joindre les deux bouts. C’est cette sincérité dans la peinture d’une galerie de personnages aussi attachants que détestables qui rend cette comédie si piquante. Car le scénario ne se contente pas d’observer Carmina parler à son défunt mari, elle donne une place importante aux personnages secondaires.

Même si cela a déjà été dit de quasiment tous les jeunes réalisateurs espagnols de ces vingt dernières années, il est impossible de ne pas rapprocher le film de Léon du cinéma d’Almodovar, et en particulier de son premier long-métrage Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier avec lequel il partage son goût pour les querelles de voisinage et les personnages hauts en couleurs. On remarquera surtout Yolanda Ramos, dans le rôle de l’amie et confidente de Carmina. Les scènes de dialogues entre ces deux grandes gueules sont ainsi tout simplement exquises, probablement les meilleures du long-métrage, malgré leur durée parfois un peu étirée. Cependant, la construction explosée de Carmina apparait comme son défaut majeur. En plus des nombreuses saynètes très drôles tournées en intérieur, où défilent de nombreux voisins invasifs et autres invités de fortune dans cet appartement où Carmina essaye tant bien que mal de garder son lourd secret, le film comporte quelques scènes en extérieur, certes amusantes mais qui brisent la dynamique. Autant l’enterrement de fin était inévitable, et est même le moment où la mise en scène trouve toute sa grâce par le biais d’une bande son habilement décalée, autant toute la partie où Carmina fait appel à son fils pour déloger des squatteurs du salon de coiffure de Maria vient complétement parasiter le mécanisme mis en place. Peut-être est-ce là le sentiment d’un spectateur français habitué des comédies de boulevard, et donc par nature en huis-clos, mais ici la structure éclatée et la volonté d’aller tourner à ciel ouvert nuisent au principal ressort comique et amoindrissent ce sentiment d’émancipation qui rend la conclusion si agréablement troublante.

Bien que très inégale, Carmina est une nouvelle bonne surprise venue de nos chers voisins d’outre-Pyrénées. Portée par une actrice dont on regrettera de ne découvrir l’immense talent qu’à 60 ans, cette pure  comédie dramatique noire profite également de dialogues brillamment écrits, tour à tour cyniques et graveleux.

Carmina ! : Bande-annonce

Carmina ! : Fiche technique

Titre original : Carmina y amén
Réalisation : Paco León
Scénario : Paco León
Interprétation : Carmina Barrios, María León, Yolanda Ramos, Paco Casaus…
Photographie : Juan González
Montage : Ana Álvarez Ossorio
Son : Diana Sagrista
Direction artistique : Antonio Estrada
Production : Álvaro Augustín, Ghislain Barrois, Paco León
Société de production : Andy Joke
Distributeur : Bodega Films
Festivals et récompenses : Biznagas de Plata pour le meilleur scénario et la meilleure actrice secondaire pour Yolanda Ramos au festival de Málaga
Genre : Comédie dramatique
Durée : 94 minutes
Date de sortie : 27 juillet 2016

Espagne – 2014

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