Cinquième album de la série « Undertaker », par Ralph Meyer, Xavier Dorison et Caroline Delabie, L’Indien blanc constitue la première partie d’un nouveau cycle centré sur la confrontation entre blancs et indiens.
Une série toujours très orientée western, puisque nous sommes en Arizona avec ses paysages de gorges et de pitons aux teintes caractéristiques. Le personnage central, Jonas Crow (dit Undertaker) reste un individualiste revenu de tout (la mort ne lui fait pas peur). Il a espéré se trouver une compagne, mais il se contente de son vautour (pas l’idéal pour improviser une valse), oiseau qui jouera encore un rôle déterminant dans cet épisode. Toujours croque-mort, Crow met en terre les victimes d’une attaque sauvage (introduction particulièrement violente). Pour le remercier, on lui propose de fêter Noël dans le relais tout proche. Un peu de compagnie, il n’a rien contre, mais les signes mensongers d’une civilisation, très peu pour lui. Survient alors Sid Beauchamp, que Jonas considère comme son frère. Sid a un peu de bedaine, mais il est élégamment vêtu et il se comporte avec assurance. Son avenir est sur le point d’être assuré. La femme la plus riche de Tucson serait d’accord pour l’épouser. Elle y met néanmoins une condition : que Sid lui ramène la dépouille de son fils Caleb dont elle a appris la mort récente. Sid explique à Jonas que, capturé par des Apaches qui l’ont malmené, Caleb a été contraint d’adopter leur mode de vie. Devenu L’Indien blanc, Caleb est enterré dans un cimetière apache, en plein territoire interdit. Sid réclame l’appui de Jonas pour récupérer le corps et le rapatrier à Tucson.
Salvage et Vehos
L’histoire de L’Indien blanc évoque La prisonnière du désert (John Ford – 1956), ce qui montre que les auteurs connaissent leurs classiques. Mais ils ne se contentent pas de revisiter le genre western, ils y apportent leur patte. Pour le lecteur, cela vaut quelques détails sur le mode de vie des Apaches qui montrent que la série marche sur les traces des meilleures du genre, notamment Blueberry. Évidente (dessin, décors), la filiation saute aux yeux pour la façon d’enchaîner les rebondissements et surtout pour les dialogues abondants, parfois trop. Ainsi, lorsqu’une nuit, Crow réussit à subtiliser le pistolet de celui qui veille, Salvaje (qui est Salvaje ??) l’exhorte (« Tu es mort, Vehos ») au lieu de tirer sa flèche en première intention (Vehos est le nom attribué à Jonas par les Apaches). Ceci dit, Crow reste lui aussi un bavard impénitent qui combat avec des citations à consonance biblique (justifiant son prénom), mais qui sont évidemment de son cru.
Le style Undertaker
Toujours séduisant, le dessin de Ralph Meyer (Caroline Delabie contribue aux couleurs) propose de magnifiques paysages, parfois stylisés comme le défilé des planches 15 à 18 ou magnifiés par la neige ainsi que des plans de toute beauté sur une rivière encaissée, le cimetière apache et un camp, etc. On remarque une discrète référence au style d’Hermann (sa meilleure période, désormais révolue) qui se plaisait à faire sentir une atmosphère avec de petites volutes brumeuses caractéristiques. Le tout n’empêche absolument pas de faire sentir un style personnel. Les personnages sont bien caractérisés (visages, silhouettes), les mouvements très naturels, les cadrages de qualité avec un gros plan de temps en temps pour mettre en évidence un détail. L’album propose quelques moments de respiration avec des vignettes permettant des plans larges (mais aucune vignette pleine planche) et un format qui permet aisément 4 bandes par planche pour faire avancer l’intrigue, avec une organisation des planches (grande variété de taille et forme des vignettes, de hauteur de bande) qui dénote une belle maîtrise de la narration. On sent une belle complémentarité entre Ralph Meyer et Xavier Dorison, le scénariste.
L’univers des Apaches
Le scénario réserve pas mal de surprises et explore avec réussite les rapports entre les blancs (forts de leur civilisation qu’on n’arrête pas) et les Indiens. Aucun cadeau entre les deux partis. On peut même dire que l’épisode s’attache à montrer l’implacable cruauté qui peut animer les uns et les autres. L’absence de principes n’est pas une exclusivité masculine (voir la femme que Sid souhaite épouser). L’album montre des Apaches prêts à défendre leur territoire et leurs traditions ancestrales avec détermination. On peut même dire qu’en explicitant certains comportements indiens, l’album s’attache à montrer leur civilisation comme supérieure d’un point de vue spirituel. Par contre, bien évidemment, les Blancs ont un avantage technique indéniable (armement, moyens de locomotion et de communication). Mais les Indiens évoluent sur leur terrain. On peut donc s’attendre à une suite (l’album n°6 de la série s’intitulera « Salvaje ») qui fera encore monter la tension. Salvage est un personnage étonnant au potentiel très prometteur, nettement plus intéressant que Sid par exemple, dont les visées matérialistes apparaissent sans ambigüité avec son absence d’état d’âme. A noter que dans le présent album, plusieurs références sont faites aux épisodes précédents. Petit regret, celui-ci n’apporte pas grand-chose au personnage Undertaker lui-même. En fin d’album, on trouve (en bonus) six dessins de travail.
A quand la suite ?
La série explore donc l’univers très balisé du western. Elle y apporte un ton original, avec des personnages à l’absence de scrupules et une violence (pas seulement physique) qui ne fait pas honneur au genre humain. Reste à voir ce que la postérité en fera. En ce qui concerne ce troisième cycle, on en saura davantage avec le prochain album.
Undertaker 5 : L’Indien blanc, Meyer, Dorison & Delabie
Dargaud, octobre 2019, 64 pages