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« Phénix, l’Oiseau de feu » en édition prestige chez Delcourt

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

On ne présente plus Osamu Tezuka, le père du manga moderne, régulièrement mis à l’honneur par les éditions Delcourt et leur collection « Tonkam ». Cette fois, ils accueillent une publication de prestige en présentant dans un format raffiné et volumineux le premier volume de l’extraordinaire Phénix, l’Oiseau de feu.

Comme cela est abondamment rappelé dans ce volume, Phénix, l’Oiseau de feu apparaît dans un contexte où les mangakas cherchent à s’adresser à un public plus exigeant et mature à travers le gegika. Pièce majeure dans l’œuvre d’Osamu Tezuka, elle se caractérise par une narration déstructurée, une densité remarquable et un renouvellement graphique à la marge (reliefs, textures, mouvements, cadrages…), qui ne trahit cependant pas les traits habituels et ronds auxquels s’était jusque-là livré l’artiste japonais. Fragilité environnementale, réflexions métaphysiques ou ontologiques, soif de pouvoir ou de jeunesse, développement des machines et des intelligences artificielles, les enjeux foisonnent dans un récit au long cours séparé par un schisme cardinal (à partir des Temps futurs), séparant l’histoire en deux blocs bien distincts, ici augmentés en appendice d’un recueil de textes complémentaires et analytiques pour le moins intéressants.

Plus sombre, doté d’un coup de crayon moins disneyisé – rappelons l’attachement de l’artiste japonais à Bambi –, loin de l’optimisme affiché par un Astro Boy, Phénix, l’Oiseau de feu peut s’appréhender comme une succession d’histoires conçues sous forme de nodules autarciques, seulement liés par l’apparition répétée de quelques personnages-clés et surtout de ce fameux phénix qui donne son titre au manga. Il n’est guère étonnant de voir une telle ampleur et une pareille maturité dans le récit d’Osamu Tezuka : le mangaka a longtemps mûri ce projet, dont il a accouché tardivement, à un moment où sa discipline s’ouvrait aux grands bouleversements sociopolitiques mondiaux et se tapissait par conséquent d’une noirceur quelque peu inattendue. S’il frappe les esprits, ce n’est pas seulement par la portée des thématiques brassées, mais aussi par une narration maîtrisée de main de maître, capable de recracher tous les travers de l’humanité à la faveur d’un argument simple : un oiseau légendaire apte à conférer aux hommes une immortalité qu’ils désirent ardemment.

Dans Phénix, l’Oiseau de feu, une reine gouverne selon des prédictions divines et aspire à la jeunesse éternelle. Irascible, elle n’hésite pas à soumettre autrui à des ordalies et des épreuves inhumaines. Les peuples se font la guerre gratuitement, s’envoient des espions, se soumettent entièrement au bon vouloir de leurs chefs. Ainsi, ne lit-on pas la chose suivante ? « Nous ne sommes pas là pour discuter les ordres. Nous sommes des soldats. Notre rôle est de nous battre. » Un peu d’herbe peut redonner en revanche espoir à l’humanité, même au fond d’une cavité, tandis que des individus synthétiques sont engendrés pour lutter contre la solitude, que des espèces sont ostracisées et pourchassées (les Moopy) ou que le cycle de vie fait l’objet de commentaires avisés. En clerc, Osamu Tezuka fait se mêler les tragédies antiques, les dystopies futuristes et les grandes régressions. La science sans conscience, les hommes sous les ordres de cerveaux électroniques, des villes souterraines anesthésiées par les futilités : tout y passe, dans un maelstrom d’arcs narratifs à la puissance insoupçonnée. C’est peut-être ça qui définit le mieux Phénix, l’Oiseau de feu : la variété et la puissance des micro-récits (dont certains s’enjambent) qui le composent.

Phénix, l’Oiseau de feu, Osamu Tezuka
Delcourt/Tonkam, août 2022, 640 pages

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