Meurtre télécommandé… mais par qui ?

Qui dit meurtre dit enquête. Mais avec un dessinateur comme Paul Kirchner (qui travaille sur un scénario de Janwillem van de Wetering), il faut s’attendre à quelque chose d’un peu spécial.

Le prologue nous présente le meurtre annoncé par le titre. Alors qu’il pêche dans une barque au milieu d’un lac (dans l’état du Maine), le promoteur immobilier Jones est attaqué par un avion miniature télécommandé. Après quelques passages, l’avion finit par atteindre sa cible en pleine tête ! Devenu propriétaire de terrains sur la côte, un endroit paisible où la nature est encore reine, Jones s’apprêtait à y implanter un complexe industriel propre ( ! ) à dénaturer complètement le coin. Or, parmi ses voisins, la suite nous présente quatre personnes (chacune faisant l’objet d’une planche), qui apprécient le calme, loin de l’agitation des grandes villes. Le shérif du comté commence à peine les constatations d’usage quand il apprend qu’un inspecteur de la police d’état, Jim Brady, arrive sur place pour mener l’enquête. Nous suivons Jim dès ses premiers pas sur place. On note qu’il est amené à côtoyer deux des principaux suspects, puisque c’est chez le vieux Kane qu’il achète une voiture et chez la belle Valérie qu’il sera hébergé. Bien entendu, ces contacts sont pour lui l’occasion de poser quelques questions pour entamer son enquête. Du genre misanthrope, Kane vit seul, entouré de souvenirs de guerre dans une ferme où il s’occupe de ses animaux et de ses engins. Il n’aimait pas Jones et ne regrette pas sa disparition. Valérie Courtin est une femme encore belle, ancienne artiste (Kirchner affirme qu’il a pris l’actrice Maud Adams comme modèle de ce personnage), qui vit de ses rentes tout en profitant des plaisirs que la vie lui offre. Elle affirme n’avoir rien entendu ou observé au moment du meurtre. Joe est un quadragénaire paraplégique entouré de jolies filles. Il a toujours aimé la vitesse, jusqu’à provoquer le diable. Ce dernier l’a rattrapé en provoquant l’accident (bête) qui lui vaut de rester dans un fauteuil roulant, ce qui ne l’empêche pas de continuer à circuler et vivre retiré dans son univers, entouré de ses amies aux allures de pin-up. Quant à Steve Goodrich, c’est un acteur ayant fait fortune grâce à quelques rôles de premier plan. Il s’est retiré en pleine gloire et vit dans une sorte de manoir où il s’amuse à prendre la pose comme s’il jouait encore, mais pour son seul majordome et homme à tout faire, Erik. Steve a l’allure de Clark Gable et Erik celle d’Erich von Stroheim. Steve a de gros moyens et vole en ULM à ses heures perdues. Il se fait d’ailleurs un plaisir d’emmener Jim avec lui pour lui donner quelques sensations.

Une enquête prétexte

Jim se contente d’écouter et observer ses interlocuteurs, se bornant à leur demander s’ils ont tué Jones. Il ne faut donc pas attendre de cet album une enquête mémorable. Elle intéresse si peu les auteurs qu’ils s’en débarrassent rapidement avec l’arrestation par le shérif d’un homme qui avoue le meurtre. Peu importe que cet homme soit un déséquilibré. Jim poursuit néanmoins ses investigations, tout en répondant par exemple à l’invitation de Goodrich pour une nouvelle promenade dans les airs. Il tombe également sous le charme de Valérie qui l’incite à goûter à ses tisanes aux herbes aux effets bien particuliers. Il y aura également un repas avec concert chez Joe. Et Jim arrive à la conclusion de son enquête par une déduction simpliste. À sa demande, la personne qu’il accuse lui fournit les éléments qui lui manquaient. Il est intéressant d’observer que, de retour à Augusta où il rend compte à son supérieur, Jim s’éclipse ensuite… dans un placard. À mon avis, les auteurs nous signifient ainsi qu’ils n’ont plus besoin de lui, ultime détail indiquant que l’enquête elle-même n’est qu’un prétexte pour cet album.

Aux origines de l’œuvre

L’illustration de couverture avec ce troisième œil donne déjà un indice. La lecture du dossier avec documents photographiques qui figure en fin d’album le confirme. L’œuvre résulte de la rencontre en 1981 (soit avant Le bus et donc la notoriété), de Paul Kirchner (dessinateur) avec l’écrivain d’origine hollandaise Janwillem van de Wetering (spécialiste des polars). Leurs discussions les rapprochent au point de souhaiter travailler ensemble. C’est ainsi que le Hollandais propose un scénario à l’Américain sur la base de ce qui lui tient à cœur (nombreuses influences dont le zen), laissant à Kirchner toute liberté de retravailler tout cela selon son inspiration, ce qu’il ne manque pas de faire. Ce qui intéresse Kirchner, c’est de donner libre cours à ses associations d’idées pour imbriquer le réel du récit avec des souvenirs, fantasmes et histoires de ses personnages. Il trouve donc ici un champ qui lui convient bien pour utiliser son savoir-faire technique (un dessin particulièrement élégant et soigné mis en valeur par un magnifique noir et blanc à l’encre de chine, mais aussi une belle maîtrise dans l’organisation de ses planches). De son côté, le scénario fait la part belle à certaines réflexions concernant notamment les buts qu’on se donne dans la vie, les influences du vécu, ainsi que les relations qu’on entretient avec les autres. Bien évidemment, on ne peut que remarquer un certain souci pour la préservation de l’écosystème de l’endroit, menacé par le projet de Jones. Les cinéphiles devraient apprécier les références au cinéma hollywoodien de la grande époque. Comme si les auteurs cherchaient à faire sentir que le cinéma et la bande dessinée entretiennent des relations étroites. À noter que cet album constitue la première édition en français (première parution aux Pays-Bas en 1984 et enfin en 1986 aux États-Unis).

Meurtre télécommandé, Paul Kirchner (dessin) et Janwillem van de Wetering (scénario)
Éditions Tanibis, novembre 2022

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3.5