Dans la collection « Aire libre », aux éditions Dupuis, l’auteur et dessinateur de bandes dessinées Nicoby se raconte en vignettes et phylactères, dans un album divisé en quatre saisons représentant différents moments de sa vie.
Le style est direct et épuré. Les éléments de décor sont souvent réduits à leur portion congrue. Mais Nicoby n’a pas besoin de grandes audaces graphiques pour faire mouche. Dans Mes quatre saisons, cet artiste bien connu du monde de la bande dessinée francophone s’empare d’un sujet sur lequel il apparaît plutôt bien documenté : lui-même. S’il se regarde le nombril, Nicoby ne se prend pour autant vraiment au sérieux. Le ton est volontiers ironique, léger, voire diaphane. Les traits semblent délibérément épaissis, un peu à l’image des auto-caricatures de Woody Allen. Ailleurs, le regard se fait plus clinique. Dans la scène d’ouverture, le bédéisme est présenté de manière désenchantée : « La BD, c’est bouché de chez bouché… Ça se mord la queue. Les journaux disparaissent les uns après les autres. » Les mutations qui y ont cours ne suscitent pas non plus des torrents d’enthousiasme : « C’est peut-être ça l’aventure : raconter un truc chiant en le rendant intéressant. »
Nicoby nous présente pourtant un microcosme bourdonnant. Les projets se succèdent continuellement, les nouvelles idées chassent les anciennes, les artistes, en quête d’émulation, forment des ateliers, les planches originales font l’objet de collections privées… Au cours des pérégrinations de Nicoby apparaissent pêle-mêle Fred Salsedo, Lionel Chouin, Fabrice Erre, Yvan Delporte, Jul, Isabelle Giraud, Jean-Claude Fournier, Blutch, Pépito, Sylvain Ricard ou Patrice Leconte – qui était dans la BD avant de bifurquer vers le cinéma. À travers ses rencontres avec toutes ces personnalités de la bande dessinée – et beaucoup d’autres encore –, Nicoby tend à portraiturer et démystifier un milieu artistique finalement assez méconnu, dans une mise en abîme partielle mais passionnante. La manière dont Nicoby se met en scène traduit une certaine vulnérabilité. Il se caractérise comme un individu impressionnable, pas toujours à son aise avec autrui, probablement trop respectueux des grandes figures de sa discipline. Cela l’amène à multiplier les gaffes, comme lors d’une rencontre gênante – et délicieusement narrée – avec Yvan Delporte.
Mes quatre saisons est aussi l’occasion pour Nicoby d’exposer ses « nus académiques » et de s’essayer à un épisode de Tif et Tondu. Il revient par ailleurs, avec une sensibilité éprouvée, sur la maladie d’Alzheimer de sa maman, témoignant de l’inexorable progression des troubles cognitifs mais aussi du sentiment d’impuissance qui s’empare souvent des proches. En filigrane transparaît évidemment un amour inconditionnel pour son art et une capacité d’autodérision à laquelle il est difficile de résister. Pour s’en convaincre, il suffira au lecteur de se reporter à cette rencontre fortuite réalisée à l’occasion d’une fête, Nicoby s’enfonçant progressivement à mesure qu’il cherchera à faire valoir son travail auprès d’une inconnue… Cette dernière le condamnera définitivement avec cette question ingénue : « Mais sinon, tu fais des trucs connus ? »
Mes quatre saisons, Nicoby
Dupuis, octobre 2020, 216 pages