L’album Immortal Sergeant de Joe Kelly et Ken Niimura paraît aux éditions HiComics. Alors que Michael, 35 ans, vient assister à la fête organisée en l’honneur de son père, sur le point d’être pensionné, il se retrouve, un peu malgré lui, embarqué dans un road-trip motivé par l’obsession d’un vieux policier.
Les premières scènes d’Immortal Sergeant sont aussi silencieuses que programmatiques. Jim Sargent, le protagoniste de Joe Kelly et Ken Niimura, est un détective au bord de la retraite, dont l’attitude trahit clairement l’irritation et la désillusion. Vieux jeu, l’homme est en passe de rendre l’insigne, mais une vieille affaire d’infanticide, non résolue, continue de le tourmenter. Il n’a que faire des cérémonies associées à sa pension, il veut saisir, vaille que vaille, cette chance ultime, qui s’offre enfin à lui, de faire payer à un assassin le crime infâme qu’il a commis des années plus tôt.
Joe Kelly ne cherche pas tant à démêler les noeuds d’une enquête policière qu’à se concentrer sur la caractérisation de Sargent. Son approche en la matière met en lumière les luttes intérieures du personnage, exposant ses vulnérabilités sous une façade dure et rétrograde. Jim va embarquer son fils Michael par-delà les frontières de sa juridiction, aux trousses d’un homme qui pourrait le mettre sur la piste de l’assassin. Une traque obstinée qui en dit long sur l’abnégation du policier mais aussi sur la nature de ses relations, dysfonctionnelles, avec son fils.
C’est évidemment l’autre versant de ce road-trip filial. Michael confectionne des jeux vidéo qui ne lui rapportent pas vraiment de quoi subvenir aux besoins de sa famille. C’est son épouse, forte tête, qui tient la culotte dans le couple. Jim, viriliste et aussi raciste que peuvent l’être les vieux flics des films noirs, semble mépriser son fils au plus haut point. Il lui demande toutefois son aide, en l’enjoignant à prendre part à quelque chose de réellement important. Si cela motive Michael (reconnaissance paternelle, sensations enivrantes…), les choses ne vont pas sans obstacle.
Joe Kelly et Ken Niimura explorent alors les dynamiques relationnelles complexes entre Michael et son père. Au cours de leurs aventures apparaissent des conflits familiaux et internes, très bien restitués à la faveur d’une narration visuelle privée de couleurs mais inventive et engageante. Si toute la dimension absurde et pathétique de la famille (élargie) Sargent transparaît çà et là, Immortal Sergeant déjoue en sus nos attentes avec quelques révélations tardives remettant en question les certitudes de Jim et les aprioris du lecteur (qui en découlaient).
Immortal Sergeant mélange les genres – buddy, policier, néo-noir, comédie, revenge – avec une grande habileté. Très réussi, l’album se distingue par l’étoffe accordée à ses deux principaux protagonistes, dont les relations erratiques en constituent la sève. Il scrute aussi, en creux, des enjeux plus profonds, liés à la condition humaine, à la criminalité, à la maturité et aux heurts générationnels. L’ensemble tient lieu de pièce maîtresse.
Immortal Sergeant, Joe Kelly et Ken Niimura
HiComics, novembre 2023