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« Hitman » : le chevalier gris de Gotham

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Urban Comics publient, dans la collection « Urban Cult », le premier tome des aventures de Hitman. Connu pour sa subversion des super-héros, notamment dans la série The Boys, Garth Ennis met cette fois en scène un tueur à gages plus attachant qu’il n’y paraît.

Quand Kevin Smith salue la science du dialogue d’un auteur, on tend forcément l’oreille. Celui qui a multiplié les tirades fusantes dans l’excellent Clerks : Les Employés modèles (1994) n’a en effet rien du perdreau de l’année. Mais a-t-il raison de s’enthousiasmer de la sorte pour Hitman, énième super d’une métropole fictive, Gotham City, qui les compte par rangées de douze ?

Assisté du dessinateur John McCrea, Garth Ennis fait valoir un humour décapant doublé d’une violence débridée. Tommy Monaghan n’est décidément pas le héros classique, et encore moins le méchant cliché. Après avoir été infecté par un virus alien lors d’une invasion extra-terrestre (dans Bloodlines), l’homme se voit doté de capacités télépathiques et d’une vision à rayons X. Mais pas de cape ni de collants pour lui. Plutôt que de se battre pour la justice, Monaghan, aussitôt rebaptisé Hitman, utilise ses talents pour augmenter son efficacité… dans sa carrière de tueur à gages.

On tient là l’une des premières caractéristiques du personnage. S’il a peu à voir avec le Chevalier noir, qui refuse de donner la mort et se montre enclin au pardon, Monaghan/Hitman n’est pas pour autant rendu au dernier degré de l’abjection. Ainsi, tout au long de ce volume, on le découvre sentimental (avec Wendy, l’agent Tiegel, voire Catwoman), cramponné à une éthique personnelle (être indépendant dans le choix de ses cibles et ne jamais s’en prendre aux gentils) et fidèle en amitié. N’évoluant pas dans le glamour des soirées mondaines (contrairement à Bruce Wayne), mais plutôt dans les bars miteux, les lieux de jeu clandestins et les ruelles sombres de Gotham, Tommy s’entoure d’une bande hétéroclite d’amis. Des types comme Natt le Hat, un tueur à gages, ou Sean, le vieux barman du Noonan’s Bar, un repaire de hors-la-loi. Mais surtout son ami Pat, auprès duquel il trouve refuge dans les premiers récits, jusqu’à sa mort.

Comme si naviguer dans les eaux troubles de Gotham ne suffisait pas, Tommy doit également se frotter à des forces surnaturelles. Il a eu des démêlés avec des démons, dont certains cherchent à récolter son âme après qu’il a refusé de travailler pour eux. Hitman constitue une fusion de motivations contradictoires. Alors que l’argent apparaît comme son moteur principal et qu’il affiche volontiers un caractère blasé, il n’est pas tout à fait étranger aux notions de loyauté, de dignité et de justice.

Mais au-delà d’une caractérisation réussie – et pimentée par des dialogues bien troussés –, Hitman se distingue par une ronde de personnages tous plus surprenants les uns que les autres. On y retrouve l’alcoolique Sixpack, qui fantasme une vie de super-héros pas si falsifiée que cela, ou encore les siamois Joe et Moe Dubelz, ce dernier cherchant à venger son frère, abattu par Tommy et en voie de putréfaction – ce qui a le mérite d’offrir des vignettes déroutantes. Astucieux, Garth Ennis aligne les références comme des perles. Friends, Alien, Clint Eastwood, Reservoir Dogs, Seinfeld, Battlestar Galactica, Quand les aigles attaquent se voient tour à tour cités, le plus souvent explicitement. À cela, il faut ajouter l’humour méta-textuel, avec les visions à rayons x des vieux comics ou le délectable « La Nuit des zombies de l’aquarium de Gotham ».

« Le mec est bâti comme une armoire à glace croisée avec Dracula », dira Monaghan au sujet de Batman. Car ne l’oublions pas, nous sommes à Gotham et des personnages tels que Catwoman, le Joker ou Green Lantern voisineront avec Johnny Navarone ou Nightfist. L’éviction de l’inspectrice Tiegel permet d’ailleurs de prendre la pleine mesure de la corruption ambiante, en ce y compris dans les forces de police. Autre signe qui ne trompe pas : c’est lorsqu’il bat en brèche le statu quo en s’en prenant à des criminels en col blanc ou en défendant l’environnement qu’Hitman devient véritablement gênant. Qu’importe, pour se tirer d’affaire, notre super-(anti)héros aura toujours sous la main un flingue chargé et une répartie redoutable. D’un « Il pue de la gueule comme si c’était un urinoir » à un « Tu es si gros que pour faire le tour de ton pantalon… on a dû appeler Christophe Colomb ! », Tommy ne manque pas de munitions, ni létales ni verbales.

Hitman, Garth Ennis et John McCrea
Urban Comics, septembre 2023, 576 pages

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