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« Enfants en danger » : les dysfonctionnements de l’aide à la jeunesse

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Kennes publient Enfants en danger, de la journaliste indépendante Anne-Cécile Huwart. L’ouvrage, fruit d’une enquête de deux années, revient sur les nombreux dysfonctionnements d’institutions pourtant capitales dans l’aide et la protection de la jeunesse.

Quand on s’y penche de plus près, la problématique peut devenir obsédante. Anne-Cécile Huwart y a consacré deux années de sa vie, avec cette interrogation centrale : comment une institution censée protéger les enfants tout en préservant ou pérennisant, quand c’est possible, les liens familiaux a-t-elle pu se tromper à ce point dans la gestion de certains dossiers ? Pour le comprendre, elle a rencontré des parents désabusés qui, dossiers sous le bras, lui ont raconté leur histoire, souvent tragique et complexe. Des récits où une justice qui s’entête, des priorités mal définies, des soupçons infondés et des décisions absurdes le disputent à des déchirements douloureux et des espoirs sans cesse déchus.

Chaque année, près de 6500 jeunes se retrouvent plongés dans la réalité des placements en famille d’accueil ou en institution. Mais tous les cas ne sont pas similaires : certains parents, ayant cherché une aide temporaire, se retrouvent séparés de leur progéniture pendant de longues années, sans toujours comprendre les raisons pour lesquelles leur famille a été détruite. L’investigation menée par Anne-Cécile Huwart permet de mieux appréhender cette situation si pas critique, au mieux préoccupante.

Au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Aide à la Jeunesse veille annuellement sur 40 000 enfants. Parmi eux, 3700 sont accueillis dans des familles d’accueil et 3000 dans des hébergements résidentiels. On dénombre également 2600 jeunes accueillis dans des institutions telles que les internats scolaires, les hôpitaux ou les centres du secteur du handicap. Mais Anne-Cécile Huwart le répète à l’envi : la séparation d’un jeune de sa famille doit, dans tous les cas, rester un recours extrême, à n’utiliser que lorsqu’aucune autre option n’est envisageable, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant et aux règles régissant le secteur en Belgique. C’est précisément l’une des dimensions principales de l’essai Enfants en danger : dans de nombreuses affaires, ces principes élémentaires ont été bafoués, des parents ont vu, impuissants, s’éloigner leur(s) enfant(s) pour des motifs fallacieux, voire inventés de toutes pièces.

Les raisons qui mènent habituellement à ces déchirements familiaux peuvent comprendre la toxicomanie ou l’alcoolisme d’un parent, des limites intellectuelles, une maladie mentale, des violences psychologiques ou sexuelles, des faits de négligence ou de maltraitance. La plupart des enfants sont en sus issus de familles précaires, dont les parents survivent généralement grâce à des revenus de substitution. Rien de tout cela dans le cas d’Alexandre. Ayant grandi dans un environnement stable jusqu’à ses 10 ans, son monde n’a basculé qu’après une erreur de médication relativement anodine commise par sa mère. Alexandre a alors été retiré à ses parents et placé en famille d’accueil, puis en institution. Malgré l’absence de son père lors de l’incident, Alexandre fut séparé de lui pendant des mois…

L’histoire de Nathanaël, 11 ans, offre une autre perspective. À la suite d’un accident lié à une mauvaise prescription médicale, sa mère Nathalie l’a vu être placé loin d’elle pendant trois ans et demi. Ailleurs, c’est le phénomène d’aliénation parentale ou le syndrome de Münchausen qui sont abordés. Trop souvent, ils font office de chiffon rouge et servent à disqualifier des parents sans examen scrupuleux préalable. Ces histoires figurent parmi de nombreuses autres et tendent à rappeler ce fait glaçant : une fois judiciarisés, des événements familiaux certes problématiques, mais aux conséquences mesurées, peuvent prendre une tournure outrancière et quasi définitive.

Résultat : de nombreux parents, souvent démunis, parfois ruinés par les procédures, toujours dépassés par l’absurdité du système, se battent pour retrouver leurs enfants. Le paradoxe, soulevé par l’auteure, veut que les centres d’hébergement manquent pourtant de places pour certains jeunes, et de moyens pour favoriser le retour en famille – car aucun budget n’est prévu pour ce que l’on appelle la double mesure, une accompagnement parental parallèle au placement de l’enfant.

En cours de lecture, on apprend qu’un placement coûte en moyenne 58 000 euros, une somme considérable, d’autant plus que la durée moyenne de ces placements avoisine les trois ans. En dévoilant ces situations souvent ignorées du grand public, Anne-Cécile Huwart met donc en lumière les failles d’un système coûteux, opaque, et qui peine à répondre adéquatement aux besoins des familles en détresse. Son travail nous rappelle que chaque enfant a le droit à une enfance digne et épanouie, et que les dysfonctionnements institutionnels peuvent malheureusement, insidieusement, entrer en contradiction avec cette simple évidence.

Enfants en danger, Anne-Cécile Huwart
Kennes, mai 2023, 156 pages

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