Journaliste spécialisé dans les domaines du contre-terrorisme et du renseignement, Garrett M. Graff a travaillé pendant deux ans avec l’historienne des traditions orales Jenny Pachucki dans l’objectif de nous faire revivre, à travers la parole de quelque 500 personnes, les attentats du 11 septembre 2001.
Entre les captations audiovisuelles, les appels téléphoniques, les entretiens de première main, les messages vocaux ou les récits archivés, les témoignages abondent pour raconter le traumatisme américain le plus vif et douloureux depuis l’attaque de Pearl Harbor. Garrett M. Graff et Jenny Pachucki ont patiemment épluché plus de 5000 sources, desquelles ils ont conservé 400 documents et auxquels ils ont ajouté 80 entretiens menés par le journaliste. 11 septembre, une histoire orale repose sur cette base protéiforme et bouillonnante, un amoncellement de récits partiaux et parcellaires, mais surtout une plongée dans ce que les rétines ont imprimé et les mémoires retenu des attentats les plus meurtriers jamais perpétrés. Phase après phase, un témoin après l’autre, la descente aux enfers se fait proprement vertigineuse. Pas loin de 3000 personnes ont perdu la vie des suites directes des événements du 11 septembre, mais Garrett M. Graff rappelle à dessein que des millions d’autres ont été marquées dans leur chair. Ceux, contrôleurs aériens, conseillers politiques, policiers, pompiers ou étudiants, qui ont apporté leur témoignage sur cette journée glaçante portent en eux un bout de cette tragédie, dont ils se font les passeurs.
Le premier récit présenté au lecteur est celui de l’astronaute Frank Culbertson, qui était dans la Station spatiale internationale au moment des attentats. Il explique sa perplexité, puis la manière dont il a perçu, à son échelle et de l’espace, les événements : des nuages de fumée, des traces d’impact perceptibles sur le Pentagone, un ciel soudainement purgé d’avions… Au centre de contrôle aérien, c’est le sentiment d’urgence qui prédomine. Et lorsque le premier avion s’écrase dans l’une des tours du World Trade Center, c’est aux sens que la mémoire des témoins en appelle : la structure du bâtiment qui oscille, les plafonds et les murs qui s’écroulent, les étages grignotés par les flammes, les bruits saisissants, l’impact qui fait chavirer les gens… Les antennes passent au direct, les journalistes sont décontenancés, le visage de George W. Bush, en visite dans une école, se transforme en un instant… Tous ces épisodes sont contés par le menu et immergent le lecteur dans une terreur vécue par procuration.
De cette vision subjective et panoptique du 11 septembre, chacun retiendra des passages qui l’auront particulièrement marqué. Les messages laissés à leurs proches par les passagers du vol 93 s’avèrent à ce titre déchirants, tout comme les aveux d’impuissance et d’angoisse de ceux, restés sur terre, qui recevaient des nouvelles mortifères en provenance de l’avion détourné. Aux larmes succède aussitôt l’horreur : celle du bruit de l’air qui se fend, des vêtements éclaboussés du sang des désespérés qui se défenestrent pour échapper aux flammes, des portes automatiques qui s’ouvrent à la réception de leurs corps sur le sol… Le désarroi est aussi largement partagé : dans le bunker de la Maison-Blanche, Dick Cheney et ses conseillers ne savent à quel saint se vouer. Combien d’avions détournés survolent l’espace aérien américain ? À quel point ces décisionnaires sortiront-ils eux-mêmes affectés par ce traumatisme ? La parole des pompiers et des forces de l’ordre, l’évacuation cauchemardesque du World Trade Center, l’attaque du Pentagone, les milliers de corps sous les décombres nourrissent également le témoignage de ceux, souvent désemparés, qui ont assisté à ces scènes d’horreur. 11 septembre, une histoire orale est d’une authenticité abrupte et glaciale, porteuse d’émotions portées à incandescence. Il est difficile de ne pas être soi-même touché par les récits rapportés par Garrett M. Graff.
11 septembre, une histoire orale, Garrett M. Graff
Les Arènes, septembre 2021, 529 pages