Sous la fine lumière de la lune, les enfants noirs deviennent bleus, nous dit-on dans Moonlight. Sortie de son contexte, cette phrase peut paraître farfelue mais dans l’imaginaire qui se dégage de l’œuvre de Barry Jenkins, la symbolique de la couleur prend tout son sens. Dans un récit qui mêle habilement sexualité et quête de soi-même, Nicholas Britell, à travers sa bande originale, accentue la puissance initiatique et magnétique du film.
Tout fraîchement auréolé d’un Oscar, Moonlight est le portrait, la recherche d’identité d’un afro américain à travers le temps. Dès les premiers instants, on voit ce jeune garçon apprendre à nager avec son mentor, un dealer de drogue. Devant nos yeux, c’est un monde en suspension qui se dessine, arpentant les méandres de l’apprentissage et du déni. De ce point de vue là, la bande originale qui accompagne Moonlight se met au diapason de l’introspection de son personnage comme le démontre « Little’s Theme » et son calme apaisant, mettant en lumière l’éclosion d’un jeune garçon.
Pendant que l’œuvre se situe dans des contrées modernes et politiques avec ce questionnement sur l’homosexualité dans les ghettos des périphéries américaines, Nicholas Britell essaye de s’acclimater à l’esthétique bariolée de Barry Jenkins. Ce travail en commun entre le réalisateur et le musicien n’est pas sans rappeler la communion cinématographique entre Nicolas Winding Refn et Cliff Martinez tant la mise en scène allégorique de Jenkins s’accoude d’une musique représentant la psychologie même du personnage de Chiron.
Si le film utilise également une bande son hip hop (« Classic Man ») ou jazzy en rapport au contexte dans lequel il se trouve (« Every Nigger Is a Star »), c’est surtout la partition de Nicholas Britell, parfois proche de celle de Philip Glass dans l’élégance de l’orchestration, qui émerveille par son sens de la dramaturgie. De cette simple étude de caractère, aux antipodes de ce que l’on voit habituellement, le compositeur immisce une ambiguïté déchirante et une tristesse intérieure qui magnifient les images colorées et saillantes de Moonlight.
Les violons se font mélancoliques, les instruments à vent proches de l’agonie dans une rythmique parfois discontinue, comme sur le fabuleux « The middle of the world » témoignant à lui seul de la force centrifuge d’une œuvre aux multiples facettes, voyageant de-ci de-là entre l’amour et l’obscurité, la violence des coups d’un monde en mutation et les fissures émotionnelles d’un homme en proie au doute existentiel. Dans cette description de la solitude et les non-dits des sentiments, Nicholas Britell intervient comme pouvait le faire Shigeru Umebayashi avec son thème pour In the mood for Love de Wong Kar Wai : avec une légèreté caressante mais non dénuée d’amertume.
Car d’un métrage assez pop tant dans son thème que dans sa candeur, Nicholas Britell assombrit l’envergure du film en lui donnant un cachet baroque : où l’aspect contemporain de Moonlight devient presque intemporel grâce à sa bande originale flamboyante (« sweet dreams »). Tout en étant d’une grande homogénéité, cette dernière est variée, à l’image des sentiments à fleur de peau de Chiron : entre les morceaux où les quelques notes de pianos envoûtent par leur finesse et leur minimalisme (« Chiron’s theme ») définissant la solitude de ce garçon torturé, ou bien par ces instruments à cordes qui matérialisent le silence évocateur du métrage (« Black’s theme). Cependant, Moonlight n’est jamais aussi émouvant que lorsqu’il use de ressorts les plus simples, c’est-à-dire par la fulgurance de son image et de son travail sonore.
Moonlight est une œuvre parfaitement ancrée dans son temps, qui fonctionne de par l’ambivalence existant entre la modernité artistique de son temps et le classicisme de son approche dans une diversité culturelle qui fait cohabiter à la fois Mozart et Jidenna. Nicholas Britell sort des sentiers battus de la simple orchestration classique en puisant aussi dans les ressources de l’ambiant cathartique comme peut parfois le faire Max Richter (« The Spot »). La bande originale de Moonlight est là l’image de Chiron, le personnage principal : une carrure monstre qui dissimule l’angoisse d’un esprit qui ne connait sa position par rapport au monde. Et si Moonlight se révèle être une oeuvre riche, c’est aussi dû au talent majestueux de Nicholas Britell.
Musique Moonlight Tracklist :
https://www.youtube.com/watch?v=8Y5iSNlD21c
1. Every N****r Is a Star – Boris Gardiner
2. Little’s Theme
3. Ride Home
4. Vesperae Solennes de Confessore – Laudate Dominum, K. 339 (Excerpt) – Wolfgang Amadeus Mozart
5. The Middle of The World
6. The Spot
7. Interlude
8. Chiron’s Theme
9. Metrorail Closing
10. Chiron’s Theme Chopped & Screwed (Knock Down Stay Down)
11. You Don’t Even Know
12. Don’t Look at Me
13. Cell Therapy – Goodie Mob
14. Atlanta Ain’t But So Big
15. Sweet Dreams
16. Chef’s Special
17. Hello Stranger – Barbara Lewis
18. Black’s Theme
19. Who Is You?
20. End Credits Suite
21. Bonus Track: The Culmination