FEFFS 2015 : compétition internationale, interview du réalisateur Nikias Chryssos
Synopsis: un étudiant ambitieux recherche le calme et la solitude pour se focaliser sur son travail. Il se retrouve dans une résidence ressemblant à un bunker, habité par un couple qui scolarise leur fils Klaus à la maison. Ils lui demandent alors de s’occuper de l’éducation de Klaus qui se révèle avoir de grosses difficultés pour assimiler les leçons qui lui sont dispensées dans ce cadre familial plutôt déstabilisant.
Le FEFFS 2015 met à l’honneur le cinéma de genre allemand, avec Der Bunker de Nikias Chryssos pour la compétition internationale, mais aussi dans la section « Midnight Movies » Stung de Benni Diez ou German Angst des réalisateurs Jorg Buttgereit, Andreas Marschall, et Michal Kosakowski.
La rédaction CSM a immédiatement été séduite par Der Bunker, un ovni issu de la scène indé berlinoise, qui se distingue par son ambiance surréaliste, ses touches d’humour décalé, ses acteurs parfaitement incarnés et dans l’ensemble déjantés, le tout dans un huit-clos infernal dont l’ambiance particulièrement anxiogène devrait en séduire plus d’un, accompagné d’une composition musicale particulièrement travaillée, et d’un jeu sur les lumières des plus soignés. A ne pas rater!
Nous avons eu la chance de dialoguer avec le réalisateur de ce film, Nikias Chryssos, qui a fait sensation auprès du public strasbourgeois, et qui devrait sans nul doute quel que soit le palmarès, marquer les esprits.
– Bonjour Nikias, peux-tu nous expliquer la genèse de ton film? D’où t’es venue l’idée d’enfermer tous tes personnages dans un bunker, qui devient un huis-clos infernal plus le film avance? T’es-tu inspiré de faits réels, d’un de tes projets antérieurs, ou tes personnages sont-ils tout simplement sortis tout droit de ton imagination?
Durant un certain temps, j’ai fait beaucoup de recherche dans des groupes occultes et des communautés religieuses, je suis allé à des réunions, j’ai parlé aux membres, j’ai lu beaucoup de livres. J’ai aimé l’idée d’un film dans lequel la famille fonctionne comme une petite communauté religieuse, avec « un personnage bon », un plutôt moyen, un suiveur, etc… Je suis également très intéressé par le sujet de l’éducation de manière générale, et par le fait de savoir comment des enfants stricts ou libéraux sont éduqués. Parfois, j’imagine que les enfants sont écrasés par les espérances de leurs parents. Que se passe-t-il dans ce cas s’ils ne sont pas clairement à la hauteur de la tâche dévolue?… De l’autre côté, il y a l’étudiant qui a de très hautes (sans doute trop hautes) ambitions pour lui-même. La mise en scène du bunker m’a donné l’occasion de combiner tous ces thèmes qui m’intéressent et de voir ce qu’il arrive lorsque ces personnages se confrontent dans un univers tout à fait psychotique. Les personnages ont toujours été étroitement liés aux acteurs qui ont fini par les jouer, donc j’ai très tôt pu leur parler dans le cadre du processus de création, de leur rôle respectif et de l’intrigue. J’ai essayé de la maintenir attrayante et ouverte sur de nouveaux développements, et ce durant toute la construction du film. Plus tard, j’ai lu l’histoire d’une famille, je crois que c’était en France ou la Belgique, où le père a instruit son enfant à la maison parce qu’il pensait qu’une race étrangère attaquerait la Terre et l’enfant était censé être « l’élu » devant se battre contre eux. Oui parfois, la réalité est encore plus bizarre que la fiction!
– Tes acteurs sont tous inspirés et incarnés. Mais nous avons bien sûr le désir immédiat d’en savoir un peu plus sur le choix du fils, Klaus, en particulier. Comment as-tu casté ce brillant acteur?
Je connais Daniel Fripan, qui joue Klaus, depuis de nombreuses années et je pense qu’il est effectivement un acteur incroyable. En fait, nous avons déjà tourné un court-métrage ensemble, intitulé Hochhaus, où il joue le rôle d’un mauvais frère, plus âgé, un rôle très différent. La plupart du temps, il joue des escrocs, des skinheads, des criminels, mais dans la vraie vie, il est très drôle et sympathique, donc ça a été une véritable chance de le caster dans un rôle complètement différent. Quand nous nous sommes rencontrés, je ne l’avais plus vu depuis deux ans et je lui ai demandé: « Danny, je pense tourner ce film. Crois-tu pouvoir jouer un personnage âgé de huit ans? » Il a sauté sur mes genoux, m’a étreint et m’a regardé comme un petit enfant. Voilà c’était tout pour le casting! Je pense qu’il y a quelque chose d’effrayant et de véritablement touchant dans son personnage. On ne lui donne pas le droit de grandir, il est contraint d’être un enfant, mais en même temps, il n’est pas non plus un vrai adulte. Ce fut très amusant de travailler avec la costumière, Henrike Naumann, et notre maquilleuse, Sylvia Grave, sur son apparence.
– Au-delà du suspense et d’une atmosphère déconcertante jusqu’au final, il y a un travail remarquable sur les lumières, mais aussi la musique. Concernant la lumière, ce travail sur le rouge, le blanc, qui suit parfaitement l’évolution psychologique des personnages, as-tu été inspiré par le travail de Nicolas Winding Refn, ou de manière générale, quelles ont été tes autres sources d’inspiration? De même pour la musique : en quoi joue t-elle également un rôle central dans ton film?
Mon directeur de la photographie, Matthias Reisser, s’occupe essentiellement de l’éclairage dans les films. Il travaille également comme un chef électricien pour de grandes productions en Allemagne, et ensemble avec notre conceptrice de production Melanie Raab, nous avons beaucoup travaillé sur les couleurs et l’atmosphère dans la maison. Nous avons essayé de trouver des ambiances particulières dans les différentes pièces et aussi en accord avec l’évolution du film. Nous avons pensé que le rouge était une couleur forte pour la transgression de l’étudiant dans une sphère diabolique et cauchemardesque, mais aussi de montrer le bunker comme quelque chose qui s’assimile à « un ventre profond« . Il fut intéressant également d’utiliser la couleur comme une connexion pour l’entrée du bunker et l’intérieur de la maison.
Le travail de Nicolas W. Refn fut une influence déterminante oui, mais aussi Dario Argento dans Suspiria, David Lynch, et de manière secondaire, des films japonais raffinés comme Tokyo Drifter (ndlr: Le Vagabond de Tokyo). En dehors de l’aspect visuel, la bande sonore du film est très importante pour moi. Nous avons utilisé différentes sortes de musique : principalement du classique dans la première moitié du film illustrant le côté faux-bourgeois de la famille, majoritairement jouée en arrière-plan. Mais parfois ce classique se mélange à d’autres thèmes de la BO ; de longues et profondes notes accentuent l’atmosphère sombre et malsaine de cette « maison hantée »; ensuite une partition avec différentes variations pour l’étudiant, Heinrich, ou pour « le démon » avec lequel la mère discute; enfin, un thème musical pour la mère et son fils. Nous avons développé tout cela avec un jeune compositeur appelé Leonard Petersen, très talentueux. J’ai aussi aimé incorporer d’autres styles de musique comme une chanson punk et même de la techno pour le climax* qui je pense fonctionne très bien, c’est dynamique et surprenant.
*apogée ou point d’acmé
Merci infiniment Nikias pour tes réponses et bravo pour ton oeuvre!
DER BUNKER – Clip from Nikias Chryssos on Vimeo.
Der Bunker est le premier long métrage du réalisateur Nikias Chryssos, il y dirige Pit Bukowski (Der Samurai), Daniel Fripan, Oona von Maydell, David Scheller…
Année de production : 2015
Scénaristes : Nikias Chryssos
Musique : Leonard Petersen
Genre : Horreur, Comédie, Drame
Pays d’origine : Allemagne
Durée : 1h25
Note*: Le climax en musique est le point culminant d’un morceau — notamment en musique symphonique romantique – moment où la nuance fortissimo et l’agitation musicale maximale sont obtenues grâce à un tutti orchestral.