Projection à l’Arras Film Festival du film catastrophe suisse-allemand, Wonderland (Heimatland), un long métrage plein de promesses, et finalement plus fouillis que réussi.
Synopsis : L’automne en Suisse. Un effrayant nuage apparaît dans le ciel et recouvre le pays. Son origine est une énigme pour les météorologues. La tempête du siècle menace d’anéantir le pays. Face à la catastrophe imminente, certains l’ignorent, d’autres se barricadent ou célèbrent la fin du monde. Pourtant, la menace qui plane sur les Confédérés crée aussi des liens…
Notre Review Wonderland
On en attendait peut-être trop. Voilà ce qu’on pouvait se dire à la sortie de la projection du film catastrophe suisse-allemand Wonderland. Certaines des images sont grandioses, et de manière générale, la mise en scène est superbe. Les performances des acteurs sont formidables. Le genre est utilisé afin de traiter de nombreuses problématiques qui traversent la Suisse en ce moment : le nationalisme, l’incompréhension de la jeunesse, la fausse puissance des assurances finalement incapables de faire face à un futur désastre… Wonderland a tout pour faire un bon film. Et alors on repense à notre séance de cinéma. Comment l’avons-nous vécu ? Beaucoup, dont votre serviteur – et d’autres journalistes – ont été perdus. Oui, nous avons été paumés par un élément essentiel dans ce film : la multiplication des points de vue.
Si on reproche à Michael Bay (et ses Transformers) le fait de filmer une scène sous de trop nombreux angles sans véritablement en choisir un, on se doit de dire que Wonderland est un bordel – oui, le mot est fort, mais juste – quant à la perception de la catastrophe qui arrive sur la Suisse. Vous allez suivre énormément de personnages. Parfois, vous avancez avec un personnage deux minutes, puis vous le retrouvez une heure plus tard. Problème, vous ne savez plus si c’est bien lui que vous avez vu au début, car il ressemble à un autre personnage, ou alors à un troisième protagoniste perçu puis suivi entre les deux moments. Parfois la caméra se posera longuement sur un personnage, que vous ne reverrez plus jamais. Alors qu’il semblait être un nouveau personnage essentiellement suivi dans le film, il n’en était en fait pas question. Les ellipses sont ainsi troublantes, à l’image du récit en somme. On hésite, on se demande si nous sommes dans le lieu de / et avec tel personnage, ou un autre cité par les chaînes infos à la télévision. Ainsi vous vous retrouvez dans un fouillis narratif.
Certes, on doit reconnaître une intelligence à ce choix artistique. Sur le papier, il faut dire à quel point il est intéressant de créer une sorte de cartographie à la fois humaine et géographique de la Suisse. On a même envie de citer « Théorie des intervalles » de Dziga Vertov, stipulant qu’il y a le mouvement de l’histoire, du temps et de l’espace dans une coupe d’un film, soit entre deux plans (deux fragments d’images). Mais faut-il encore qu’il y ait un véritable mouvement. Qui dit mouvement, dit déplacement d’un point à un autre, ou si l’on prend le cas de la droite en géométrie, d’une trajectoire. On pourrait nous répondre : « mais il y a des mouvements ». Nous dirions à cela : non. Il n’y a pas même un mouvement. Car qui dit mouvement, dit progression. Et il n’y en a pas.
Le film cherche à tout traiter, tout évoquer des problématiques suisses, à capter tous les archétypes du pays, et surtout du genre apocalyptique / catastrophe : le père de famille, le friqué qui veut survivre, la personne qui doit affronter ses propres démons dans une situation catastrophique, une personne qui cherche à poursuivre sa vie comme si de rien n’était, des enfants coupés de leurs parents… Et les points de vue se suivent au rythme des cuts, tandis que la situation s’aggrave. Le problème réside dans le fait que pour générer un mouvement, il faut une progression narrative. Alors certains diraient : la catastrophe est de plus en plus présente. Certes mais qu’en est-il des personnages ? Le scénario est tel qu’il n’y a pas de progression narrative des protagonistes. Il y a à peine une présentation. On pourrait se dire que le film cherche à capter des moments de vie de ces figures qui appréhendent différemment la catastrophe. Problème : une policière a eu un problème avec une arrestation et aurait abattu un homme, elle entend des voix, et a des visions. Alors le registre du catastrophe tombe dans le fantastique / épouvante lorsque nous la suivons. Et là, deux mots viennent à nos esprits, suivis d’un point d’exclamation : cohérence narrative !
Si l’apparition de ce nuage, force cataclysmique symbolisant les maux de l’histoire suisse – dixit plusieurs personnages et figures du film – avait de quoi nous amuser tout en exposant une vision critique du pays, Wonderland ne s’apparente finalement plus à un bon film catastrophe respectant les codes du genre comme il se doit. Le film est un récit foutraque, et frustrant tant il aurait pu nous apporter.
Un film de Lisa Blatter et Jan Gassmann
Titre original : Heimatland
Avec Peter Jecklin Dashmir, Ristemi Julia, Glaus Michèle, Schaub Jackson, Florin Schmidig…
Distribution : Kanibal Films Distribution
Prix et festivals : 5 nominations : Prix Cinéma de Zurich 2015, Meilleur film, festival de Bern 2015, Jeune Public, festival de Locarno 2015
Genre : Film d’anticipation
Date de sortie : 14 décembre 2016
France – 2016