Dans sa nouvelle mini-série méticuleuse et captivante Sambre, Jean-Xavier de Lestrade explore pendant près de trente ans la lente traque d’un serial violeur et les investigations sinueuses menant à son arrestation.
Comme à l’accoutumée, le style de Jean-Xavier de Lestrade (Oscar en 2002 pour Un coupable idéal et auteur de l’intransigeante et glaçante mini-série Laëtitia adaptée de l’enquête d’Ivan Jablonka Laëtitia ou la fin des hommes) est reconnaissable entre tous par sa subtile sobriété, sa méthodique investigation sociale offrant ici le constat de l’impuissance humaine à prendre en charge l’atrocité. Et si le violeur n’était pas « un immigré marginal, un tordu isolé mais bien notre voisin, quelqu’un tout près de nous », un quelconque et même un de nos proches ? Pouvons nous dévisager cette possibilité, au sens strict, sommes nous prêts, capables de donner un visage à l’horreur parmi nous, ou l’excluons-nous systématiquement hors de notre périmètre familier ?
Car c’est surtout cela qui vient tisser l’écriture scrupuleuse et délicate du réalisateur, déployant en 6 épisodes les linéaments invisibles d’une incapacité : celle d’une époque peu éduquée à reconnaître la violence d’un crime tel que le viol, celle d’une police locale empêtrée dans sa propre maladresse ou les stéréotypes de sa bêtise, celle de tous les ressorts d’une mécanique humaine et sociale empêchée dans ses dénis et tabous.
C’est sous le prisme clair et effrayant de l’introspection sociologique que la série construit sa vigueur et son authenticité.
Montrer à quel point les efforts de certains des protagonistes pour chercher la vérité (la juge, la maire, la scientifique, le commandant) sont sans cesse contrebalancés et presque annulés par le poids des aveuglements et dénis d’autres personnages (les flics de la police locale, la première victime jouée par Alix Poisson). Cet effet de bascule constant (courageusement incarné par le personnage du major Blanchot, Julien Frison montrant plus d’une fois la négligence, voire la bêtise face à la gravité des faits) produit la tension, le questionnement concourant à générer chez le spectateur les émotions les plus vives : colère, stupeur, incompréhension, envie contagieuse de vérité.
Jean-Xavier de Lestrade toujours s’attache à montrer ce que l’histoire et l’enquête disent de la société et de l’être humain. Ici une inaptitude presque conjoncturelle et structurelle à envisager que le serial violeur puisse être un homme stable, tranquille, l’homme d’à côté, marié et père de famille.
Adoptant une narration originale par chapitres consacrée à 6 des protagonistes (quitte à déstabiliser son spectateur en abandonnant certains personnages-titres, ici la juge, pour suivre l’intégrité du récit) et portée par des comédiens d’une franchise et santé de jeu incroyables (mention spéciale à Pauline Parigot dans le rôle de la juge obstinée mais qui devra laisser tomber), Sambre arpente et se déplace très finement sur une longue durée pour nous faire comprendre l’enquête complexe et ardue, ses marécages, ses oublis, ses latences.
Surtout Sambre prend en charge avec une intelligence dramatique hors pair et une justesse incroyable le sujet de la violence, et le regard que nous portons sur sa possibilité en nous même et chez l’autre.
Si l’époque est une faille, nous dit Sambre, la violence n’est pas une lacune ni une faiblesse. La violence n’est pas folle ni faible. La violence est familière, intime, proche. C’est nous. N’importe qui. Vertige !
Sambre – Bande-annonce
Sambre – Fiche technique
Réalisation : Jean-Xavier de Lestrade
Scénario : Alice Géraud, Marc Herpoux
Photographie : Elin Kirschfink
Musique : Raf Keunen
Montage : Sophie Brunet
Sociétés de production : Versus Production, France Télévisions, Federation Entertainment, What’s Up Films
Producteurs : Matthieu Belghiti et Jean-Xavier de Lestrade, Pascal Breton et Lionel Uzan
Genre : Mini-série dramatique
Nombre d’épisodes : 6
Date de première diffusion en France : 13 novembre 2023