Grantchester, une série de James Runcie & Daisy Coulam : Critique de la saison 1

Adapté de la saga littéraire britannique de James Runcie intitulée « The Grantchester Mysteries », le programme, diffusé sur ITV depuis 2014, reprend les codes de la série criminelle en mettant en scène des enquêtes policières qui varient d’un épisode à l’autre, à la manière de Sherlock Holmes ou des Petits Meurtres d’Agatha Christie.

Synopsis : Dans le petit village anglais de Grantchester, au début des années 50, le jeune pasteur anglican Sidney Chambers commence à jouer les détectives avec l’aide de l’inspecteur Geordie Keating afin d’élucider les affaires criminelles qui ébranlent la communauté. Peu à peu, l’homme d’église va prendre goût à ses nouvelles activités, devenues pour lui un moyen de tromper l’ennui et de vaincre les démons du passé. 

A la fois feuilletonnant et bouclé, le show a le mérite de se suivre facilement et de nous plonger dans un contexte historique intéressant, puisque l’intrigue se déroule en 1953, occasion pour l’auteur d’exploiter des thématiques pertinentes comme les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale sur les anciens combattants, par exemple. Socialement aussi, la série étudie l’évolution des moeurs et des mentalités, parfois avec espièglerie et humour. L’ensemble, servi par un tandem drôle et attachant, n’est pas hautement palpitant mais nous accroche tout de même sur la longueur grâce à son atmosphère naïve et désuète qui apporte un vent de fraîcheur dans le paysage télévisuel actuel, plutôt sombre en matière de crime dramas.

Une série qui fleure bon la nostalgie

Même si l’époque à laquelle se déroule l’intrigue n’est pas la plus gaie, il en émane tout de même une impression de sérénité et de calme qui apaise. Grantchester, petit bourg de campagne, baigne dans la tranquillité avec son église, sa paroisse, ses fidèles, ses champs à perte de vue, son minuscule centre-ville composé de quelques commerces authentiques, son incontournable pub, sa gare avec ses locomotives à vapeur… L’ambiance est agréable, on est plongé dans un univers dominé par la bienveillance, l’entraide. Les habitants se déplacent à vélo, prennent le temps de vivre, de communiquer, de se livrer à des traditions qui renforcent le tissu social. Pas d’agressivité, pas de bruit assourdissant, mais des pique-niques sur l’herbe, des réceptions bourgeoises et des promenades bucoliques ponctuent le quotidien des héros. Cette désuétude gentillette fait plaisir, sans niaiserie aucune : à l’instar de Downtown Abbey ou Poldark, Grantchester s’inscrit dans la lignée de ces séries historiques qui, sans ignorer la complexité de l’âme humaine, restaurent un climat plus joyeux et simple, qui renouent avec des valeurs désormais perdues. On se surprend à regretter des temps que l’on n’a même pas connus, simplement pour fuir le chaos d’une modernité qui fatigue parfois par son effervescence et sa violence. En bref, c’est reposant. Même les histoires d’amour sont légères et mignonnes. Le pasteur est épris de son amie d’enfance à qui il ne s’est jamais déclaré, tandis que cette dernière s’est résignée à épouser un bon parti. Sidney, blessé et meurtri, encaisse la nouvelle avec pudeur mais il règne entre les deux personnages une attirance respectueuse et presque enfantine qui nous touche. Même remarque pour l’idylle naissante entre Sidney et une veuve allemande, emplie de tendresse et d’estime. La noblesse des sentiments de chacun nous rappelle que la séduction était un art et que les émois valaient la peine d’être vécus, contrairement aux relations hommes/femmes d’aujourd’hui, qui ne sont pas forcément aussi galantes. Si on veut apprécier Grantchester, il faut mettre son cynisme au placard et se laisser porter.

Un detective drama sans surprise

En dépit de ses qualités, il est vrai que Grantchester peine à renouveler le genre avec des intrigues policières souvent convenues et plates. Le suspense n’est pas au coeur de la série, qui préfère miser sur la psychologie des personnages et l’évolution du tandem Sidney/Geordie, qui s’opposent dans leur perception du monde. L’un est spirituel, l’autre cartésien, ce qui engendre un décalage parfois drôle dans leur manière d’appréhender leurs enquêtes. C’est davantage sur ce choc culturel que s’appuient les scénaristes. L’intérêt naît grâce à la complémentarité des deux hommes, aussi différents que complices, et dont la relation s’étoffe au fil des six épisodes. Finalement, une dynamique s’installe, et au delà du symbole que leur duo représente (rencontre entre deux institutions, le clergé et la justice), on apprécie de voir le pasteur et l’enquêteur nouer une vraie histoire d’amitié, profonde et, là encore, sincèrement tendre et honnête. Tous deux sont brisés après une guerre qu’ils n’ont pas voulue, et chacun à leur façon, ils ont perdu foi en l’humanité et tentent de se reconstruire difficilement, noyant parfois leur désarroi dans l’alcool. Là encore, on peut relever un paradoxe supplémentaire, dans le sens où c’est en résolvant des crimes et donc en mettant en lumière l’horreur dont sont capables certains individus que Sidney et Geordie vont se réconcilier avec eux-mêmes et avec le monde. Voir la mort en face pour mieux l’accepter et la surmonter : voilà l’un des thèmes majeurs de la série, qui s’interroge beaucoup sur l’au-delà, l’existence de Dieu, la cause de la cruauté des Hommes, le meurtre et ce qui le motive. D’ailleurs, l’un des romans de la saga s’intitule « Sidney et l’ombre de la mort » tandis que l’épisode 3 de la saison 1 est titré : « La mort en face ». L’épisode 6, quant à lui, s’appelle « Les ombres de la guerre », ce qui insiste sur les traumatismes du héros, hanté par son passé de soldat et torturé par ses souvenirs du front, qu’il peine à oublier.

Des hommes et des mœurs

Comme on le sait, la fin de la Seconde Guerre Mondiale a amorcé un tournant décisif dans les mentalités occidentales, notamment en marquant le point de départ de l’émancipation des femmes dans de nombreux pays. Suffragettes, droit de vote, naissance de mouvements féministes un peu partout. Les années 50 sont une période charnière qui fait s’opérer un glissement entre conservatisme et modernité. C’est justement cette transition idéologique que Grantchester passe en revue, avec la présence, par exemple, d’un homosexuel dans la paroisse de Sidney. Dans une société encore réfractaire à la nouveauté, les orientations sexuelles de Leonard Finch font débat : si Sidney accepte sans juger, certains habitants ne le voient pas d’un bon œil et s’acharnent sur le pauvre prêtre, ostracisé. Le racisme et la « dépravation » sont aussi des problématiques qui occupent une place non négligeable dans la série. L’une des héroïnes bataille pour faire valoir son amour envers un noir, accusé de vol par la communauté, tandis que Sidney, qui nourrit une passion pour le jazz, est souvent rappelé à l’ordre par sa vieille logeuse, stricte et très à cheval sur la morale, qui estime que de tels goûts musicaux sont néfastes, voire diaboliques. Enfin, les femmes, qui prennent leurs libertés et tentent de s’affranchir du joug marital et patriarcal, sont au centre de l’histoire et s’érigent comme l’étendard d’un combat qui ne fait que commencer.

Servie par une ambiance agréablement désuète, un interprète principal convaincant (James Norton), un tandem attachant et amusant ainsi que des thèmes de fond pertinents, Grantchester est une série plus moderne qu’il n’y paraît, n’hésitant pas à questionner les mentalités tout en s’interrogeant sur les ravages de la Seconde Guerre Mondiale, le PTSD, la spiritualité et les tourments de l’âme humaine. A défaut de nous prendre aux tripes avec des enquêtes à suspense, le show, qui opte pour un rythme posé et lent, est un detective drama sympathique et léger, qui distrait et instruit tout en piquant notre curiosité au vif sur la longueur. Les épisodes, qui peuvent être regardés à la suite mais aussi individuellement, font passer le temps avec un charme britannique particulièrement agréable qui ne se boude pas.

Grantchester : Bande Annonce

Grantchester : Fiche technique

Créateur : James Runcie
Réalisation : Tim Fywell, Harry Bradbeer, Jill Robertson
Scénario : James Runcie, Daisy Coulam
Interprétation : James Norton (Sidney Chambers) ; Robson Green (Geordie Keating) ; Tessa Peake-Jones (Mrs. Maguire) ; Morven Christie (Amanda Kendall/ Amanda Hopkins) ; Al Weaver (Leonard Finch) ; Pheline Roggan (Hildegard Staunton) ; Tom Austen (Guy Hopkins)
Image : Julian Court
Musique : John Lunn
Production : Emma Kingsman-Lloyd, David Mason, Diederick Santer, Rebecca Eaton
Genre : Détective, drame, historique
Format : 6 épisodes de 45 minutes
Chaîne d’origine : ITV
Diffusion au Royaume-Uni : depuis le 6 octobre 2014

Grande-Bretagne – 2014

 

Redactrice LeMagduCiné