Plus d’un an après sa présentation à Cannes, Sicilian Ghost Story arrive sur les écrans français. Pour leur deuxième film, les réalisateurs italiens Fabio Grassadonia et Antonio Piazza partent d’une histoire vraie tragique pour créer un conte onirique sur un amour d’enfance.
Au milieu des années 90, un terrible fait divers ébranle la Sicile et fait parler toute l’Italie. Un jeune adolescent est séquestré par la mafia pendant plusieurs années. C’est à partir de ce fait divers, dont on ne dévoilera pas le dénouement que le duo italien Fabio Grassadonnia et Antonio Piazza ont donné naissance à Sicilian Ghost Story. Si les cinéastes auraient pu le transformer en un drame très sombre traitant de la mafia à l’instar de ce qu’a fait, par exemple, leur confrère Matteo Garrone dans Gomorra ou Dogman, Grassadonnia et Piazza ont décidé d’emprunter un tout autre chemin. En s’inspirant du cinéma de Guillermo Del Toro, et notamment de son cultissime Labyrinthe de Pan, les italiens vont tisser une toile onirique qui va englober toute cette histoire. L’histoire d’un amour infini qui ne recule devant rien.
Ce n’est pas uniquement l’évocation d’un fait divers sordide qui va alimenter Sicilian Ghost Story, c’est avant tout une histoire d’amour qui va lui servir de moteur. Un amour encore au stade de bourgeonnement, celui de Giuseppe, adolescent amateur d’équitation dont le père mafieux sert d’indic à la police, et de Luna, jeune fille rêveuse, vivant sous le joug d’une éducation stricte par sa mère suisse. Deux mondes qui vont se heurter à la manière des deux familles rivales Capulet et Montaigu dans la très célèbre pièce de Shakespeare, Roméo et Juliette. Malgré les mises en garde de sa mère, la jeune Luna n’hésite donc pas à retrouver son cher et tendre pour un rendez-vous. Dans les somptueux paysages siciliens, ce rendez-vous semble être une bulle protégeant les deux enfants du terrible environnement qui les entoure. Malheureusement comme chaque bulle, celle-ci est fragile et éclate lorsque que subitement Giuseppe disparaît.
Alors que tout le monde semble ne rien faire, Luna décide de prendre les choses en mains et de retrouver son petit copain. C’est à partir de ce moment que Grassadonia et Piazza vont développer une narration alternant deux points de vue et surtout deux atmosphères. La première concerne la recherche éperdue de Giuseppe par Luna. C’est dans ces moments que l’influence fantastique se fait le plus ressentir. Le monde entourant la jeune Luna prend une dimension de plus en plus onirique, succombant à des rêveries lors de ses balades en forêts en quête de Giuseppe. Une ambiance onirique qui prend parfois des tournures plus inquiétantes, voire même cauchemardesques comme en témoigne cette séquence marquante du lac. Cette ambiance se traduit aussi par des choix méticuleux de mises en scènes. Des paysages siciliens émanent une aura gothique collant à merveille avec ce conte à l’histoire tragique. Des paysages qui sont filmés au ras du sol suivant Luna se perdant dans un univers étrange ou au travers d’angles bizarres et de cadres déformés annonçant une rupture avec le monde réel, et une entrée dans un monde fantasmagorique. D’un point de vue formel, Sicilian Ghost Story est d’une beauté irréelle, sachant jouer avec le fantastique de façon parcimonieuse et subtile pour développer une imagerie qui n’en reste pas moins marquante.
Au contraire du climat dans lequel gravite Luna, celui de Giuseppe se caractérise par un réalisme beaucoup plus cru. Kidnappé par des mafieux pour empêcher son père de parler, l’adolescent est enfermé dans une cave sordide. Rompant cruellement avec l’onirisme des séquences sur Luna, Grassadonia et Piazza n’hésitent pas à montrer la cruauté de l’action perpétrée par les mafieux qui culminent dans un acte ignoble filmé d’une façon à conserver l’impact marquant, sans tomber dans une complaisance malvenue. Les passages entre les deux âmes sœurs se font d’ailleurs au gré de transitions d’une fluidité exemplaire basculant d’un univers à l’autre au travers d’un mouvement de caméra délicat.
Pour leur deuxième film, Grassadonia et Piazza transcendent avec Sicilian Ghost Story un fait divers pour donner lieu à une fable tragique et fantastique traitant d’un amour d’enfance d’une force pure. Un amour d’enfance qui se heurte au monde terrible des adultes, que ce soit au travers d’une mère moralisatrice ou d’un père absent baignant dans un milieu funeste. Un monde d’adulte qui contamine l’innocence de la jeunesse et la gangrène, affectant physiquement et psychologiquement les deux amoureux. Œuvre forte, bien qu’ayant un peu de mal à se conclure, Sicilian Ghost Story est une belle façon d’utiliser un histoire vraie en la transformant en un véritable contenu original.
Sicilian Ghost Story : Bande-annonce
Sicilian Ghost Story : Fiche Technique
Réalisateur : Fabio Grassadonia et Antonio Piazza
Scénario : Fabio Grassadonia et Antonio Piazza
Interprétation : Julia Jedlikowska, Gaetano Fernandez, Corinne Musallari, Sabine Timoteo, Vincenzo Amato
Musique : Anton Spielman et Soap&Skin
Photographie : Luca Bigazzi
Montage : Cristiano Travaglioli
Distribution (France) : Jour2Fete
Durée : 117 minutes
Genres : Drame, Fantastique
Date de sortie (France) : 13 juin 2018
Italie, France, Suisse – 2017