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L’Incomprise, un film de Asia Argento : Critique

« L’Incomprise n’est pas un film autobiographique », proclame Asia Argento. Pourtant, la réalisatrice est née comme Aria dans le milieu du cinéma, et a commencé tôt à devenir actrice.

Enfant de la balle qui se trimballe

Alors, malgré les ressemblances du récit avec sa propre enfance, ce film n’est pas le fruit de l’égocentrisme d’un enfant de la balle. Dans ce film présenté dans la catégorie “Un Certain regard” au festival de Cannes 2014, Asia Argento veut surement briser tout préjugé que l’on pourrait avoir sur son travail, et sa relation avec le monde du 7ème art. « Chacun peut s’identifier à mon héroïne », rajoute Asia.

L’Incomprise s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants, grâce à sa manière maternelle de capturer les plus beaux instants d’Aria, (Giulia Salerno), de porter à l’écran cette figure d’innocence et de curiosité infantile, son brouillement intérieur, puis son véritable questionnement, sa volonté d’être reconnue et de trouver sa place. Oui, chaque enfant se reconnaît dans cette petite Aria perdue, sans repère et errante dans la rue.

Sans cesse reviennent ces scènes d’Aria abandonnée, accompagnée de son chat et son sac à dos, comme un symbole fort de son existence. Dans un milieu familial où règnent le chaos, les disputes et les gifles, la petite Aria dénote par son incompréhension innocente. Le récit nous dépeint ces deux parents en figures d’égoïsme pur, obsédés chacun par leur image (le père interprété par Gabriel Greko), et leur carrière (la mère interprétée par Charlotte Gainsbourg); avec leurs enfants préférés respectifs (Lucrezia pour le père, et Donatina pour la mère). Et au milieu, Aria, reste le vilain petit canard, dont personne ne veut, qui à tour de rôle se fait expulser du domicile paternel, puis de chez sa mère, ainsi de suite… Comme dit le proverbe « Your home is where is your heart is » : pour elle, cela signifie qu’aucun foyer ne la comprend; nul endroit n’est sa véritable place.

La réalisatrice partage sa vision décalée d’une famille presque politisée, avec des références  au communisme (principalement la récurrence du rouge et de l’étoile dans les décors), jusqu’à la scène finale où on entend un chant de marche communiste. Aria, représenterait cette recherche d’égalité qu’on lui refuse, et qui fait d’elle une in-comprise, dans le sens, non prise dans la communauté (sa famille, sa classe, ses amis, son coup de foudre).

De par son enfance baignée dans le milieu du spectacle, Asia Argento, connait bien la richesse du milieu artistique. D’où cette ambivalence parfaitement bien représentée par les décors chaotiques des lofts : ils sont à la fois riches de couleurs, de mélanges culturels, de poudre blanche et de paillettes ; ils sont aussi très élitistes, représentant cet univers dominé par l’art et la musique, avec des affiches de groupes et des tableaux, dans chaque plan. On peut aussi relever la richesse des costumes, et les coiffures qui se transforment et incarnent les multiples facettes de cette famille caricaturée. Par exemple, la mère (Charlotte Gainsbourg) est une  pianiste qui exprime ses éclats de rage sur les touches de son piano; Lucrezia (Carolina Poccioni) exprime son obsession du rose Barbie, la tournant au ridicule dans son rôle de vilaine belle-sœur; le père (Gabriel Garko) très superstitieux, s’agrippe peureusement les bijoux de famille à chaque chat noir ou miroir brisé. Ainsi, ce film tourne en dérision ses personnages et s’éloigne ainsi d’une représentation plus classique, quasi-sacrée de la famille italienne.

Ce n’est pas pour rien que Charlotte Gainsbourg interprète la mère d’Aria. « Enfant, lors que j’ai découvert l’Effrontée, je suis tombée amoureuse de cette artiste », confie Asia Argento. La ressemblance physique et psychique est effectivement frappante entre Aria et Charlotte : on y retrouve cette jeune fille en mal d’attention, perdue dans son monde d’illusions, qui court désespérément après cette jeune virtuose du piano. Dans L’Incomprise, Charlotte a grandi et s’est affirmée en tant que femme et actrice hors pair. Ici, l’actrice est méconnaissable avec cet accent italien, cette facette d’hystérique manipulatrice, digne des grandes comédiennes italiennes. Elle parvient encore à surprendre par la violence de l’expression de son corps, puis dans ce rôle de charmeuse mystique jouant à la sorcière, et dans une moindre mesure, en madone religieuse auprès de ses filles.

Aria change alors d’amants, comme elle change de look. A travers son remplacement incessant d’hommes, on voit son évolution qui s’adapte aux modes, et à son époque. En réalité, c’est Aria qui ne comprend pas exactement le monde qui l’entoure, comme si les gens lui parlaient une langue étrangère.

L’actrice Giulia Salerno est à la fois cette figure de Natalie Portman à ses débuts, dans le rôle de Mathilda dans Léon (Luc Besson, 1994), seule dans la rue avec sa plante verte, déracinée et sans attache; et de l’autre, la figure de l’enfant indépendant et courageux. Une solitude que l’on retrouve souvent dans les films de Truffaut, sur les enfants sans famille, comme dans son célèbre film Les 400 coups (1959). Mais elle reste unique, car elle n’est pas orpheline, mais rejetée  par ses semblables.

En réalité, sous ses apparences d’enfant, sa logique est très mature. Elle se questionne sur l’amour, l’amitié, la réussite autant qu’une adolescente, et presque comme une adulte. On le constate violemment dans sa représentation grossière de la sexualité et des hommes. Des caricatures, toujours d’hommes pervers, tactiles et dominateurs. Particulièrement, cette représentation à l’échelle de poupée d’une scène de viol, où l’on comprend le point de vue d’un enfant alerte et effrayé par une sexualité tabou.

Parfois en plongée très exagérée, ou à hauteur d’Aria, le cadre se resserre toujours sur elle. En la montrant toujours à l’étroit, plus petite, et rejetée. Que ce soit les lignes du décor ou les meubles qui l’enferment, qui la tassent ; quand elle se retrouve sur des sièges trop grands, des canapés trop longs, ou au contraire, des sofas trop étroits, où il n’y a plus de place pour elle. On s’identifie alors à son regard, quand on la voit en amorce, se faire remonter les bretelles par son père ou sa mère, être au milieu des disputes. Tel le spectateur dissimulé, on adopte son point de vue. Mais seule la caméra parvient à obtenir le même regard qu’elle, à être attentif et à rendre le spectateur à l’écoute.

Telle une héroïne tragique, elle incarne la raison de tous les malheurs de son entourage, et c’est elle la coupable numéro un. Une culpabilité inscrite même dans la lumière, tant rejetée dans l’ombre puis par instants, sublimée par l’éclairage centrée sur elle. Cette lumière sert aussi de vecteur pour nous représenter l’imaginaire de cette petite fille. Le film oscille à la limite du fantastique, où on ne discerne plus la réalité du fantasme d’Aria. Jusque dans la scène finale, où le spectateur doute, entre la franchise du récit et la mise en abyme d’une histoire issue de l’imagination débordante de la petite Aria.

Une mise en scène très théâtrale, dramatique, et plus proche de l’opéra dell’arte Italien, où les envolées lyriques et les ralentis rendent surréalistes les plans, notamment le passage où les enfants se rebellent lors de la fête, dans une farandole de plumes et de statuettes fracassées, sous le regard épouvanté d’Aria, qui nous rappelle fortement la scène d’anarchie dans le dortoir dans Zéro de Conduite.

Un univers assez décalé et replacé dans les années 80, plein de débauche et de couleurs criardes (rouges, roses, jaunes fluos). Une esthétique très colorée et frappante qui nous évoque les mélodrames d’Almodovar (Étreintes Brisées, Revolver, etc…), avec encore cette relation des costumes, les décors et même la musique. Avec son passage du classique au punk rock, la BO respire ce ton méli-mélo, artistique du film. Des musiques présentes également pour sublimer les instants forts, avec de l’opéra pour les scènes de disputes et de séparation, puis du punk rock dans les actes de rébellion et d’affirmation du caractère d’Aria, jusqu’au soft grunge assez indie, lors des dramatisations larmoyantes. En réalité, toute cette mise en scène et cette esthétique nous amènent à mieux comprendre la solitude ancrée de ce personnage, qui ne trouve sa place ni dans les décors, ni dans la musique, et reste enfermée dans ce cadre serré, seule et incomprise.

Synopsis : Aria (Giulia Salerno), neuf ans, fait face à la séparation très violente de ses parents. Au milieu de leurs disputes, mise à l’écart par ses demi-sœurs, elle ne se sent pas aimée…. Ballottée de l’un à l’autre, elle erre à travers la ville avec son sac à dos et son chat noir. Frôlant le désespoir, elle essaie de préserver son innocence.

L’Incomprise : Bande-annonce

Fiche Technique – L’Incomprise :

L’Incomprise (Incompresa)
Italie, France – 2013
Réalisation: Asia Argento
Scénario: Asia Argento, Barbara Alberti
Interprétation: Giulia Salerno (Aria), Charlotte Gainsbourg (la mère), Gabriel Garko (le père), Carolina Poccioni (Lucrezia), Anna Lou Castoldi (Donatina)…
Image: Nicola Pecorini
Durée : 1h43
Genre : Drame
Décor: Eugenia F. Di Napoli
Costume: Nicoletta Ercole
Son: Tullio Morganti
Montage: Filippo Barbieri
Musique: Brian Molko
Producteur: Lorenzo Mieli, Mario Gianani, Eric Heumann, Maurice Kantor
Distributeur: Paradis Films
Production : Wildside ; Paradis Films ; Orange Studio