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Une île lointaine, refuge du capitaine Drake

Nous sommes à Bornéo, dans les années trente. Le capitaine Drake se promène en ville dans sa tenue de marin, une tenue et une allure qui font immédiatement penser à un personnage bien connu. Qu’en est-il ?

Disons-le sans attendre, cette tenue, cette allure et cette silhouette font plus que rappeler nul autre que Corto Maltese, le personnage bien connu issu de l’imaginaire d’Hugo Pratt. Pour éviter toute confusion, il faut savoir que Lele Vianello réalise cette BD en héritier d’Hugo Pratt avec qui il a longtemps travaillé. Il a été son assistant, commençant à travailler sur les albums Les scorpions du désert (1969) et Corto Maltese en Sibérie (1974). Tout ici sent la nostalgie, des habitudes de travail et une véritable complicité qu’il prolonge à sa manière. Ce qui ne m’empêche pas de considérer cet album (et tous ceux de la même veine) avec une certaine réticence. Travailler en héritier d’un certain style, pourquoi pas, mais pousser le mimétisme à ce point dénote à mon avis un certain manque d’imagination. En effet, Vianello imite son maître avec un certain panache, mais à mon avis, cela ne va pas au-delà. Et faire du capitaine Drake une sorte de sosie de Corto Maltese me semble très révélateur. Certes, on aurait aimé d’autres aventures de Corto Maltese, mais on en a déjà une belle collection (rien qu’en considérant ceux de la main d’Hugo Pratt), il faudra faire avec, indépendamment des volontés éditoriales. Pour résumer ce que j’en pense : avec Une île lointaine, Vianello attire l’attention par ses références, mais ne dépasse pas le stade de l’imitation. A l’image du Canada dry, seul Hugo Pratt savait faire certaines choses, même si Vianello sait dessiner (ajoutons Michel Jans, crédité pour la traduction). On sent par exemple que Vianello n’a pas, loin s’en faut, les connaissances historiques ou ethnographiques de Pratt.

Imitation, jusqu’à quel point ?

La maladresse ne s’arrête pas à la façon de dessiner Drake, puisque Vianello va jusqu’à lui attribuer les mêmes démarches et attitudes, le même caractère désenchanté et frondeur que Corto Maltese. Il faut vraiment chercher les détails pour trouver les différences. Cela peut séduire, voire amuser, mais pas les amateurs d’un style vraiment personnel.

Drake, l’aventurier provocateur

Sinon, le capitaine Drake cherche à voir un avocat suite à un procès. Mais l’avocat ne veut pas le recevoir. Il semblerait que Drake ait conclu un accord avec cet avocat pour une livraison, mais que l’affaire ait mal tourné. Il semblerait surtout que Drake considère avoir accompli sa mission, mais que l’avocat ne lui ait pas réglé ce qu’il lui devait. L’avocat affirme que Drake a perdu un de ses navires. Pour cet épisode où « L’Etoile rouge » a sombré, le capitaine Drake a été condamné, même s’il a échappé à la prison. Un tête-à-tête mène à l’affrontement, à la suite de quoi Drake ne peut que fuir. Mais il n’échappera pas à un nouveau procès qui lui vaut dix ans de travaux forcés. Diverses péripéties le mènent sur une île où il joue à Robinson Crusoé, avant que son passé ne le rattrape.

Maîtrise technique

L’album est donc clairement dans la tonalité des aventures de Corto Maltese et le trait constitue une bonne imitation. Dans l’ensemble, l’album se lit bien, même si le scénario manque d’originalité. Il s’agit vraiment d’un « à la manière de ». En 52 planches, Vianello réussit un album au format type BD franco-belge (30,2 x 23 cm), qui tient surtout de la curiosité. En choisissant un découpage uniforme de trois bandes par planche, il aère bien son récit (petite fantaisie sur la taille des vignettes), n’hésitant pas à proposer quelques planches sans texte ni dialogue où il fait admirer sa maîtrise du noir et blanc.

Conclusion

Les amateurs d’aventures exotiques en BD pourront y trouver leur compte, d’autant que l’album se lit assez rapidement. Les inconditionnels du style d’Hugo Pratt le décortiqueront pour peser le pour et le contre. Si le style peut séduire parce que Vianello tire bien parti de tout ce qu’il a pu apprendre de son maître, il déçoit en n’approfondissant ni la période, ni la région ni ses personnages. Il se contente de proposer cet album comme s’il constituait un faux prolongement des aventures de Corto Maltese.

Une île lointaine, Vianello

Mosquito, janvier 2019, 60 pages

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