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Ici ou ailleurs, Guy Delisle et Jean Echenoz se mettent mutuellement en valeur

Rencontre entre deux artistes qui réussissent à se mettre mutuellement en valeur. Ce qui les a rapprochés ? Des récits situés en Corée du Nord et leur rencontre à Marseille pour un festival en 2018.

Le minimalisme scrupuleux et précis de l’écrivain Jean Echenoz trouve ici un écho aussi inattendu que réussi au travers du dessin de Guy Delisle. Jean Echenoz, c’est un style unique et raffiné, qui a trouvé son public, malheureusement un peu confidentiel. Son premier roman (Le méridien de Greenwich) date de 1979. Depuis, il en est à 17 aux Éditions de Minuit, un gage de qualité et d’originalité. Parmi ses réussites, on peut citer Lac (1989), Je m’en vais (1999), Des éclairs (2010) et 14 (2012).

Quant à Guy Delisle, il est bien connu des amateurs de BD, du moins ceux qui ne se contentent pas des séries franco-belges, des mangas ou des comics. Connu pour Pyongyang (2003) qui montre le régime nord-coréen de l’intérieur, il a aussi à son palmarès Shenzen (2002), ainsi que Chroniques birmanes (2007) et Chroniques de Jérusalem (2011). Sa façon de témoigner de l’ambiance d’un pays après y avoir séjourné pour s’en imprégner, en comprendre les tenants et aboutissants, fait de lui un incontournable. Pour autant, je ne suis pas en admiration devant son style de dessin, avec notamment une façon de bâcler les personnages parce qu’il a trop à dire. A vrai dire, ça tombe plutôt bien, car ici nulle trace de personnage. Certainement en accord avec Jean Echenoz et l’éditeur, il se contente de présenter des sites. Pas n’importe lesquels, ceux qui l’ont inspiré à la lecture des romans de l’écrivain.

Choix artistiques

Il faut dire que l’œuvre de Jean Echenoz regorge de passages où des lieux précis sont situés, notamment dans Paris. Voilà une caractéristique de sa façon de faire, qu’il explique au début de son texte introductif (qu’on retrouve sur la quatrième de couverture :

« Quand on écrit des romans, ce n’est pas tout de jouer avec les personnages : il faut aussi, et avant tout, penser aux décors. »

Cette phrase est particulièrement révélatrice du l’état d’esprit de Jean Echenoz écrivain, surtout quand il avoue jouer avec ses personnages. D’ailleurs, il ne se contente pas de jouer avec les personnages, il joue aussi (avec bonheur) avec la langue française. En choisissant des extraits se rapportant à des lieux précis (pari osé), l’ouvrage en fait la tranquille démonstration. Petit aperçu :

Rue Madame-de-Sanzillon

« Il se rendait deux fois par mois rue Madame-de-Sanzillon, ouvrait la boîte, rien ne se trouvait jamais dedans que des prospectus tassés par une main hâtive et mal rémunérée. »

L’Équipée malaise p. 55

Rue Lavoisier

« Une très jolie fille rousse traversait le boulevard avec un sac à dos, ah non c’est un bébé, tiens, puis un café désert s’offrait rue Lavoisier. »

Lac p. 44

Rue Jules-Moulet

« Un supplément de panique gagne la foule en marche lorsque la basilique se décapsule, sa coupole expulsée s’éparpillant sur la Sécurité sociale de la rue Jules-Moulet. »

Nous trois p. 62

Saint-Brieuc

« Ayant replié ces matériaux dans leur étui, il démarra puis manœuvra, regagna la route nationale et roula jusqu’à Saint-Brieuc. Son véhicule garé dans le centre-ville près du marché couvert, Katsner dîna d’un couscous impérial chez un des Maghrébins qui se concurrencent du côté de l’ancienne gare puis il trouva une chambre dans un hôtel peu étoilé face à la nouvelle. »

Les Grandes Blondes p. 13

Jean Echenoz, un style personnel

Ces extraits montrent que pour apprécier le style de Jean Echenoz, il faut une lecture attentive. Sinon, on passe à côté de petites merveilles. Qu’est-ce que cette nouvelle à la fin du dernier extrait ? La nouvelle gare bien sûr. Quant à la basilique qui se décapsule rue Jules-Moulet, j’imagine (pure conjecture) un jeu de lumières au moment du coucher de soleil. Seule vérification possible : lire Nous trois. On remarque aussi un style particulièrement fluide et donc une connivence amusée avec le lecteur. Le plaisir d’écrire entraîne le plaisir de lire. Et puisque ces extraits laissent le lecteur potentiel sur sa faim, ajoutons que chez Echenoz, les intrigues ne sont pas du tout négligées au profit du style. Généralement, elles prennent de l’épaisseur au fil des chapitres. Des romans plutôt courts, sans un poil de graisse. On peut leur reprocher un manque de puissance, mais certainement pas un excès de légèreté.

L’approche de Guy Delisle

Chaque extrait figure sur une page de gauche. En regard (page de droite), on trouve un dessin de Guy Delisle montrant le lieu évoqué. Il s’agit d’une vue représentative du site, choisie selon son inspiration, sans personnage ni véhicule, avec un dessin au crayon et sans règle, avec comme unique couleur un bleu assez clair qui souligne les jeux d’ombre. Le dessin est assez précis et donne une très bonne idée du lieu. L’ensemble est vraiment agréable et permet au lecteur de s’immerger dans une atmosphère, tout en lui laissant une part de liberté puisque libre à lui (elle) d’imaginer l’ambiance avec de l’animation. A noter que l’album commence et s’achève par la rue de Rivoli (rue incontournable du centre, longeant le Louvre). Sans doute l’endroit le plus susceptible d’être reconnu par des lecteurs. Chacun est donc libre d’y venir avec ses propres impressions.

Inclassable

Par contre, attention, l’ouvrage reste difficilement classable et à mon avis ne peut absolument pas être considéré comme une BD. A mon avis, le mieux est de le classer dans la catégorie des beaux livres (idée cadeau). L’Association (maison d’édition) justifie ici parfaitement son appellation en formant le duo Echenoz/Delisle pour un ouvrage qui sort des sentiers battus.

Ici ou ailleurs, Jean Echenoz / Guy Delisle
L’Association, août 2019, 88 pages 

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