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Le bon goût et ses limites selon Christoph Mueller

Avec un tel titre, l’album retient l’attention des amateurs, une attention confortée par un aspect original. Mais un aspect sortant de l’ordinaire suffit-il à produire une œuvre de qualité ? En d’autres termes, le bon goût et l’originalité se marient-ils si facilement ?

Cet album au format très inhabituel (23,6 x 35,7 cm, pour 52 pages non numérotées) se remarque grâce à un véritable soin éditorial (papier épais) au service d’un style à l’avenant : trait attentif aux détails mis en valeur par un beau noir et blanc. Si les couleurs sur l’illustration de couverture contribuent à situer l’époque, rien ne viendra jamais dater précisément l’action. Cependant, des véhicules automobiles font évidemment penser aux années 1940. Au bas de la couverture, sous le titre, un bandeau mentionne les thèmes traités : mystère, aventure, romance, suspense, philosophie et amour. Effectivement, tous ces thèmes ponctuent l’album. Enfin, on observe une abeille au milieu de cette série de thèmes illustrés par des vignettes rondes. L’insecte viendra agrémenter les pages de l’album, de façon obsessionnelle.

The Mighty Millborough

N’y allons pas par quatre chemins, cette BD qui s’annonce prometteuse se révèle un peu décevante. Première impression, sa lecture s’effectue trop rapidement à mon goût par rapport à son prix. Pourtant, on ne peut nier le travail de l’artiste que j’ai vu à l’œuvre, puisqu’il m’a dédicacé son ouvrage au festival de Colomiers 2019. Autre déception, l’ouvrage est constitué d’une succession de scénarios courts, tous centrés sur son personnage (surnommé The Mighty Millborough = le puissant Millborough…), qui tourne en rond dans sa petite bourgade campagnarde typiquement américaine. L’homme affiche la quarantaine mais surtout les habitudes d’un vieux garçon. Il s’avère timide et franchement peu à l’aise avec les femmes, ce qui ne l’empêche pas de se révéler littéralement obsédé par les formes féminines. Il va jusqu’à reconnaître qu’il est finalement plus à l’aise avec des femmes d’une intelligence très moyenne plutôt qu’avec celles qui l’attirent jusqu’à l’obsession. On comprend sa position d’éternel célibataire et de misanthrope se contentant d’une philosophie désabusée sur ce qu’il observe de la vie. Concrètement, il mène une vie de solitaire peureux, cantonné dans ses petites habitudes, agrémentées par quelques lectures, la dégustation d’alcools choisis et la contemplation de ses semblables.

Philosophie du personnage

Bien entendu, le titre est ironique et on le comprend d’emblée avec les réflexions du personnage. Dès la première planche, il annonce : Je suis condamné à vivre une existence solitaire. Tout cela à cause de cet irrésistible besoin de chercher des réponses à mes questions existentielles . Voilà toute la philosophie qui se dégage de l’album : le personnage passe à côté de la vie à force de se poser des questions. Malheureusement, cette philosophie qui pourrait s’accompagner de situations irrésistibles, ne va pas bien loin et ne fait guère mieux que procurer des sourires : l’ensemble ne décolle jamais. Pourtant, l’allemand Christoph Mueller varie les situations. Pour tout dire, après ma récente lecture de l’album, j’ai réalisé que je l’avais déjà lu il y a environ 6 ans, probablement un peu après sa sortie. Bien entendu, si je l’avais un peu oublié, c’est parce qu’il ne m’avait pas spécialement marqué. A vrai dire, j’ai eu mon attention éveillée, cette fois-ci exactement comme la première fois, par l’originalité évidente de l’objet. Malheureusement, j’ai à nouveau été déçu par le contenu.

Originalité et fantaisie

Ne soyons pas trop négatif cependant, car ce que propose Christoph Mueller n’est pas catastrophique. Il utilise avec maestria l’espace à sa disposition, jonglant comme peu avec les possibilités narratives, en invitant à une lecture qu’il guide non de façon gratuite, mais réellement fantaisiste. Une originalité qui colle bien à son personnage complètement décalé, qui se veut détenteur du bon goût, mais qui se montre incapable de profiter de la vie. Il ne se passe malheureusement pas grand-chose de captivant dans la vie de Millborough, le collectionneur de soldats de plomb et de bonnes bouteilles. On comprend qu’il ait des fantasmes et ce sont eux qui font la meilleure part de l’album, avec ses angoisses.

Les limites du bon goût

Le bon goût défendu par Millborough est donc un art de vivre qui le mène à la solitude et à la frustration. La position de Christoph Mueller est particulière, puisqu’il se moque gentiment de la situation dans laquelle son personnage s’est enfermée, mais il se contente de son style très élégant (son bon goût à lui) et de situations lui permettant de jouer avec les possibilités narratives. Il n’exploite que rarement la folie douce de son personnage qui pourrait valoir des situations délirantes, voire hilarantes. A noter que ces contes ont trouvé un prolongement en 2019, avec un nouvel album au format encore plus original.

Contes d’un homme de goût, Christoph Mueller
Six pieds sous terre, janvier 2013 (pour l’édition française), 52 pages

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