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Sean Connery et Christian Slater dans “Le Nom de la rose”. ©Films Ariane

Interview Jean-Jacques Annaud pour Le Nom de la rose

Difficile de séparer l’homme de l’artiste en ce qui concerne Jean-Jacques Annaud, et tant mieux. Le réalisateur correspond exactement à l’idée que l’on peut se faire de lui à travers ses films : généreux, érudit, affable, assoiffé de vie, de culture, de rencontres, de partage… Et de cinéma. 

À l’occasion de sa venue au cinéma Megarama à Arras pour la présentation du Nom de la Rose dans sa copie remasterisée, nous nous sommes entretenus avec l’un des cinéastes français les plus importants de ces 50 dernières années. Car n’en déplaise aux gardiens du Temple, le cinéaste est toujours prophète dans un pays large comme le monde, et le cinéma. Il faut (re)découvrir les films de Jean-Jacques Annaud:  l’heure où l’industrie (française, mais pas que) n’en finit pas de se demander ce qui peut-être fait et comment, vous y trouverez toutes les réponses aux questions que vous vous posez, et celles que vous ne vous posez pas. Vous pouvez aussi lire les lignes qui suivent: c’est comme s’asseoir avec un oncle bienveillant qui vous raconte une grande histoire au coin du feu.

J’aime penser que j’invite à un voyage que l’on ne peut pas s’offrir avec un billet d’avion.

Le Mag du Ciné : Le Nom de la rose s’apprête à ressortir en 4K, sur support physique. Comment on travaille la remasterisation d’un film comme celui-ci ?

Jean-Jacques Annaud : Et bien malheureusement je ne m’en suis pas occupé du tout. En revanche, je me suis occupé de faire en sorte que le film soit visible de nouveau. Parce qu’il y a la femme de l’un des producteurs du film qui pense être assise sur un tas d’or, donc elle l’interdit. Le film est bloqué, comme pas mal de films de Fellini (il s’agit du même producteur italien). Et grâce à mon amitié avec Umberto Eco, j’ai convaincu Stephano Eco (son fils), qui était d’ailleurs un de mes stagiaires sur le tournage, d’intervenir pour que le film soit visible. Il est heureusement visible maintenant en France, il va l’être dans peu de temps, sur UHD et 4K. Mais si vous voulez, mon grand chagrin c’est que dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie ou le film a rencontré un énorme succès- plus encore qu’en France- le film reste bloqué.

Maintenant, ce qui s’est passé. D’abord j’apprends que nous avons réussi à ce que le film soit disponible pour les 20 prochaines années en France et quelques territoires mineurs. Et que le film va être présenté sur la grande place de Bologne dans sa version restaurée. Et du coup je vais là-bas pour vérifier cette version restaurée à laquelle je n’ai pas participé. Je n’en ai même pas l’historique, à part que ça a été fait en Allemagne, fort bien. Et là je peux vraiment féliciter les gens qui l’ont fait, car j’ai retrouvé dans cette projection le film que j’avais dans les yeux quand je l’ai tourné.

Vous savez très bien le problème qu’avaient les projections 35 mm. On tournait sur un négatif qui était très cher, qui était très fin, très subtil, qui enregistrait à la fois les ombres et les lumières. Mais quand on passait en copie on travaillait sur des pellicules pourries, les moins chères possibles ! Généralement de l’Agfa, qui était le moitié prix de Kodak. Mais il y avait encore pire le Perutz !

Donc la plupart du temps, les gens ont vu des copies mauvaises. Et là, j’ai été très heureusement surpris que la colorimétrie était très juste. « À l’allemande » j’ai envie de dire, comme une berline, impeccable (rires).  J’ai tellement été habitué à voir des mauvaises projections avec des copies qui cassent…. Vous savez autrefois les fins de scènes étaient coupées. Quand on faisait ce qu’on appelle un plateau, c’est-à-dire qu’il fallait prendre les bobines de 600 mètres, puis à la fin les coller à une autre bobine, il y avait 4, 5 images qui disparaissaient avec une saute de son abominable. Là on approche vraiment de l’œuvre telle que je l’ai souhaitée.

Ce qui me rend très heureux aussi, c’est que…  J’aime posséder les livres. J’aime savoir que je l’ai, que je peux le relire encore quand je veux. Vous allez me dire qu’un film, il suffit d’être abonné à une plate-forme pour le retrouver. Mais il n’est pas vraiment à moi (sourires), il est dans l’air…  J’ai envie de dire que ces films sont mes amis. J’aime vivre avec eux. Je vois la consommation que nous en faisons à la maison… Je regarde dans ma collection, et ça me fait plus plaisir que de regarder sur une liste, de cliquer et d’avoir un truc qui n’est pas à moi. J’ai l’impression que c’est très sensuel d’une certaine manière.

J’écris dans mon bureau, ou je n’ai que 4000 livres- mais j’en ai 6000 dans d’autres endroits. Mais ce que j’aime c’est qu’ils soient annotés- j’ai appris ça d’Umberto Eco d’ailleurs, je gribouille sur mes livres, de façon à me souvenir des passages qui m’intéressent. J’ai pris possession de l’œuvre d’un autre d’une certaine manière. Et là je suis content de savoir que les gens vont avoir à leur disposition une qualité égale à celle d’une très bonne projection.

LMDC : Le cinéma a toujours été placée sous le signe de l’aventure dans votre filmographie. C’était un moyen d’explorer des territoires nouveaux, de (re)découvrir des individus ou des cultures qu’on l’on ne connaissait pas, au travers d’un médium que l’on avait toujours l’impression de redécouvrir à travers l’usage que vous en faisiez. Est-ce que cet esprit d’aventurier était une condition sine qua non pour adapter le roman d’Umberto Eco ?

JJA : Vous savez, ce qui me passionne, c’est de m’immerger dans un voyage. Je disais autrefois que j’aime penser que j’invite à un voyage que l’on ne peut pas s’offrir avec un billet d’avion. Donc être dans un univers qui n’est plus accessible. Je crois que j’ai gardé une âme de petit garçon de la banlieue. Je voyageais, le dimanche entre papa et maman,  qui m’emmenaient voir Kurosawa. C’étaient pas des intellectuels mes parents, pas du tout. Ils détestaient le cinéma américain, qu’ils trouvaient trop con (rires), c’était pas trop leur truc. Donc j’allais voir les films italiens, les films français, qui étaient très bons à l’époque. Pour moi c’était synonyme d’apprentissage, de voyage, et de rêves.

On m’a reproché toute ma vie d’avoir des fins positives. Mais j’espère moi avoir une vie positive. Et j’aime pas rendre les gens malheureux. Je préfère être heureux, et l’idée que les gens se sentent mieux à la sortie du cinéma qu’à l’entrée. Je suis très malheureux à l’idée de penser que je pourrais coûter de l’argent- pardon d’être aussi ras des pâquerettes- à des gens qui se disent « On aurait mieux fait de rester à la maison ».  Donc je pense avoir une responsabilité d’entrainer des gens qui comme moi ont envie de dépaysement.

Je me suis fait incendier en acceptant de dire que je suis dans l’industrie du divertissement. Mais divertir ça veut pas dire faire des âneries. Ça veut dire changer de voie. Aiguiller vers quelque chose d’autre. Sortir du quotidien, sortir de la vie qu’on vient de vivre dans la journée, de se projeter dans un univers différent.

Et moi pour ça j’ai besoin d’être passionné. Un film pour moi c’est 4 ans. J’ai besoin pendant 4 ans de me réveiller chaque matin en me disant « Ouah, aujourd’hui je vais faire du casting, je vais aller à Mexico, je vais rencontrer des gars trapu qui sont dans la boucherie… » . Ça va me faire découvrir un milieu que je ne connais pas. Je vais parler avec eux, je vais essayer de les comprendre…  Quel privilège incroyable ! Et puis le lendemain ouais je vais au montage, je vais voir la scène, je crois qu’elle est trop longue sur la fin… J’ai besoin de vivre passionnément ça. Oui, je vais rencontrer le grand spécialiste des esquimaux qui a vécu 15 ans chez les Inuits… Ne pas profiter de ce privilège pour s’immerger dans une époque, s’identifier à des personnages…

Je sais que ce n’est pas du tout au goût du jour. Aujourd’hui je ne pourrais certainement pas faire L’Amant. Je ne pourrais pas faire L’Ours, parce que je ne suis pas un ours. Je ne pourrais pas faire Le Nom de la Rose, je ne suis pas un moine. Je ne pourrais pas faire La Guerre du feu, parce que je ne suis pas un homme préhistorique- quoique…

LMDC : Stalingrad, vous n’êtes pas russe.

JJA : Oui (rires). C’est terrible… « L’art il faut que ce soit comme la vie », j’ai tellement entendu ça… Mais c’est tout le contraire !  C’est justement pour ça que j’aime Aristote, l’art est une purification de la vie. On va à l’essentiel, on coupe tout ce qui est chiant. Irrelevant en anglais. C’est ça qui m’a guidé. Je n’ai pas le souvenir d’une journée ou je n’ai pas été heureux d’avoir été à l’aventure. Des fois je me dis « Mais putain, qui est le connard qui a écrit cette scène ? » Bah c’est moi (rires). Comment je vais faire ?! Et quand je rentre en voiture après une journée épuisante, ben ça a marché.

L’art est une purification de la vie. On va à l’essentiel, on coupe tout ce qui est chiant.

LMDC : Aujourd’hui, tout est fait pour que les films dits « historiques » dépeignent les époques d’avant selon nos représentations de maintenant. C’est quelque chose que vous vous êtes toujours interdit de faire, quitte à sortir le spectateur de sa zone de confort. Comme si c’était le seul moyen de partager avec lui ce privilège dont vous parliez…

JJA : Je pense que j’ai un devoir d’être sincère. D’être moi pour eux, pas moi pour moi. Si c’est moi pour moi, j’achète un miroir, c’est pas trop cher, et je me fais des compliments, ou des reproches.

J’ai trois moments de grands moments de grands partages. D’abord je travaille avec un ou plusieurs coscénaristes, parce que j’aime le dialogue. Qui a eu l’idée, l’un ou l’autre on s’en fout, ce qui est important c’est ce qui est sur la page.

L’autre moment de partage, c’est le plateau.  Il y a un truc qui me passionne dans mon métier, c’est que je suis suffisant pour foutre un film en l’air, mais j’ai besoin du talent de chacun. Je dis bien de chacun, pas seulement du chef machino, du chef opérateur, du chef opérateur… J’ai besoin de la passion de l’ensemble de mon équipe- évidemment les comédiens en premier. J’adore me sentir dépendant de la compétence des autres. J’ai la chance d’avoir travaillé depuis longtemps avec les meilleurs du monde, pas seulement les meilleurs français. Mais ça ne suffit pas, il faut que les meilleurs du monde soient au meilleur d’eux-mêmes, et qu’ils ne le fassent pas pour le fric.  À l’époque du film publicitaire où j’ai pu travailler avec de grands chefs opérateurs. Certains étaient formidablement intéressés, d’autres venaient simplement pour le chèque. Ça vaut pas la peine ! Il vaut mieux prendre quelqu’un d’enthousiaste, qui va se donner un mal fou et vous faire quelque chose de nouveau et de vibrant, qu’un pépère qui roupille derrière sa cellule photoélectrique. Ça c’est un grand moment de partage.

Puis le troisième moment de partage, c’est avec le public. Et je dois vous avouer que j’ai eu le privilège extraordinaire d’avoir eu un public complètement planétaire, ce qui me touche énormément. Cette année j’ai été exclusivement à Shanghai, à Pékin, Singapour, Cape Town, Oslo, Berlin Los Angeles… La liste est chiante. Mais quand je suis à la sortie d’une séance à Copenhague, et que je vois des jeunes gens qui ont des Blu-ray de La Guerre du feu, de mon premier film, du Nom de la Rose… J’ai l’impression que c’est ma famille. On a partagé les mêmes idées en fait. Il y a forcément plein de gens qui n’ont pas aimé j’imagine. Mais ça c’est assez merveilleux. Parce que quand les films sont personnels, on est à poil. Et quand on vous a apprécié à poil… Bon il y a peut-être mieux comme comparaison (rires). Mais j’ai plein de copains qui ont fait des films qu’ils n’aimaient pas et qui ont eu du succès. Et ça c’est un drame, d’avoir eu du succès auprès de gens que vous ne respectez pas. Ce qui importe c’est d’avoir un rapport positif avec les gens que vous respectez. Le malheur de beaucoup de comédiens qui font des gros chiffres, et qui au bout du compte ne respecte pas vraiment le travail qu’ils font, auraient aimé être quelque d’autre… Moi j’ai toujours refusé d’être autre chose que moi.

 LMDC : En tant que réalisateur, vous avez toujours eu une dimension de pionnier. Vous été l’un des premiers cinéastes à utiliser le numérique sur un film complet avec Deux Frères, la 3D avec Le Dernier Loup…

JJA : Pas seulement ! J’ai fait le premier film en Imax/3D avec Les Ailes du courage !

LMDC : Pardon ! Mais du coup, c’est encore plus vrai.

JJA : Et La guerre du feu était le premier film européen en Dolby, que j’ai fait à Toronto parce que c’était la seule salle équipée en Amérique du Nord. J’étais le premier à faire de la stéréo, et du numérique. Sur Deux Frères, la presse m’a étranglé en disant « Annaud fait de la vidéo » : ils ne connaissaient pas la différence entre le numérique et l’analogique !

Il ne faut pas renoncer par élégance intellectuelle à toucher le cœur

LMDC : En extrapolant un peu, vous avez toujours eu le même rapport avec la critique que Guillaume de Baskerville (le personnage de Sean Connery dans Le nom de la Rose) entretient avec les moines. Il y avait une modernité dans votre démarche que les gens ne voulaient ni voir ni entendre finalement.

JJA : Vous savez, j’ai encore plein de jeunes cinéastes qui me disent « Évidemment M. Annaud, on tourne en 35 mm ». Je leur dis « Attendez les mecs, moi j’ai commencé avec des caméras qui faisaient la taille de cette table » ». Il fallait être 4 ou 6 pour la mettre sur un pied-boule, après mettre le pied boule sur un travelling… Et j’ai toujours rêvé d’avoir une petite caméra. Maintenant il m’arrive de tourner des plans avec mon portable. Et ça me va très bien, si ça suffit qu’est-ce que je vais m’embarrasser d’une grosse caméra ? Toutes ces époques ou faire un travelling ou faire un mouvement de grue ici, c’était quasiment impossible. Vous la descendez comment la grue ? Elle pèse trois tonnes.

Moi j’adore mettre la technologie à mon service. J’ai été parmi les premiers à utiliser les effets spéciaux numériques. Et je suis très très à l’aise avec les effets spéciaux numériques parce que j’ai été très très à l’aise avec les effets spéciaux classiques, qu’on appelait La Truca. J’allais au labo avec cette machine, et on réglait le truc. Maintenant j’adore faire l’étalonnage, la colorimétrie, parce que ça va vite, c’est bien, c’est mieux qu’avant. J’ai été Monsieur Gadget pendant longtemps. J’ai une caisse chez moi de tout ce que vous pouvez imaginer, le numérique, les minidisques… Dès qu’il y avait une technologie nouvelle j’y courais parce qu’elle me facilitait le travail. Et quand elle était pas bien je l’abandonnais.

LMDC : La tendance simpliste consiste à penser que la technologie est réservée aux films qui seraient « technologiques » à l’écran, dans l’histoire. Mais chez vous, on ne ressent jamais la technologie comme un frein pour se plonger dans une époque qui ne l’est pas. C’est peut-être même le meilleur moyen de raconter cette époque telle qu’elle se serait racontée elle-même si elle avait disposé de ces moyens-là.

JJA : Bravo pour ça ! Je me souviens quand j’ai fait Les ailes du courage– c’était Sony qui produisait- je leur ai dit « Attention, je peux vous garantir une crise cardiaque par séances, peut-être même plusieurs. Mais ce qui est important, c’est l’histoire ». Il faut que les gens oublient qu’ils regardent un film en 3D, c’est juste un accessoire. Pourquoi la 3D est morte ? Parce que les gens ont cru que ça suffisait de faire un film en 3D, comme autrefois ça suffisait de faire un film en couleur. Il fallait que le ciel soit bleu, que les jupes soient rouges, les chemises jaunes… Et ça fait Seven Brides for Seven Brothers. Vous connaissez ?

LMDC : Je ne pense pas.

JJA : C’est (Vincente) Minnelli qui l’a fait je crois (en fait il s’agit de Stanley Donen), ça s’appelle Les sept fiancées de Barbe-Rousse il me semble en français. Et à l’époque c’était le Technicolor, il fallait impressionner les gens avec de la couleur Mais l’histoire était nulle (rires) !

Non, c’est l’histoire d’abord, l’histoire toujours. Et mettre l’ensemble de l’effort, les acteurs, les décors etc. au service de l’histoire ! Je suis un vieux camarade de Ridley Scott. On a souvent été en concurrence très aimable dans les mêmes boites etc. Et tous les deux on aime se redire : « Nous ne sommes pas dans Motion Pictures Industry, mais dans Emotionnal Pictures Industry ». C’est la vérité. Il n’y a pas vraiment de grande œuvre sans émotions. Si ça touche pas le cœur… Ça peut-être quelque chose d’intellectuel, de tout à fait intéressant. Mais s’il y a pas des moments où vous êtres pris par l’émotion, ça peut-être le rire c’est une émotion, ça tient pas la route.

Il ne faut pas être mièvre, mais il ne faut pas renoncer par élégance intellectuelle à toucher le cœur.

Quand je vois des jeunes gens qui ont des Blu-ray de La Guerre du feu, de mon premier film, du Nom de la Rose… J’ai l’impression que c’est ma famille.

LMDC : C’est ce qui me frappe aussi chez vous, c’est qu’il y a toujours une candeur énorme dans chacun de vos films, doublée d’une facétie qui me rappelle un peu Sergio Leone. Tous les deux vous partagez l’amour des visages spectaculaires, l’amour des grands espaces, des époques qu’on ne connait pas. Mais aussi pour ce côté « petit pont entre les jambes ». Je pense à Dewaere dans Coup de tête, ou les tigres dans Deux Frères.

JJA : Merci de citer Sergio, j’étais très ami avec lui. Nous avions le même chef opérateur, Tonino Delli Colli. Sergio venait souvent déjeuner ou diner avec Tonino et moi. Et figurez-vous, un jour il m’a dit une chose très particulière : « S’il m’arrive quelque chose sur un tournage, j’aimerais que ça soit toi qui reprenne le film ». Bon, les courtoisies qu’on peut se faire entre ami. Et le jour où il décède, sa veuve m’appelle. Il me dit « Sergio m’avez dit, comme vous vous souvenez peut-être, il a un film en préparation est-ce que vous voulez le reprendre ».

LMDC : Stalingrad.

JJA : Leningrad ! Il faisait un projet sur Leningrad. Et je lui ai dit « moi écoutez, je prépare un film sur Stalingrad. Il en était ou Sergio ? ». Elle m’a répondu « Il a une valise pleine de livres ».  Bon, une valise pleine de livres, on en fait quoi après…

Mais ce que j’aimais chez Sergio, c’est ce que j’aimais aussi chez Umberto Eco, c’est qu’il était rigolo. Quand j’ai découvert Pour une poignée de dollars, je crois que c’était son premier film…

 LMDC : Il avait réalisé des péplums avant. Le colosse de Rhodes, et d’autres films…

JJA : Oui, vous avez raison. Mais en tous cas j’ai découvert Sergio Leone au Cameroun. J’ai été envoyé comme coopérant, j’étais censé apprendre le cinéma à des fonctionnaires du ministère de la Culture, ça a très bien fonctionné d’ailleurs. Mais je me souviens que j’avais trouvé qu’il avait tellement d’humour, tellement de moquerie… Car Sergio a été pris en sérieux en se moquant ! Quand il met un personnage là et un personnage là, comme ça de chaque côté d’un écran en format 2.55, c’est de l’humour ! Mais les gens ont pris ça au sérieux. Les mecs qui n’arrêtent pas de marcher au ralenti quasiment, et qui vont tirer avec la musique de Morricone qui s’amuse… C’est de l’humour qui a été pris au premier degré ! Comme les James Bond, c’était une moquerie des films ou des héros peuvent se suspendre à un hélicoptère, peuvent avoir des trucs en perforant l’oreille ou je ne sais quoi. Et les gens ont pris ça au sérieux, mais au départ c’était très rigolo. Dr No, c’était le premier il me semble ?

LMDC : C’était le premier.

JJA : J’ai vraiment été très passionné par le cinéma de Kurosawa, le cinéma d’Eisenstein. Je disais tout à l’heure aux jeunes gens (Jean-Jacques Annaud s’est prêté à l’exercice de la  masterclass plus tôt dans la journée devant des lycéens qui découvraient Le nom de la Rose), que j’ai eu la chance à l’IDHEC mon directeur de mémoire était le grand petit ami d’Eisenstein.  Il s’appelait Léon Moussinac, et il avait gardé tous les originaux des story-boards d’Einsenstein. Et c’était magnifique, c’était un dessinateur extraordinaire. Vous regardez le story-board d’Alexandre Nelvsky, c’est le film ! Il y a le nombre de cavaliers, la ligne d’horizon, la neige, la bataille sur la glace est dessinée d’une manière merveilleuse. Moi je me souviens d’un article dans Libération qui expliquait que j’étais tellement nul que j’étais obligé de faire des petits dessins pour savoir le film que j’allais tourner ! (Rires).

Quand j’ai expliqué que c’était moi qui gérait les petits dessins, même si je les confiais à des dessinateurs meilleurs que moi, mais… Non. J’étais un nul, donc j’avais besoin de copier et de regarder le story-board. Bref.

C’est un métier redoutable, ou il faut se battre toute la journée. Dans le plaisir. Et je continue, tous les jours (rires). Heureusement que c’est pas facile. Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est qu’une certaine proportion de film est fait par des gens qui ne connaissent pas trop bien le cinéma. Un peu comme si un chirurgien du cœur qui a envie d’être chauffeur de taxi, ou vice-versa, qui vous propose de vous ouvrir sans avoir rien appris.

LMDC : L’Uberisation (rires).

JJA : (rires) Et ça c’est quand même une grande modification. Aux États-Unis, les mecs qui sont metteurs en scène ils ont la casquette à l’envers comme ça. Et ils sont très méchants, et crient très forts (rires).

Rédacteur LeMagduCiné