Selfie saison 1 épisode 01 : Pilot – Critiques Séries

Lorsque ABC annonce une nouvelle version du film de George Cuckor My Fair Lady (1964) en format série, on pouvait craindre le pire. Appendice télévisuel du groupe Disney, la chaîne verse plutôt dans le programme familial, prônant de belles valeurs américaines tel Once Upon a time ou Agents of S.H.I.ELD. Des registres, certes variés mais hélas, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Rares sont les shows secouant le cocotier de la bienséance dans les foyers de nos copains outre-Atlantique. Par son sujet et son titre fort explicite, Sefie s’annonçait comme un produit détestable, une ode à l’égocentrisme et une nouvelle exaltation du paraître. Le projet partait donc sur de mauvaises bases mais étonnamment s’en tire avec quelques honneurs.

Synopsis: A la suite d’une rupture humiliante qui a été filmée et qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, Eliza, une jeune femme dans la vingtaine totalement obsédée par son image, devient la risée de ses collègues et de tout internet. Elle a tout à coup plus de « followers » qu’elle ne l’aurait jamais imaginé, mais toujours aucun véritable ami pour la réconforter. Néanmoins pleine de ressources, elle demande de l’aide à l’expert en marketing de sa boîte pour redorer son image et transformer cette soudaine popularité en quelque chose de positif. Mais l’opération s’annonce délicate : Eliza vit littéralement dans un monde parallèle… 

#myfairlady

Les cartes sont donc redistribuées. Modernisation oblige, cette énième relecture du mythe de Pygmalion et Galatée (l’artiste qui tombe amoureux de sa sculpture) ne prend plus place au XIXéme siècle, époque où l’apparence et les manières faisait loi, mais de nos jours, à l’ère d’Instagram, Facebook, Twitter, où l’aspect extérieur... est toujours une valeur dominante. Un choix finalement logique, pas très original, mais le principe fonctionne aussi bien. Les véritables différences avec le modèle d’origine viendront finalement des personnages.

La pétillante Karen Gillan (Doctor Who, Les gardiens de la galaxie...) reprend le rôle d’Audrey Hepburn, Eliza, mais cette fois il ne s’agit pas d’une fille banale transformée en reine de beauté mais justement d’une femme au top de l’échelle sociale virtuelle. Populaire, égocentrique,  méprisante et pourtant suivie par des milliers de personnes via internet. Un rayonnement délirant qui se retournera contre elle lors d’une perte de self control. John Cho endosse quant à lui le costume autrefois porté par Rex Harrison, Henry, un homme solitaire, ayant une haute estime de lui-même et un regard acerbe mais lucide sur le monde qui l’entoure. Comme son prédécesseur, c’est plus par goût du jeu que par intérêt qu’il décide d’aider sa collègue fortement antipathique. Toutefois, l’arrogance exacerbée de la première version laisse place à un caractère plutôt renfermé, un homme qui semble mal à l’aise à l’idée d’être à découvert. Des petites touches de nouveautés démarquent la série de son modèle cinématographique et pourraient bien faire toute la différence au cours de la saison à venir. Le tout enrobé dans une ambiance de comédie romantique classique, agrémenté de chansons populaires connues et de personnages aux caractères marqués (pouvant parfois tomber dans la caricature). Une recette qui à souvent fait ses preuves.

Même si la réécriture semble être plutôt de bonne facture, l’écriture, elle, souffre d’une trop grande précipitation. Tout est trop rapide : le débit de parole d’Eliza va à toute vitesse, son « accident » est vite emballé, puis vient la déprime, la rencontre avec le sauveur potentiel, les défauts qui surgissent… L’attention est maintenue, mais parfois on aimerait que tout cela prennent un peu plus son temps, comme cette scène de transformation qui se règle étonnamment vite. Au pied du mur, la jeune femme doit trouver une robe et n’a d’autre choix que de demander de l’aide à une collègue qu’elle méprise (un monologue intérieur précédent nous ayants bien fait comprendre qu’elle détestait son style guindé d’intello à frange…). Cette dernière accepte mais la prend en défaut en débarquant avec toutes ses amies pour lui faire un relooking intégral. Pourquoi expédier cette séquence en deux minutes ? Pourquoi ne pas faire durer la scène pour mettre en place un malaise comique, vu qu’elle ne partage pas leurs goûts en matière de vêtements ? Eliza accepte, se laisse faire et voilà, le plan suivant elle ouvre la porte à son coach, arborant une belle frange toute neuve, subjuguant son invité par sa beauté nouvelle.

Sauf que nous ne sommes qu’à la moitié du premier épisode et qu’il s’agit d’une série prévue pour en compter plusieurs autres (et éventuellement d’autres saisons). Au bout de 16 minutes tout semble avoir été dit : Les conseils d’Henry fonctionnent, Eliza ressent le besoin de se faire des amies, la tension amoureuse entre les deux protagonistes est déjà palpable. Il va falloir bosser dur pour se sortir de là et maintenir l’intérêt pour les épisodes à venir. Ce qui pourrait apparaître comme une force devient finalement une grosse faiblesse : Selfie n’ennuie pas, mais va beaucoup trop vite pour surprendre. La série est sympathique mais les situations trop vites expédiées tuent dans l’œuf certain gags. Un cas rare ou le haut débit nuit à la qualité d’une série.

Pourtant un détail suscite l’intérêt, quelque chose d’assez inédit dans le paysage télévisuel qui pourrait bien faire la patte de la série, lui procurer une singularité : sa musicalité. Le film de Cuckor était adapté d’un musical à succès de Broadway, les numéros chantés y ont donc une place primordiale, la série aurait pu ignorer ce fait, ou embrasser son héritage à corps perdu, au risque de devenir un nouveau Glee. Bien qu’une version improvisée de Bad Romance surgisse soudainement, c’est une troisième solution plus subtile qui est choisie et qui apparaît à ceux qui savent écouter. Sur certains dialogues (il faut alors se détacher des sous titres), les personnages se mettent soudains à parler en rimes, avec un rythme de métronome, soutenu par une musique de circonstance. Il ne s’agit pas de chanson, mais presque, un entre-deux étrange entre la parole et le chant qui donne un effet des plus charmants à l’ensemble. Assez discret, mais judicieusement placé à chaque fois pour provoquer une légère surprise, ce petit truc ludique pourrait, s’il est employé à bon escient par la suite, donner à Selfie l’impulsion qui lui manque pour se démarquer des sitcoms classiques.

Au lieu d’une catastrophe, c’est finalement un produit plutôt agréable qui nous est offert, en grande partie grâce à l’alchimie évidente des deux interprètes principaux. Toutefois, si quelques idées sont bonnes, on peut rester sceptique quant à savoir si le concept pourra tenir la distance…

Fiche Technique: Selfie

Genre : Comédie, Romance
Créateur(s): Emily Kapnek
Pays d’origine : États-Unis
Date : 2014
Chaîne d’origine : ABC
Épisodes : 1
Durée : 25 min
Statut : en cours
Avec : Karen Gillan, John Cho, Tim Pepper, Da’vine Joy Randolph…