Deux films très différents, un même modèle à suivre?
Attention, dans le cadre de l’analyse, le troisième paragraphe contient des spoils des films Les Cowboys et Made In France!
Malgré certaines critiques acerbes qui déplorent le vide politique du cinéma français, cette année 2015 nous a apporté quelques preuves que certains de nos cinéastes hexagonaux sont encore animés d’une conscience collective et qu’elle leur sert de moteur de travail. Evidemment, la plupart des réalisations ayant pour problématique centrale une ou plusieurs questions de société prennent l’allure d’une chronique sociale aux tonalités mélodramatiques loin d’un réel militantisme. On pense notamment à La loi du Marché, qui a valu à Vincent Lindon le prix d’interprétation cannois, mais aussi à Une Enfance ou Fatima. Aussi bien filmés et interprétés qu’ils soient, ces vagues descendant du cinéma néoréaliste ne font finalement que dresser un constat, plus ou moins alarmiste mais invariablement moralisateur, de la situation socio-économique de notre pays depuis un prisme qu’il est impossible de nier : En l’occurrence, la précarité du marché du travail, la difficulté d’élever des enfants dans les milieux les plus pauvres et l’intégration laborieuse des immigrés. A cette approche que l’on pourrait juger démagogique, s’oppose la proposition faite par Jacques Audiard via son Dheepan (une expérimentation si audacieuse qu’elle lui valut une Palme d’Or et une myriade de contestations) qui consistait à partir de deux sujets d’actualité sensibles, l’immigration et l’insécurité dans les cités, pour en faire un mélange de genres – chose déjà mal vue en France – mais, pire encore, un récit fictionnel vide du moindre discours moralisateur. Autre tentative de déviation : celle de Diastème qui, en réalisant Un français, reprend les codes formels de la chronique sociale mais, à l’inverse des canons du style imposant un personnage attachant victimisé par la société, il a tenté d’imposer à ses spectateurs un point de vue sur la société antithétique du leur, celle d’un skinhead raciste. Peu de comédies auront cependant réussi cette année à exploiter l’actualité, parmi elles, Discount et Je suis à vous tout de suite ont tenté, non sans maladresse de rire de la situation socio-écomique, mais jamais les thématiques du terrorisme ou de la politique étrangère n’ont été abordés, sans doute n’est-ce pas là dans la tradition française mais plutôt anglo-saxonne, mais l’absence de films de l’audace de We Are Four Lions (une satire au vitriol des coupables des attentas de Londres) est, dans notre pays, un cruel manque à gagner dans la lutte contre le piège de l’auto-censure qui, via les médias, nos esprits. En cette fin novembre toutefois, deux films offrent une approche encore différente, et pourtant loin d’être neuve : Celle de diffuser leur message par le biais du cinéma de genre. Deux films, qui initialement devaient sortir à une semaine d’écart, Made In France et Les Cowboys réussissent à aborder la question de l’embrigadement de jeunes français dans le djihad islamiste en empruntant la voie du thriller pour l’un, du western pour l’autre. Les événements tragiques du 13 novembre ayant rendu ce sujet inadapté à un quelconque divertissement, la sortie du premier des deux s’est vu décaler de deux mois. Preuve s’il en est que son approche du sujet a de quoi non seulement heurter mais aussi faire réfléchir un public français peu habitué à un cinéma à ce temps en accord avec l’actualité, aussi dramatique soit-elle.
Le choix d’un genre plutôt qu’un autre parait donc, pour ces deux productions plus que pour d’autres, une question réellement délicate puisqu’elle allait déterminer la façon dont serait abordée la question de l’islamisation de la jeunesse. Dans le cas de Nicolas Boukhrief, son expérience en tant que réalisateur de films policiers (Cortex, Gardiens de l’Ordre…) semblait le destiner à aligner son film sur le schéma d’une enquête menée par des agents de la Sécurité Nationale avant ou après un attentat. Bien conscient que son plus gros succès public (et en particulier auprès des jeunes de banlieues, à qui il voulait délivrer son message car davantage concerné par le problème) est Le Convoyeur, il en a repris le système narratif du film d’infiltration afin de mieux observer ses personnages via le regard neutre d’un tiers. Son choix est clairement d’avoir mêlé suspense et observation sociologue objective. De son coté, quand Thomas Bidegain (par ailleurs scénariste attitré de Jacques Audiard, donc de Dheepan) décide de traiter du schisme idéologique entre occidentaux et musulmans radicaux, il opte pour un parallèle avec ce qui est sans doute l’opposition la plus manichéenne de l’histoire du cinéma, celle des cowboys et des indiens dans les westerns. Poussant son allégorie jusqu’à faire d’Alain, son personnage principal interprété par François Damiens, un homme bourru fasciné par la culture américaine au point de s’habiller en cowboys. Son film, consistant à suivre la quête de ce père raciste à la recherche de sa fille passée – volontairement – aux mains de l’ennemi, ne fait qu’emprunter le point de départ de La Prisonnière du Désert, il en copie également les codes formels, sur le plan technique d’abord avec l’usage d’optiques anamorphiques, et dans les paysages que le réalisateur a pris soin de composer, dans chaque plan, de plaines surmontées de montagnes à l’horizon. Tandis que le premier décide de nous immerger au cœur d’une cellule terroriste en pleine formation sans en condamner moralement les membres, le second reste donc en dehors de cette mécanique pour mieux la dénoncer, faisant de ces deux films deux pistes complémentaires pour survoler l’ensemble des tenants et aboutissants de l’embrigadement djihadiste.
Que nous apportent concrètement ces deux films dans leur volonté commune de nous éclairer sur le choix de jeunes français de se convertir à une vision radicale de l’islam ? Dans Made In France, toute la dramaturgie s’axe autour de cinq jeunes hommes ayant entamé cette transition, chacun pour une raison qui lui est propre : l’enquête journalistique du personnage principal, l’instinct meurtrier de leur leader et le besoin de vengeance ou d’émancipation des autres, ce qui réussit à leur faire provoquer un sentiment différent chez le spectateur, qu’il s’agisse d’un profond dégoût ou de moqueries devant une naïveté accablante. A l’inverse, dans Les Cowboys, Kelly, la fille d’Alain disparue dès la scène d’ouverture, et Ahmed, son amant qui parvient à la manipuler et à l’éloigner de sa famille, sont les grands absents du scénario. Bien que le processus de conversion et du départ pour le Pakistan se fasse entièrement hors champ, il est aisé de comprendre que l’éducation qu’elle a reçu dans une famille vivant dans un décalage culturel et dans le fantasme des aventures du far-west saupoudré de rêve américain ait provoqué chez elle un sentiment de rejet lors de sa crise de l’adolescence, et fait naître en elle un désir de partir vivre ses propres aventures loin des siens. L’histoire de cette famille ayant perdu sa fille peut toutefois apparaître comme une métaphore de la France pour sa soumission, à la culture américaine pour le côté négatif, mais aussi, sous un angle plus optimiste, dans la façon dont, de générations en générations (grâce au récit du fils, véritable héros sur le long terme), la défiance raciale va s’estomper pour donner lieu à une parfaite mixité. Ce regard moralisateur ne s’éloigne finalement pas de celle de Made In France qui tente lui-aussi, à sa manière, de donner des motifs à ses personnages, sans moins les rendre d’autant plus pathétiques qu’ils ne sont dangereux. Le pire d’entre eux est incontestablement leur leader Hassan qui apparaît à la fin grotesque car enfermé dans ses mensonges et le voir mourir comme Tony Montana, qui représente pour lui « le démon capitaliste », rend caduque tout son discours de haine. Les deux films se rejoignent finalement, dans leur conclusion respective, sur une seule et unique certitude : celle que l’intégration dans la société occidentale d’un islam pieux et modéré est la meilleure arme comme l’émergence d’un islam djihadiste.
Plutôt que d’annoncer, dès le départ, leur message (comme a pu le faire Philippe Faucon avec son diptyque La désintégration / Fatima), et risquer de n’attirer que des spectateurs acquis à leur cause, Made In France et Les Cowboys proposent une approche toujours plus populaire que les films à charge : Celle du cinéma de genre. Leur succès fera-t-il d’eux un modèle pour ce cinéma français qui a de plus en plus de mal de diffuser la moindre idée ?