Critique du film, Quand vient la nuit
Synopsis : Bob Saginowski, barman solitaire, suit d’un regard désabusé le système de blanchiment d’argent basé sur des bars-dépôts – appelés « Drop bars » – qui sévit dans les bas-fonds de Brooklyn. Avec son cousin et employeur Marv, Bob se retrouve au centre d’un braquage qui tourne mal. Il est bientôt mêlé à une enquête qui va réveiller des drames enfouis du passé…
Amours chiennes
On peut s’imposer à Hollywood sans être né aux États-Unis, et avec un seul film à son actif. Michaël Roskam, qui avait été nominé à l’oscar du meilleur film étranger pour l’excellent Bullhead, peut en témoigner. Il passe ainsi de la mafia du plat pays qui est le sien, à celle sévissant dans Brooklyn, un océan plus loin. Et met en scène un scénario signé Dennis Lehane, l’un des romanciers les plus en vue outre-Atlantique, qui adapte une de ses propres nouvelles. Avec, en prime, un casting de gueules sacrément relevé, qui compte le regretté James Gandolfini, le toujours excellent Tom Hardy, la mystérieuse Noomi Rapace et un des habitués de Roskam, le Belge Matthias Schoenaerts, rescapé de Bullhead.
Brooklyn Stories
Avec pareils noms au générique, on pourrait être en droit de s’attendre à un film de gangsters froid et brutal, quelque part entre Mean Streets et Mystic River (autre roman de Lehane). Et pourtant. Il plane quelque chose de bizarre sur Quand vient la nuit. Cela ne vient pas de la réalisation, à priori. Roskam met sa caméra au service de ses personnages, qu’il filme souvent au plus près comme pour mieux en percer les secrets. Sa mise en scène a quelque chose d’un cinéma vérité implacable, et confirme toutes les promesses entrevues dans son précédent long-métrage. On pourrait tout juste lui reprocher de ne pas vraiment mettre en lumière le quartier de Brooklyn, en dehors de quelques rues sombres et du fameux bar au centre de toutes les attentions.
Cela viendrait plutôt du scénario. La construction en est un peu bancale, et légèrement déstabilisante. En fait, on a un peu l’impression que Lehane, s’il maîtrise parfaitement les codes du thriller sur le papier, peine un peu plus à développer lui-même son univers au cinéma. Le scénario déroule sa progression suivant un rythme très chapitré, très littéraire, qui fait que le spectateur peut avoir du mal à rentrer vraiment dans l’intrigue. D’autant que les personnages manquent un peu de relief, en particulier celui de Schoenaerts, petite frappe un peu frustre que l’on a du mal à situer. Si le dénouement fonctionne à merveille, les deux premiers tiers du film peinent un peu à déclencher les passions.
Quatre monstres et un pitbull
Malgré tout, Quand vient la nuit tire à merveille profit de son atout maître : Tom Hardy. L’ensemble du casting est excellent, même si Schoenaerts, encore une fois, semble un peu entre deux eaux (ce qui est probablement plus dû à son personnage qu’à sa performance). On regrettera sans aucun doute Gandolfini, qui brille dans un rôle qui lui colle à la peau, et Noomi Rapace démontre une nouvelle fois qu’elle est devenue une valeur sûre du genre. Mais c’est bien Tom Hardy qui attire tous les regards dans une prestation toute en finesse, alternant superbement fragilité apparente et froide brutalité. Sans aller jusqu’à dire qu’il sauve le film, il est certain qu’un autre acteur n’aurait pas su aussi bien captiver le spectateur, malgré une histoire parfois un peu laborieuse.
Quand vient la nuit est un polar sympathique, aux dialogues très bien écrits mais au scénario inégal. Il ne restera certainement pas comme un des étalons du genre, et pâlit de la comparaison avec d’autres œuvres adaptées de Lehane (Mystic River mais aussi Gone, Baby Gone ou Shutter Island, dans un style différent). Le problème du romancier qui s’attaque à un exercice qu’il ne maîtrise pas ? Sans être une franche déception, on était certainement en droit d’attendre mieux d’une telle affiche.
Quand vient la nuit – Fiche Technique
USA – 2014
Drame, Thriller
Réalisateur : Michaël R Roskam
Scénariste : Dennis Lehane, d’après une nouvelle de Dennis Lehane
Distribution : Tom Hardy (Bob Saginowski), Noomi Rapace (Nadia), James Gandolfini (Cousin Marv), Matthias Schoenaerts (Eric)John Ortiz (Détective Torres)
Producteurs : Peter Chernin, Jenno Topping, Dylan Clark Mike Larocca
Directeur de la photographie : Nicolas Karakatsanis
Compositeur : Marco Beltrami
Monteur : Christopher Tellefsen
Production : Chermin Entertainment, Fox Searchlight Pictures
Distributeur : Twentieth Century Fox France
Auteur : Mikael Yung