Eau argentée, Syrie autoportrait de Ossama Mohammed

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Wiam Simav Bedirxan, 35 ans, a filmé le quotidien de sa ville assiégée depuis trois ans. Ses rushes ont servi au réalisateur syrien, Ossama Mohammed, pour réaliser Eau argentée : Syrie autoportrait, un documentaire poignant présenté en Sélection Officielle Cannes 2014 – Séances Spéciales, également sous-titré « Mille et une histoires par mille et un Syriens ».

Cinéma de l’insoutenable

Que valent les mots face à ce requiem saisissant d’une nation autodestructrice ? Exercice hautement jubilatoire autant que délicat et malaisé que la construction d’une critique juste et précise qui puisse rendre la pleine mesure à cette œuvre, qu’est Eau argentée, Syrie autoportrait. Cernée par la colère et le désespoir tout autant qu’empreinte de la mélancolique poésie arabe, elle est la pleine et entière expression d’un peuple défait mais héroïque.  L’incroyable puissance que dégage cet objet hybride, ne sert qu’à conforter et confirmer notre bonne conscience de spectateur attristé par cet effroyable mise à mort. Eau argentée, Syrie autoportrait est conçu comme un témoignage direct du parricide étatique de la contrée Syrienne, il fait office d’avertissement et se rappelle à notre mémoire sélective embrouillée d’événements tragiques déjà passés à la postérité, chassés par le tourbillon médiatique des conflits mondiaux plus « télégéniques » à même d’accaparer l’audience.

Notre connaissance plus que partielle de L’Histoire Syrienne, et la réduction qui en est faite à travers les journaux télévisés en affadit considérablement la complexe tradition et nous tend un miroir peu reluisant de notre suffisance. Il en va ainsi de nombreux autres cas similaires, et ce que cela raconte de notre bienséance à l’égard des civilisations « bâtardes », n’est pas pour nous grandir. Nous en sommes alors réduits à attendre ce genre de film documentaire pour nous rendre compte que L’Horreur n’a pas de frontières, et que notre méconnaissance culturelle dessert notre esprit critique. Nous avons alors beau jeux de verser des larmes de crocodile à la vision de La Terreur. Et les pires amalgames sont alors édictés comme vérités notoires, par nos visions étriquées de la situation donnée. Seuls les plus éclairés et les plus curieux iront chercher la contradiction pour élargir leurs pensées et y voir plus clair. Ceci n’étant pas inné, il est clairement dommageable que les médias de masse se contentent d’un travail peu élaboré et n’aillent pas chercher des sources bien plus fiables. Le cinéma, s’il doit ouvrir notre regard sur le monde qui nous entoure et nous interpeller en tant que citoyens de la mondialisation, ne doit pas prendre la responsabilité de remplacer notre éducation intellectuelle.

Requiem de l’horreur

Eaux Argentée, Syrie Autoportrait fait donc acte de transmission. Héritage d’une longue et catastrophique guerre confessionnelle, le démantèlement du pays est le résultat douloureux d’un processus d’anéantissement méticuleux de Bachar El Assad. De confession alaouite, longtemps méprisé, torturé et chassé par le pouvoir sunnite en place, il s’était juré, à la suite de son père (Hafez El Assad) de rendre la pareille aux mécréants. S’ajoutant à l’ardue cohabitation entre les deux fratries du fait de la domination macabre des seconds, son accession au trône suprême ne pouvait qu’accélérer cette scission (pour plus de précisions, voir ce dossier de Courrier International et celui-ci du Point). Mais plus que ce passé si difficile, ce qui intéresse davantage le réalisateur est comment se réapproprier sa nationalité quand tout concourt à rendre apatride L’Humain dans une Nation devenue inapte juridiquement. Qui ne sait respecter et valoriser son identité au point de l’anéantir, ne peut aucunement se considérer comme patriote. Il ne suffit pas d’user de la persuasion et de la force pour affirmer son entité, et les antécédents dictatoriaux tendent à nous le démontrer.

Aux moyens de vidéos amateurs et de petites caméras nous est alors montrée la pure abjection d’un régime sans scrupules, éliminant la moindre contestation revendicative. Ce qui n’était au départ qu’une légitime aspiration démocratique à plus de liberté, se change subitement en révolte populaire face à tant d’ignominies. Corps sans vie ensanglantés, sévices traumatisants et exécutions sommaires sont ici restitués sans filtre, avec une brutalité écœurante (une insistance peu opportune sur cette horreur dévitalise par ailleurs la force du propos). Choquant mais nécessaire pour nous secouer. Filmées caméra à l’épaule, ces séquences interpellent notre représentation du réel, et nous font reconsidérer avec vigilance la violence fictionnelle.

La maitrise de ces outils est encore plus rehaussée par la correspondance lumineuse qu’entretiennent le documentariste et son homologue resté au pays, fruit d’un dialogue permanent interrogeant avec acuité le présent incertain et l’avenir indéfinissable. Ou la mort fait partie intégrante d’un processus de réhabilitation et la peur n’empêche pas le courage. C’est aussi et surtout l’illustration que les pouvoir du cinéma et de l’imagination resteront toujours plus fort symboliquement que le sens de la vie. Agrémentées de chansons et de poèmes de L’Ancien Mythe Perse, ils accompagnent magnifiquement la traversée éprouvante des deux comparses. Nourri de références aux cinématographes d’avant-guerre et à ses codes culturels occidentaux (Charlie Chaplin, Hiroshima Mon Amour, Edith Piaf), il frappe aussi par sa similitude avec des archives historiques des charniers et des pogroms de l’époque soviétique et nazie. Un champ lexical proche de la Solution Finale dont nous avait plus habitués jusqu’à présent les récits de Claude Lévi-Strauss et Primo Lévi. Signe que la barbarie prend aujourd’hui d’autres formes mais qu’elle reste bien présente à nos portes.

Synopsis : En Syrie, les Youtubeurs filment et meurent tous les jours. Tandis que d’autres tuent et filment. A Paris, je ne peux que filmer le ciel et monter ces images youtube, guidé par cet amour indéfectible de la Syrie. De cette tension entre ma distance, mon pays et la révolution est née une rencontre. Une jeune cinéaste Kurde appelée Simav (« eau argentée » en kurde) qui lui demande : de Homs m’a « Tchaté » : « Si ta caméra était ici à Homs que filmerais-tu ? » Le film est l’histoire de ce partage.

Extrait: Eau argentée, Syrie autoportrait 


Fiche technique : Eau argentée, Syrie autoportrait

Sous-titré « Mille et une histoires par mille et un Syriens »
Auteur : Ossama Mohammed (Étoiles de jour, Sacrifices)& Wiam Simav Bedirxan
Image: Wiam Simav Bedirxan, thousand Syrians & Ossama Mohammed
Son : Raphael Girardot
Direction de production : Camille Laemlé & Martin Berthier
Montage : Maïsoun Assad
Musique Originale : Noma Omran
Mixage : Jean-Marc Schick
Producteur exécutif : Les Films d’Ici (Serge Lalou & Camille Laemlé) & PROACTION FILM (Orwa Nyrabia & Diana El Jeiroudi) en association avec Arte France- La Lucarne – Chargé de programme Luciano Rigolini
Version originale : Arabe
Version Disponible : VOSTVF – VOSTA
Durée : 90′
Format : HD

Auteur : Le Cinéphile Dijonnais (Sabri)