Les années 2010, nouvel âge d’or pour la science-fiction ? Le nombre impressionnant et la relative diversité des films du genre, sortis ces dix dernières années pour le meilleur comme pour le pire, permet de l’envisager. Une période marquée par un essor fulgurant des blockbusters, une reprise assumée d’anciennes franchises et quelques, mais très intéressantes, propositions d’auteur originales ou avant-gardistes. Alors que les grosses productions reprennent, recyclent, des cinéastes novateurs osent et créent. Un double mouvement concomitant qui fait aujourd’hui de la science-fiction un genre hybride, souvent balisé, parfois inventif, entre renouveau et recommencement.
L’adaptation des sagas adolescentes
Après le vide laissé par la fin des Harry Potter et des Twilight, les années 2010 ont poursuivi la production de films de science-fiction dédiés aux adolescents. En puisant dans le solide terreau de la littérature de jeunesse, ils ont adapté pas moins de quatre sagas connues en dix ans. Un moyen efficace et affiché pour chercher le public parmi les nombreux lecteurs. Pourtant, les gains obtenus n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes et des investissements. Les objectifs purement mercantiles des productions, traduits notamment dans la politique du « découpage » factice des opus, ainsi que la baisse d’intérêt des spectateurs, ont en effet provoqué de belles chutes d’entrées en salles. Petit retour sur cette décennie des franchises ados.
Le bal s’est ouvert avec un certain panache en 2012 avec la sortie de Hunger Games. Une adaptation fidèle qui a le mérite de ne pas être inintéressante dans son approche politique. Le premier volet dénonce l’organisation d’un système, le deuxième sa violence, le troisième sa propagande et le quatrième des opportunistes guettant sa chute. Même si on regrette la division en deux, pas très heureuse, du dernier livre Hunger Games : la révolte, les films parviennent à mêler action et dénonciation, avec comme figure de proue une héroïne forte, bornée, modèle de courage et de combativité. Entre 2012 et 2015, Hunger Games a connu un bon succès et reste certainement la saga ado la plus aboutie de la décennie.
A partir de 2014, deux nouvelles adaptations apparaissent à l’écran : Divergente et Le Labyrinthe. Deux séries qui ont connu une fin plus que mitigée. Malgré deux premiers films divertissants et plutôt réussis, les deux sagas se sont enlisées à leurs troisièmes opus. Perte d’entrées et mauvaise presse pour le Labyrinthe : remède mortel (2018) tout comme pour Divergente : au-delà du mur (2016). Pire, la saga Divergente restera inachevée, faute de nouveau à un découpage de son dernier livre en deux films, dont le second ne sera jamais tourné. Les deux univers post-apocalyptiques de Divergente et du Labyrinthe présentaient tout de même quelques attraits à travers respectivement la répression de la différence et la mythologie. Leurs personnages et leurs récits n’ont toutefois pas été suffisamment à la hauteur pour conserver le public.
Enfin en 2018, Darkest Minds : rebellion entame la transposition à l’écran de la série Les Insoumis d’Alexandra Bracken. Les enfants ne sont plus classés en cinq factions selon leurs aptitudes, comme dans Divergente, mais en cinq couleurs en fonction des pouvoirs qu’ils ont obtenus après leur contamination par un virus inconnu. L’avenir de cette nouvelle série se dessinera lors de la prochaine décennie.
Le retour aux sources des franchises
Les années 2010 restent avant tout celles des franchises, reprises, recommencées, continuées de toutes les façons possibles, avec plus ou moins d’intelligence, mais relativement peu d’inventivité. Il est assez frappant de remarquer que toutes les sagas cinématographiques d’anthologie ont été retouchées et utilisées comme une vraie poudre à canon, ou aux yeux, au cours de cette décennie. Entre autres La planète des singes, Men in Black, Alien, Predator, Star Trek, X-men, Jurassic Park, Mad Max, Terminator et bien sûr… Star Wars.
Cette volonté affichée de renouer avec ce qu’on pourrait appeler « le répertoire classique » de la science-fiction a suscité tantôt engouement tantôt déception. Car le public n’est pas dupe. Si personne ne peut résister à l’envie de voir un nouveau Star Wars, Mad Max ou Star Trek, il faut évidemment que le film soit réussi, qu’il reste dans l’univers de la saga tout en proposant autre chose. Et c’est bien là que le bât blesse. Avec ce type de blockbusters, la science-fiction est devenu un genre cyclique, le cinéma un éternel recommencement, une tête de serpent qui se mord la queue. Le constat est le même pour les remakes, tels Total recall : mémoires programmées (2012), Godzilla (2014), Ghost in the Shell (2017). Une telle politique connait ses limites, avec ses échecs et ses réussites.
Parmi les succès, et malgré les partis pris controversés du Dernier Jedi, Star Wars, dont on attend prochainement le neuvième épisode, reste en figure de proue. X-Men, après un très bon X-men : First class en 2011, a progressivement perdu sa vitesse, jusqu’à son X-men : Dark Phoenix plutôt décevant. Star Trek a également su proposer un intéressant et sombre Star Trek : Into Darkness en 2013 avant un moins convaincant Star Trek : sans limite en 2016. Jurassic World a repris avec un certain panache le monde de Jurassic Park, en particulier grâce à la réalisation d’un Antonio Bayona inspiré sur Jurassic World : Fallen Kingdom. Mentionnons aussi l’intéressante trilogie de La planète des singes sortie entre 2011 et 2017, dotée d’un récit intelligent et sublimée par la technique de la motion capture. Et enfin, impossible d’oublier l’incroyable Mad Max : Fury Road (2015) aux courses poursuites désertiques phénoménales.
Au sein des déceptions, difficile de ne pas évoquer la quasi tragédie de la saga Alien. En 2012, Ridley Scott soumet au public le début d’un nouveau récit portant sur les origines d’Alien, Prometheus. Un film d’horreur qui porte une réflexion sur la création et la civilisation humaine. Le projet, pourtant original, n’a malheureusement pas trouvé l’adhésion des spectateurs. Faute de profit commercial, le réalisateur a été contraint de revenir en 2017, avec Alien : Covenant, à une œuvre plus balisée dont les thèmes du double et du rapport créateur/créature sont moins aboutis. Une grosse déception malgré la bonne performance de Michael Fassbender.
Au summum des suites ou de reprises ratées de franchises, il faut citer Men in Black, dont le troisième volet comme le dernier Men in Black international n’ont absolument rien de neuf à nous mettre sous la dent. Même constat pour Terminator, qu’il s’agisse de Terminator Genesys (2015) ou de Terminator : Dark Fate (2019).
La diversité des blockbusters hollywoodiens
En dehors des franchises, les blockbusters de science-fiction se sont démultipliés dans la dernière décennie. Bons ou mauvais, ils explorent et combinent le genre avec un traitement horrifique (Life, origine inconnue, 2017), romantique (Upside Down, 2013 ; Passengers, 2016), ou privilégient l’action (Edge of tomorrow, 2014 ; Seven Sisters, 2017 ; Gemini Man, 2019). Ils continuent d’adapter des livres, des bande-dessinées et des mangas connus de la littérature (Valérian, 2017 ; Mortal engines, 2018 ; Alita, Battle angel, 2019). Même Disney s’est essayé au film de science-fiction (A la poursuite de demain, 2015).
Parmi les blockbusters des années 2010 méritant le coup d’œil (ceux portant une empreinte d’auteur seront cités avec ci-dessous dans la science-fiction d’auteur), retenons Edge of Tomorrow (2014), Seul sur Mars (2014) et Alita, Battle Angel (2019). Cette décennie a également été bien chargée en nanars, ratés et déceptions divers et variés, notamment Cowboys et envahisseurs (2011), Source code (2011), After Earth (2013), La stratégie Ender (2014), Lucy (2014), Transcendance (2014), Jupiter : le destin de l’univers (2015), Independance day : resurgence (2016), Kin : le commencement (2018), Pacific rim : uprinsing (2018).
Toutefois certains blockbusters, lorsqu’ils sont réalisés par un cinéaste talentueux, inventif ou visionnaire, acquièrent une dimension supplémentaire en devenant de véritables propositions de cinéma.
Le renouveau de la science-fiction d’auteur
Les grands réalisateurs sont loin d’avoir délaissés la science-fiction lors des années 2010. Les habitués ou spécialistes du genre ont marqué la décennie par de très bons films. Steven Spielberg a signé un excellent Ready Player one (2018), J.J. Abrams un envoûtant et nostalgique Super 8 (2011), Guillermo del Toro un étonnant Pacific Rim (2013), les Wachowski un superbe et philosophique Cloud Atlas (2013).
Des cinéastes renommés ont d’ailleurs fait leurs premiers pas dans le monde de la science-fiction, tels Jeff Nichols avec Midnight special (2016), Lars von Trier avec Melancholia (2011), Bong Joon-ho avec Snowpiercer (2013), James Gray avec Ad Astra (2019). Sans oublier évidemment Christopher Nolan avec Inception (2010) et Interstellar (2014), puis Denis Villeneuve avec Premier contact (2016) et Blade Runner 2049 (2018).
Les années 2010 ont ainsi été marquées par l’appropriation de la science-fiction par de célèbres réalisateurs qui ont réussi à imposer leur marque, à faire du genre autre chose que des franchises et des récits déjà vus. Elles se caractérisent par un recentrage sur l’intériorité, la psychologie des protagonistes. Chez Nolan, Villeneuve ou Gray, sortir du monde connu permet aux personnages de partir en quête d’eux-mêmes et d’accéder à une forme de réconciliation ou de rédemption. La science-fiction reste aussi, encore et toujours, l’occasion de dénoncer des fractures sociales, l’isolement des marginaux relégués à une partie d’une cité (Ready Player one, Mortal engines), voire d’un train (Snowpiercer). Si la science-fiction est devenue plus intimiste, elle n’en néglige pas pour autant les problématiques de nos sociétés modernes.
Aussi, la science-fiction s’apparente désormais à un genre incontournable, presque une étape obligatoire dans la filmographie de tout bon réalisateur. La France semble d’ailleurs avoir pris conscience de ce mouvement en produisant davantage de films de science-fiction ces dernières années, comme Lucy (2014), Valérian (2017), Dans la brume (2018), ou en coproduction, Zero Theorem (2013), High Life (2018).
D’autres cinéastes se sont fait connaître lors de cette décennie, en particulier Neill Blomkamp grâce à son Elysium (2013) et son Chappie (2015), ou encore Alex Garland avec Ex Machina (2014) et Annihilation (2018). Deux réalisateurs prometteurs dont on peut espérer de prochains films passionnants.
Au cours des années 2010, des propositions uniques et ambitieuses ont également vu le jour. Citons notamment l’étonnant Oblivion (2013), le labyrinthique Looper (2014), le magnétique et mystérieux Under the Skin (2014), l’émouvant Her (2014), le prenant 10, Cloverfield Lane (2016), ou encore, le récent Captive state (2019). Des films fascinants, invitant à la réflexion, susceptibles d’accorder à la science-fiction un avenir renouvelé à l’ère des blockbusters standardisés. Car si la décennie 2010 reste celle de la renaissance des franchises, elle deviendra peut-être aussi celle de la naissance de films plus indépendants, qui pourront très bien tirer leur épingle du jeu.