Une fois n’est pas coutume l’un des événements cinématographiques majeurs de ce mois n’a pas eu lieu dans les salles de cinéma, mais sur les plateformes de VOD. Débarqué sur Netflix le 12 mars après s’être vu refuser par la Paramount une sortie en salle, Annihilation est le deuxième film du Britannique Alex Garland. Après avoir fait forte impression avec son coup d’essai, Ex Machina, le scénariste de plusieurs films de Danny Boyle (28 jours plus tard, Sunshine) a-t-il réussi à renouveler son exploit. Rien n’est moins sûr, surtout lorsque l’on voit les deux avis diamétralement opposés de la rédaction.
Synopsis : Depuis des mois, Léna, professeur de biologie à l’université John Hopkins, n’attend plus son mari Kane, militaire parti en mission secrète et dont elle n’a plus aucune nouvelle. Convaincue de son décès, elle est d’autant plus surprise de le voir apparaître d’un coup à la porte de sa chambre. Mais il semble étrange, ses propos sont incohérents, il a même oublié comment il est arrivé là.
L’avis très enthousiaste de Hervé
Les premières minutes du film nous plongent d’emblée dans une ambiance de mystère qui restera un des points forts d’Annihilation. Léna (Natalie Portman) est interrogée par un homme en combinaison NBC dans une chambre d’isolement, et elle ne peut pas répondre aux questions qu’on lui pose. Pourquoi elle a disparu pendant 4 mois alors que, pour elle, seules 2 semaines se sont écoulées ? Pourquoi elle ne se souvient pas d’avoir mangé ? Où ont disparu les autres personnes qui l’accompagnaient ?
L’une des forces évidentes d’Annihilation, c’est d’avoir créé un univers énigmatique, un monde de tous les possibles. A partir du moment où l’équipe rentre dans la région du Miroitement, le monde semble échapper aux règles habituelles de la physique. Toutes les lois qui sont à la base de nos sciences modernes sont chamboulées. L’impossible se produit sans cesse, comme si la nature était atteinte de démence. L’ADN de plantes et d’humains se mélangent. Des animaux étranges et inattendus apparaissent, mariages improbables de races qui ne devraient pas aller ensemble.
Bien entendu, pour un cinéaste doté d’un tantinet d’imagination, un tel postulat de départ est un don du ciel. Et Alex Garland s’en donne visuellement à cœur joie, nous offrant des images magnifiques de plantes à forme humaine ou de cerfs blancs de toute beauté. Il sait tirer partie de la liberté visuelle que lui confère le scénario sans en faire trop, sans nous inonder de CGI, parce que là n’est pas le propos du film. Les trucages sont mis au service de l’histoire, et non pas l’inverse.
Mieux : Garland parvient à instaurer une ambiance à la fois poétique et inquiétante. Le film est en équilibre constant entre l’horreur et le contemplatif, le beau et l’angoissant. Et c’est justement par son questionnement, par son aspect énigmatique, que le film parvient à être aussi anxiogène. L’absence d’explications, l’ambiance musicale, la nature atteinte de folie, l’imprévisibilité, tout contribue à cette atmosphère morbide contrebalancée par les indéniables qualités esthétiques.
« C’était fantasmagorique.
_ Cauchemardesque ?
_ Pas toujours. Ça pouvait aussi être beau parfois. »
Annihilation joue aussi beaucoup sur une assimilation entre la nature et les personnages eux-mêmes, jouant sur une similarité entre macrocosme et microcosme. En gros, ce qui arrive en géant, au niveau de la nature, arrive aussi en petit au niveau des humains. Les mutations qui bouleversent les règles de la nature affectent aussi les humains. Le code génétique des personnages change, les empreintes digitales bougent, même les entrailles sont en mouvement. La folie qui gagne la nature atteint aussi les humains ; des esprits habitués à un monde cartésien ne peuvent supporter que toutes les lois de la physique et la biologie soient changées d’un coup.
Là où l’assimilation entre la nature et les humains est la plus visible, c’est dans la comparaison avec le cancer. Au début du film, Léna donne son cours de biologie et on peut y voir des cellules qui se divisent. Symbole de la vie… ou de la mort, puisque ces cellules sont des tumeurs malignes. Et cette image de la tumeur cancéreuse qui se répand va être constamment associée aux personnages principaux (une fille morte de leucémie, un des membres de l’équipage mourant d’un cancer) et à la nature. « On parlerait de pathologie si on voyait ça sur un humain », dira Léna, avant d’affirmer, plus loin : « des mutations. Malignes, comme des tumeurs. » Ainsi, comme le cancer est une mutation des cellules vivantes, ce qui arrive dans le Miroitement est une mutation de la nature. Une forme d’auto-destruction inscrite en chaque cellule.
Cette folie semble carrément atteindre le film lui-même, en particulier dans sa gestion de la chronologie. On sait vite que le déroulement du temps est affecté sous le Miroitement, et tout cela semble avoir aussi de l’influence sur le récit. Les flashbacks viennent de façon imprévisible et illogique, comme si l’ensemble du long métrage était affecté également.
Hélas, il faut compter quand même quelques défauts au film de Garland. Les personnages sont trop transparents, dessinés d’un minuscule trait de plume. La fin est plutôt décevante aussi. Mais dans l’ensemble, Annihilation nous propose un voyage original, inattendu et beau dans un monde de folie et de poésie, et Garland nous montre avec plaisir ce qu’un cinéaste peut faire avec une telle liberté.
Dire que Alex Garland était attendu au tournant est un euphémisme, après le beau petit succès que fut Ex Machina. À cela s’ajoute les premières images prometteuses de Annihilation, le tout couplé à un pitch des plus énigmatiques. Si le deuxième essai du Britannique arrive à faire illusion quelques instants avec cette ONG au but mystérieux ou encore cet inattendu retour du mari perdu, l’esbroufe va très vite prendre le dessus. Cela se manifeste dès la mise en place du monde appelé le Miroitement. Un monde où tout être vivant semble pris dans un cycle de mutation et de mélange permanent, où l’ADN se réfracte (oui, oui , vous avez bien entendu, l’ADN a les propriétés d’une onde et peut se réfracter), les crocodiles se voient affublés d’une dentition de requin, les ours se mettent à pousser des cris de femmes en détresse ou les plantes développent un certain anthropomorphisme. Plus aucune règle scientifique ne semble être en vigueur et le pire, c’est qu’une biologiste soi-disant émérite comme le personnage de Lena incarnée par Natalie Portman semble très vite s’en accommoder. Il suffit de voir sa réaction lorsqu’on lui annonce que l’ADN se réfracte, on dirait qu’on vient de lui annoncer la météo.
C’est d’ailleurs assez cocasse de la part de Garland de traiter d’un univers appelé le Miroitement, alors que lui-même essaie de nous faire miroiter une impression de profondeur dans son film de science-fiction aussi subtil qu’un défilé du carnaval de Dunkerque. L’annihilation dans sa définition physique signifie la destruction totale, et la transformation de la masse en énergie. Alex Garland s’intéresse donc ici à la part auto-destructrice de chaque humain au travers de son commando spécial composé de 5 femmes. Là encore il suffit de voir la caractérisation des personnages pour s’apercevoir très vite que la fausse profondeur est une nouvelle fois de mise. Le développement des personnages hormis Léna qui en tant que personnage principal a quand même droit à un petit traitement de faveur, se résume la plupart du temps à une pauvre ligne expliquant un état de dépression, et de tendance à l’auto-destruction. Entre le personnage de Jason Leigh atteint d’un cancer, de celui ayant perdu sa fille ou encore de Tessa Thompson qui recherche la sensation d’être en vie au détour de scarifications, on doit se dire que là encore, on n’est pas allé très loin. Forcément, on leur ajoute encore une petite fonction scientifique pour faire illusion, comme la géomorphologue dont les talents auront été inutiles, avant de s’en débarrasser pour la plupart comme des malpropres.
Difficile donc de se sentir un tant soit peu concerné par l’expédition de ces 5 femmes dans le Miroitement. Là encore, Garland n’a pas vraiment eu la volonté de faire vivre cette aventure. En utilisant un schéma narratif vu et revu (Léna racontant ses péripéties en étant interrogée dans une salle d’isolement), le cinéaste britannique nous embarque dans un voyage qui devient très vite ronflant. Garland essaie tant bien que mal à nous sortir de la torpeur au travers de moments horrifiques mais qui semblent la plupart du temps inappropriés dans cette tambouille philosophique sur la vie et la mort. S’il arrive parfois à nous impressionner avec quelques idées visuelles sympathiques (on pensera au corps humain devenu une explosion fongique multicolore), certaines moments sont quant à eux plutôt gênants (on pensera par exemple aux séquences d’adultères ou encore à celle de la fusillade de l’ours). Au niveau de la direction artistique là aussi, difficile de donner raison à ceux qui scandent haut et fort que Annihilation est l’un des plus beaux films de ce début de siècle. Encore une fois, ce petit filou de Alex Garland nous fait miroiter quelques petits effets chromatiques pour essayer de faire crier tout le monde au trip esthétique. Mais on n’est pas dupe et l’abondance de lens flares a certainement dû griller la rétine de bon nombre de spectateurs.
Comme on pouvait s’y attendre, tous ces défauts se rejoignent dans le climax du film. Outre le fait qu’il semble être une version S-F pompeuse de Possession de Zulawski, la fin du film enchaîne mauvais choix sur mauvais choix, mais le pire c’est que tout cela semble inévitable. Comme si le film lui-même était dès le départ pris dans un cycle d’auto-destruction, on pourrait presque se lever et saluer la performance méta de Garland. Au final la meilleure illustration de l’annihilation est Annihilation lui même.
Annihilation – Bande Annonce
Annihilation – Fiche Technique
Scénario et réalisation : Alex Garland, d’après le roman de Jeff Vandermeer
Interprétation : Natalie Portman (Léna), Jennifer Jason Leigh (Dr Ventress), Tuva Novotny (Sheppard), Tessa Thompson (Josie), Gina Rodriguez (Anya), Oscar Isaac (Kane).
Musique : Ben Salisbury, Geoff Barrox
Photographie : Rob Hardy
Montage : Barney Pilling
Production : Scott Rudin, Andrew Macdonald, Allon Reich, Eli Bush
Sociétés de production : DNA Films, Paramount Pictures, Scott Rudin Productions, Skydance Media
Société de distribution : Netflix
Date de diffusion : 12 mars 2018
Genre : fantastique
Durée : 115 minutes
États-Unis- 2018