Jupiter le destin de l’univers : une histoire à la fois trop et pas assez ambitieuse
Synopsis : des extraterrestres tentent d’assassiner Jupiter Jones (Mila Kunis), femme de ménage d’origine russe. La raison : elle est la réincarnation de la matriarche du millénaire clan Abrasax, qui possède de nombreuses planètes, dont la terre qui lui revient en héritage, ce qui pourrait modifier les équilibres de pouvoir entre les trois frères et sœurs. Son chemin pour réclamer son titre sera dangereux : elle pourra heureusement compter sur la protection de Cain Wise (Channing Tatum), un chasseur de prime aux talents légendaires.
Le cinéma d’auteur des Wachowski
Les Wachowski sont un cas à part dans l’industrie cinématographique. Après le succès du premier Matrix, tout le monde pensait assister à l’arrivée de nouveaux Steven Spielberg, capables de produire des films intelligents, spectaculaires et grand public. La cassure s’est pourtant opérée dès Matrix Reloaded et Revolutions : malgré des scènes épatantes comme celle de l’autoroute où de l’attaque des machines, le public n’a pas compris ou tout simplement pas aimé la direction prise par le scénario. La confiance n’a jamais été redonnée à Andy et Lana : Speed Racer a été un terrible échec, Cloud Atlas aussi (mais sur un sujet plus difficile). Jupiter : le destin de l’univers (un titre français assez étrange puisqu’il n’est question que de celui de la Terre) est peut-être leur dernière chance de réaliser un énorme blockbuster.
Ce projet a été lancé à une époque où chaque studio voulait un gros projet de science-fiction, ce qui en terme de box-office a donné des drames (John Carter, la stratégie Ender) des petites réussites (Edge of Tomorrow ou Pacific Rim, rentables grâce à l’international) et peu de gros cartons (les Gardiens de la galaxie, Interstellar). Malgré une bande annonce présentée fin 2013, le film n’est sorti qu’en ce début d’année dans un climat de scepticisme global.
Pourquoi ? Peut-être est-ce parce que malgré leur caractère grand public, les films des Wachowski sont des films très personnels, avec des thématiques fortes et récurrentes : volonté de mettre en avant des figures féminines fortes, intérêt pour l’idée de réincarnation et de destinée, lutte contre le capitalisme mangeur d’hommes, ou même cette étrange fascination pour les scènes qui se déroulent dans des toilettes. Même quand ils adaptent un matériel déjà existant, leur double casquette de réalisateur et de scénariste fait que l’on reconnaît immédiatement leur style, qui, on l’a vu fascine autant les uns qu’il ne repousse les autres.
Depuis Matrix Reloaded, les Wachowski ont la fâcheuse tendance à en vouloir trop oubliant le dicton : « le mieux est l’ennemi du bien ». En multipliant les épisodes sans les développer, ils créent un sentiment de trop et de trop peu chez le spectateur. On se souvient de l’épisode complètement bâclé de la synchronisation des trois capitaines dans Matrix Reloaded, de la dernière course de Speed Racer, ou des six segments qui composaient Cloud Atlas, chacun ayant assez de substance pour être un long métrage.
Une fois encore, il y a deux histoires dans les deux heures de Jupiter. La première est tout simplement un remake de Matrix : comme Néo, Jupiter l’élue exerce un travail qui l’abrutit et ne la laisse même pas rêver d’un avenir meilleur. Alors que des puissances supérieures veulent la tuer, elle est sauvée par un personnage mystérieux qui l’a cherchée toute sa vie et qui va lui révéler non seulement que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, mais qu’elle se trouve au centre de tous les conflits.
Lorsque Cain et Jupiter arrivent à quitter la terre, le film bascule dans une deuxième histoire, celle de l’ascension promise par le titre américain. Mila Kunis va y rencontrer les trois membres de la famille Abrasax. Si les Wachowski disent s’être inspirés du magicien d’Oz, dans cette structure où Jupiter / Dorothy va d’un endroit étrange à l’autre alors qu’elle n’aspire qu’à rentrer chez elle, il est clair que nous sommes plus dans une structure d’album jeunesse que dans un scénario classique de film d’action. En effet chaque rencontre de Jupiter avec un Abrasax se déroule suivant le même schéma : elle se fait capturer, subit un moyen de pression différent, hésite, semble prête à accepter d’abdiquer son pouvoir quand arrive Channing Tatum pour la délivrer. Si Mila Kunis s’affirme un peu plus à chaque étape, elle reste malgré tout une demoiselle en détresse, ce qui est un peu surprenant voire décevant de la part des Wachowski.
Coïncidence intéressante, les trois Abrasax rappellent les trois Satan qui rendent visite à Baudelaire dans le poème : les tentations ou Eros, Plutus et la gloire : Kalique qui insiste sur le prestige de la famille pourrait être la gloire, Titus qui tente de la séduire serait Eros, et Balem serait Plutus, lui qui domine les peuples et les considère comme des matières premières à exploiter. Si cette comparaison n’était pas forcément à l’esprit des Wachowski (encore qu’il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’ils aient lu Baudelaire), elle marque le fait que l’ascension de Jupiter n’est pas à prendre au sens de la puissance mais de la morale : Jupiter résistera-t-elle à la tentation de devenir maître du monde où restera-t-elle la même ?
Ce mélange d’enjeux moraux et de space opéra aurait pu créer une trame passionnante : il représente pourtant le grand échec du film. Les Wachowski sont passés maîtres dans l’art de créer des situations intéressantes qu’ils vont exploiter d’une manière surprenante voire décevante. A l’image d’une trilogie Matrix qui nous laissait croire à un hymne à la rébellion pour aboutir à un traité sur la liberté et la nécessité, Jupiter pose tous les éléments d’une lutte de pouvoir façon Trône de fer entre les Abrasax avec une héroïne qui servirait d’arbitre, reprenant peu à peu sa place de matriarche, et décide de ne rien en faire, chaque personnage secondaire disparaissant dès lors qu’il a accompli sa tâche.
Un choix qui a le malheur de donner l’impression d’un film à la trop rempli (deux intrigues), trop répétitif (situations qui se répètent) et trop vide (impression finale de tout ça pour ça).
Un film d’un mauvais goût somptueux
Cette idée de trop et de trop peu transparaît aussi dans la réalisation. Si Jupiter est le plus conventionnel des films des Wachowski, il contient malgré tout plus d’idées visuelles que la plupart des blockbusters de l’année dernière mis bout-à-bout. Les deux réalisateurs ne se donnent pas de limite, et surtout pas celle du bon goût, multipliant les ambiances toutes plus grandiloquentes les unes que les autres. On y voit des chasseurs de prime tout droit sortis d’un clip de Rob Zombie, des palais galactiques de style renaissance ornés de statues dépassant la dizaines de mètre, un dédale administratif digne de la maison des fous d’Astérix, des méchants dinosaures, des abeilles et un méchant qui se fait transporter tel un phararon égyptien. On se trouve constamment dans un univers qui évoque aussi bien les bande dessinée publiées dans Métal Hurlant qu’un défilé de mode galactique.
Si Jupiter, le personnage principal, est malheureusement fade dans sa caractérisation et son interprétation, les deux personnages les plus intéressants, Balem et Caine, se caractérisent par ce mélange de mauvais goût absurde et de démesure.
Eddie Redmayne vient de gagner l’oscar du meilleur acteur, mais ce n’est pas pour son interprétation de Balem. Plus cruel que les cruels, et en même temps fils fragile aux pulsions oedipiennes, il est incarné d’une manière ultra-cabotine, son visage passant par toutes les expressions dans son décor de gaz et d’or. On ne pourra pas reprocher cet excès d’expressivité à Channing Tatum dont le principal jeu d’acteur dans ce film est lié à son beau torse musclé. Le génie de son personnage d’homme chien aux oreilles d’elfe tient à un accessoire aussi fantastique que navrant : des patins anti-gravité. Ces chaussures lui permettent de voler, d’avancer plus vite, et de marcher sur les murs, permettant des chorégraphies intéressantes et surtout une verticalité et une utilisation de l’effet de profondeur de la 3D qui sont au cœur de la meilleure scène d’action du film. Affrontant des chasseurs de prime dans le ciel de Chicago, sauvant une Jupiter en chute libre constante, volant d’un vaisseau à l’autre, Caine virevolte à l’écran dans une séquence complètement folle qui nous rappelle que, quand ils le veulent, les Wachowski n’ont que peu de rivaux d’un point de vue visuel.
Si l’idée de ces chaussures est remarquable, pourquoi avoir absolument tenu à ce que Channing Tatum mime des mouvements de patins à roulette, le torse nu sous son imperméable, ce qui lui donne l’aspect et la démarche d’un héros de série B des années 80 ?
Dernier reproche enfin que l’on pourra faire : le film manque d’une certaine gradation dans l’action : aucune scène de la seconde partie ne sera à la hauteur de ce que l’on a vu dans la première. On verra pourtant bien Channing Tatum affronter des milliers de drones ou provoquer la destruction d’une ville entière suite à un enchaînement assez hasardeux, mais toutes ces scènes semblent un peu précipitées, comme si toutes les idées avaient été épuisées dans la conception des décors.
Jupiter : le déclin des Wachowski
Si les Wachowski comptaient sur Jupiter : le destin de l’univers pour se relancer, son échec critique et publique pourrait signifier la fin de leurs ambitions. Pourtant, malgré ses énormes défauts, il s’agit d’un film attachant, car ses auteurs ont des idées et du talent.
Il est d’ailleurs intéressant de le comparer aux Gardiens de la galaxie : là où Marvel a trouvé la stratégie adéquate pour vendre un film classique mais parfaitement écrit et exécuté, la Warner n’a pas su intéresser le public pour un film qui oscille constamment entre le sublime et le ridicule, tiraillé entre sa volonté d’écriture Hollywoodienne classique et une ambition démesurée.
Il s’agit donc d’un film auquel on ne peut objectivement pas donner une très bonne note mais que l’on a malgré tout envie de vous conseiller, parce que les Wachowski sont ces créateurs de prototype qui ne fonctionnent pas toujours vraiment mais qui préfigurent du futur.
Espérons donc qu’en passant au format série avec Sens8 pour Netflix, prévu pour mai – juin de cette année, ils nous donnent quelque chose que nous puissions aimer sans réserve, comme si l’on était de nouveau en 1999.
Jupiter : Bande annonce
Fiche Technique : Jupiter : le destin de l’univers
Etats-Unis – 2015
Titre original : Jupiter ascending
Réalisation: Andy et Lana Wachowski
Scénario: Andy et Lana Wachowski
Interprétation: Mila Kunis (Jupiter), Channing Tatum (Caine Wise), Eddie Redmayne (Balem Abrasax), Douglas Booth (Titus Abrasax), Tuppence Middleton (Kalique Abrasax)
Date de sortie: 4 février 2015
Durée: 02h07
Genre : Science fiction, space opera
Chef-opérateur: John Toll
Compositeur : Michael Giacchino
Monteur : Alexander Berner
Producteur: Grant Hill, Andy et Lana Wachowski
Production: Village Roadshow Pictures, Warner Bros