Alors que Le Magduciné a récemment donné sa liste des 15 personnalités qui avaient brillé durant cette année 2019, certains membres de la rédaction présentent cette fois ci, les scènes marquantes de cette belle et protéiforme année de cinéma. De Parasite aux Misérables, de Une Vie Cachée à Once Upon a Time in Hollywood, 2019 nous a gâtés.
1. Meilleure scène de danse :
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Mektoub (lol) (non) → Le Traître de Marco Bellocchio
Le Traître s’ouvre et se ferme par des chants et des danses. D’abord, la grande réception, le faste banquet où des dizaines de magnats de la pègre se réunissent dans un manoir en bord de plage, surveillé par des gardes. Les robes ostentatoires tournoient, les cigares et les coupes de champagne se comptent par centaines, l’anachronisme volontaire de cette mafia s’attachant à perpétuer ces cérémonies traditionnelles d’un autre temps illustrant à la fois la richesse de ces familles et le décalage quasi absurde d’avec des années 80 loin de toutes ces facéties. Le film dépeint ensuite leur chute, pour se clôturer, une fois la destruction accomplie, sur un repas d’anniversaire miteux, dans une salle des fêtes trop grande et trop vide, où ces mêmes personnes – du moins, celles qui restent – n’ont plus rien d’élégant ou de faste, réduites à une condition de « messieurs tout-le-monde » au détour d’un karaoké gênant et de danses qui n’ont plus rien d’anachronique. Leur monde s’est écroulé, avec lui leurs richesses et leurs manières, pour ne laisser que des hommes sans carapace perdus dans la petitesse de leur vie et de leur époque.
Jules Chambry
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La danse avec les morts dans la boite de nuit d’Atlantique de Mati Diop
Une scène de fête étrange entre des femmes possédées par l’esprit d’hommes partis sur la mer, hallucinante. Elle construit en quelque sorte tout l’esprit du film, ce mélange de real life, de galère et de fantastique, cette incursion d’un monde parallèle dans une réalité bien triste.
Chloé Margueritte
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Rocketman de Dexter Fletcher
Au milieu du festival musical prodigué par ce flamboyant biopic, on ne pouvait pas passer à coté de son autre gros morceau, par ailleurs devenu inhérent à Elton John : son sens du rythme et sa gestuelle. Véritable showman par excellence, le chanteur britannique aura ainsi brillé de nombreuses fois sur scène mais pas seulement. En atteste ce sublime moment hors du temps, ou le jeune Elton, pas encore adolescent, s’initie à la musique et à ses pas légendaires sur le hit « Saturday Night’s Alright ». L’icone, alors campée par un jeune Kit Connor, arpente le bitume, saute, danse, se meut avec une assurance des grands soirs et semble déjà le maitre du dancefloor. Rien ne semble lui résister et c’est pas le charisme de l’acteur et le rythme absolument tétanisant et entrainant qui dira le contraire, tant la scène respire la frénésie comme seul du vrai rock’n’roll sait en donner.
Antoine Delassus
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Midsommar d’Ari Aster
A l’image de la globalité du film, la scène de danse qui définira la reine de Mai dans Midsommar, est une épreuve autant psychologique que physique. Cette scène, avec ses aspects folkloriques. qui ne fait tournoyer sur soi même, prolonge surtout petit à petit la folie et le clivage qui se traduisent entre les personnages. Presque au bout de l’effort physique, cette séquence est le point de départ de la liberté et la trouvaille d’une famille pour Dani.
Sébastien Guilhermet
2. Meilleure scène de combat :
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Les Misérables de Ladj Ly
Les affrontements sont la ponctuation des Misérables, parfois verbaux, parfois musclés, parfois tout en regards assassins. Mais tous ces petits combats d’ego participent d’une montée en tension exponentielle, qui finira par exploser dans un dernier acte chaotique. Dans les cages d’escaliers d’un immeuble de la cité de Montfermeil, une chasse à l’homme s’organise, des dizaines de jeunes cagoulés décident de faire de leurs paliers de portes les tombes de ces trois flics responsables de la défiguration de leur jeune ami. Des cadis remplis de ferraille sont lancés tels des tonneaux en feu, les cailloux pleuvent, les fumigènes crépitent, et l’issue semble inévitable. Admirablement filmée, cette scène est un sommet de dramaturgie qui marquera sans doute les mémoires du public français.
Jules Chambry
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Les Misérables de Ladj Ly
Un combat sans guerriers et perdu d’avance, un guet-apens, une soif de vengeance non sans rappeler le basculement dans la folie du Joker, mais là on est dans la vraie vie et on tremble aux côtés d’un personnage de flic aux prises avec la morale. Haletant.
Chloé Margueritte
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le climax de Rambo Last Blood de Adrian Grunberg
Au milieu des autres broutilles super-héroïques, l’année 2019 se sera avérée bien chiche en combat physique. Forcément, passé ce constat, quoi de plus réconfortant que de se retourner vers la scène qui aura peut-être le plus imprimé sa sauvagerie. Et à ce jeu, comment ne pas mentionner le climax sanglant du dernier opus de Rambo ? C’est simple, dans cette scène qui voit le gentil Rambo se voir assiégé par tout une tripotée de méchants mexicains, on assiste à rien de moins qu’à un remake pour adulte du culte « Maman J’ai Raté l’Avion ». La maison de l’ex-soldat étant truffée de pièges, le festival de viscères éclatées, têtes explosées et jambes arrachées commence bien vite et c’est avec un rare sens de la décadence que le cinéaste Adrian Grunberg filme ça, presque avec une volonté comique assumée. Le sang gicle de partout, la sauvagerie de Stallone se fait jour avec une rare intensité et on se surprend à voir un massacre pourtant prévisible nous surprendre tant il n’a pas lésiné sur les cadavres et autres joyeusetés mortifères.
Antoine Delassus
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Les Eternels de Jia Zhang-Ke
Les Eternels aura aussi fait parler de lui grâce à sa séquence de bagarre monumentale. La seule du film qui plus est. Un choc, les coups pleuvent, les lumières scintillent de mille feux, la caméra fait crépiter toute la violence et le bruit assourdissant des coups. Intense. Brutal.
Sébastien Guilhermet
3. Meilleure scène comique :
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Moussa « pouloulou » La vie scolaire
La vie scolaire détonne par des moments assez hilarant au milieu d’un constat amère sur l’éducation. Dans le film, les assistants d’éducation sont un peu à la ramasse (voire carrément hors la loi), sauf le grand Moussa, le gars du « quartier », le grand-frère qu’on dit à tous les CPE d’éviter d’embaucher. Le voilà repéré à plusieurs reprises dans un « gimmick » sur l’air « pouloulou ». Une petite bouffée d’air frais sur le monde de l’éducation nationale.
Chloé Margueritte
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le pétage de câble de Rick Dalton dans Once Upon A Time in Hollywood de Quentin Tarantino
Ça devrait être un moment dramatique pour le vétéran Rick Dalton qui voit ici son monde loin d’être idyllique s’effondrer à la suite d’une perte de mémoire ; mais pour le spectateur qui assiste à cette absence, c’est à n’en pas douter la scène la plus marrante de l’année, à la fois pour ce qu’elle montre et ce qu’elle ne montre pas. Puisque, à l’écran, on ne voit qu’un acteur clairement alcoolique qui s’emporte, beugle, vocifère avec tout un tas de noms d’oiseaux et qui rend hilare tant Leonardo DiCaprio est en feu. Ce que la scène ne montre pas en revanche, c’est tout son sous-texte, volontairement ironique en diable puisque on tient là l’un des meilleurs acteurs du monde, être engagé par un immense scénariste/cinéaste pour jouer le rôle d’un acteur pas loin d’être dénué de talent. Forcément, quand l’on pense à ça, le rire repart de plus belle puisque verser à tel point dans l’ironie est tellement grisant que ça en devient jubilatoire.
Antoine Delassus
4. La plus belle histoire d’amour de l’année :
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Portrait de la jeune fille en feu
Que dire de plus sur Portrait de la jeune fille en feu si ce n’est que Marianne et Héloïse sont deux amoureuses, deux égales magnifiques qui s’observent, se jaugent, dialoguent et se défient avec panache ? P. 28, quel meilleur moyen de répercuter la force d’un amour dans la vie de l’être qui a été « abandonné », tout à la force de son souvenir ? Une histoire qui fait « le choix du poète » pour notre plus grand bonheur de spectateur, une histoire d’amour en mouvement où chacune est actrice et non objet !
Chloé Margueritte
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Mon Inconnue de Hugo Gélin + mention spéciale pour Portrait de la Jeune Fille en Feu de Céline Sciamma
L’amour est une drôle de sensation. On le cherche, on court après, on s’esquinte avec, on en rit, on en pleure mais on en retient toujours une chose : c’est quelque chose de spontané & d’imprévisible. Soit à peu près tout le crédo de Mon Inconnue qui avec un rare sens du détail parvient à rendre compte de la romance dans sa forme la plus pure. 2 âmes qui s’aiment, qui se complètent, qui trébuchent mais qui se relèvent, et j’en passe. L’audace de Hugo Gélin sera ainsi de parasiter cet amour en le faisant bon gré mal gré redémarrer pour un Francois Civil désarmant de sincérité et touchant dans sa reconquête de l’amour de sa vie. Certains argueront que, à coté des cadors représentés par Une Vie Cachée (Terrence Malick) ou Portrait de la Jeune Fille en Feu, celle de Mon Inconnue ne pèse pas lourd mais là ou les deux susvisés échouent, c’est bien dans leur représentation d’une vraie alchimie à la fois tangible et palpable, à laquelle et devant laquelle on veut croire et pleurer si l’on en a l’envie.
Antoine Delassus
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Marriage Story de Noah Baumbach
Charlie et Nicole ne forment plus un couple, mais pourtant même si l’amour n’est plus fusionnel, et même s’il en devient presque vache, il est encore là. Car aimer, c’est aussi prendre du recul et prendre soin de l’autre par d’autres voies. Moins intimes mais plus universelles. Marriage Story filme avec précision la construction du désamour ou la déconstruction de l’amour. Cependant l’alchimie fait rage.C’est tel que même un laçage de chaussures devient un geste d’un rare romantisme. Toute la beauté du geste de Marriage Story se trouve dans cette équation : dessiner les traits de la mort d’un couple avec un rythme palpable et une vie si communicative.
Sébastien Guilhermet
5. Le personnage le plus marquant :
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Issa dans Les Misérables
La toute fin des Misérables, c’est lui, le dernier regard glaçant, le dernier regard perdu. Mais pas le regard vaincu ? Toute la question est là. Point d’angélisme ici autour du destin de ce jeune garçon qui va vivre 24h d’enfer et basculer lentement. On est loin des ados rigolos de La vie scolaire auxquels on finit par trouver une solution « éducative » quand ils pètent les plombs. Ici, c’est la rue qui fait la loi et elle ne se fait pas sans une grande violence. Issa une victime du système ? Vaste débat qui n’a pas fini de nous hanter.
Chloé Margueritte
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Dick Cheney dans Vice d’Adam McKay
Il est difficile d’évoquer le terme de personnage dès lors qu’on parle d’une personne ayant bel et bien existé. Mais parfois, au vu de son caractère ô combien inhabituel et anormal, la personne devient rien de moins qu’un personnage. Et à ce jeu-là, au milieu de tous les biopics et autres portraits plus ou moins déguisés, il serait criminel de ne pas mentionner le Dick Cheney campé par Christian Bale. Aussi sournois que manipulateur, aussi discret que terrifiant, l’ex Vice-Président des USA sous l’ère Bush n’aura pas démérité sa place dans cette catégorie tant au gré de ses nombreuses mesquineries, il aura su rappeler avec brio que parfois la plus grande peur vient du monde réel. Car, aussi rusé qu’il fût, Cheney et donc Bale a compris que la meilleure arme qui existe est la peur. Celle qui s’insinue, qui s’infiltre partout et gangrène jusqu’à chaque partie de l’adversaire. Pas étonnant donc de voir Adam McKay, user de cet artifice en dépeignant un Dick Cheney manipulateur, froid, maléfique et dont l’aura elle-même transpire un certain nihilisme. Mais aussi complexe puisse-être le personnage, il ne serait rien sans Bale, littéralement transfiguré ici et qui par son seul regard, arrive bien souvent à foutre les jetons.
Antoine Delassus
6. Meilleure scène de sexe :
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Portrait de la jeune fille en feu
Céline Sciamma dit créer des « images manquantes » et prend en exemple cette scène de sexe étrange, drôle et vivifiante, sensuelle aussi au cœur de Portrait de la jeune fille en feu. C’est du jamais-vu, c’est inventif, sérieux et volage à la fois, c’est d’une extrême beauté et tension érotique et c’est pour les actrices un souvenir drôle, donc pas d’ambiguïté sur la qualité du tournage de cette scène et ça, c’est suffisant à en faire une scène de sexe passionnante !
Chloé Margueritte
7. Meilleure scène de meurtre :
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Parasite
Elles sont nombreuses les scènes de meurtre dans Parasite, parfois (enfin presque tout le temps), inattendues et hallucinantes, tendues. Elles explosent au cœur d’un film constamment en train de se réinventer et de piéger le spectateur jusqu’à la dernière minute. Sans avoir besoin d’être ultraviolentes, elles sont marquantes, stylisées sans être esthétisantes et participent de la révolte sourde qui gronde subtilement dans le film (et oui, ça fait du bien de le dire quand on voit certains autres films de révolte sortis cette année).
Chloé Margueritte
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le climax de Once Upon A Time in Hollywood de Quentin Tarantino
A la vue du nouveau film de Quentin Tarantino, subrepticement nommé « Once Upon A Time In Hollywood », beaucoup de fans étaient montés au créneau en prétextant ne pas comprendre le titre. Il aura fallu attendre 2h et quelques de métrage pour percevoir ce que ce songe signifiait dans l’esprit de Tarantino et même la raison d’être de ce film. Puisque non content de pouvoir dresser un joli hommage à une année charnière dans le Hollywood qui l’a vu naître, QT en profite pour réécrire son hommage à lui. Ca passe ainsi par un bouleversement des évènements et de la fameuse nuit du 8 Août 1969 dans laquelle aurait dû mourir Sharon Tate. Un bouleversement tel qu’il voit les bourreaux initiaux se muer en victimes d’un Brad Pitt particulièrement en forme. La sauvagerie de QT étant ce qu’elle est, ça implique du sang, des dents explosées, et une jeune femme carbonisée à bon coup de lance-flamme pour un résultat qui malgré sa violence évidente, transpire la jouissance et le rire.
Antoine Delassus
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Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan
Diao Yinan nous a offert une mise en scène incroyable. Et dans son polar, qui marie avec aisance la posture sociale avec la dynamique du genre, certaines scènes d’action ont marqué notre rétine. Notamment cette fameuse scène, où l’un des personnages tue son assaillant avec un parapluie par le biais d’une mise à mort merveilleusement graphique.
Sébastien Guilhermet
8. Les plus belles larmes :
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les non-dits qui deviennent parole dans Grâce à Dieu
Si Grâce à Dieu a une qualité, c’est son jeu d’acteurs et la multiplication des portraits qui en font un film complet sur l’affaire qu’il retranscrit tout en évitant le piège du film « dossier ». Il y a plein de larmes, qu’elles soient extériorisées ou non, ces moment de larmes ou au moins de reconnaissance d’une souffrance bien réelle sont d’une pudeur et d’une grande sobriété tout en étant très marquants, particulièrement pour le personnage incarné par Swann Arlaud, dont le corps entier devient comme un soubresaut quand le sujet des violences sexuelles subies le font entrer en crise. Un déchirement.
Chloé Margueritte
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Une Vie Cachée
Une Vie cachée émeut là où on ne l’attend pas, comme beaucoup de films de Terrence Malick. Certes, l’histoire racontée est en elle-même tragique, et le parcours de Franz sera ponctué de nombreux frissons et nouements de gorge ; mais ce qu’il y a de plus triste et de plus beau, jusqu’à en pleurer, se trouve dans toutes ces scènes de quelques secondes à peine qui s’enchaînent sans ordre apparent, tous ces moments de vie, commentés par la voix off et sublimés par la musique, qui filment la nature, l’écoulement inébranlable de l’eau, les visages sales des prisonniers, les mains caleuses des paysans, les rires naïfs des enfants. C’est voir Franz donner un quignon de pain à son camarade de cellule, les voir jouer au foot avec un petit caillou, voir Fani hésiter à franchir le pas de la porte d’une église, voir une mère s’effondrer de chagrin, voir un paisible cochon affalé dans la boue, ou encore des montagnes souffler la vie. La « vie cachée » est celle de Franz, bien sûr, mais aussi celle que renferme chaque morceau de nature, chaque animal, chaque objet, chaque regard. La vie s’infiltre partout jusqu’à déborder ; et ainsi font nos larmes.
Jules Chambry
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Brad Pitt dans Ad Astra de James Gray
Comment réagir quand quelqu’un qu’on a toujours idéalisé s’avère être une personne qui n’en a jamais rien eu à faire de vous ? Tel est ainsi le dilemme affronté par le personnage de Brad Pitt à la fin de l’odyssée spatiale de James Gray, Ad Astra. Pitt, qui incarne ici un astronaute, rongé par la solitude et la dépression, est en effet aux abords de Neptune, là ou son père serait encore en vie. Durant tout le trajet qui l’y mènera, McBride s’interroge, doute, perd pied quitte à déjà émouvoir. Mais la confrontation avec son père, scientifique rongé lui aussi par le besoin de mener à bien sa mission, le fera définitivement pleurer. Puisqu’au gré d’un voyage de plusieurs mois, Pitt aura pris le temps de pardonner, mais affrontera un mur dénué de compassion et qui ne souhaite qu’en finir. Dès lors, les larmes de Pitt ne sont que le résultat de voir McBride devoir s’infliger la perte de son père une deuxième fois… Dit comme ça c’est déjà triste en soi, mais James Gray, fort d’une mise en scène travaillée et versant dans l’intime comme jamais avant dans sa carrière, rend la scène déchirante et émouvante, voir un homme devoir affronter la mort de son géniteur pour mieux effectuer après un véritable acte de résilience.
Antoine Delassus