Les années 2010 : Leonardo DiCaprio, caméléon, sélectif et enfin oscarisé

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Est-ce sa décennie ? Leonardo DiCaprio s’est trouvé deux illustres façonniers en la personne de Martin Scorsese et Quentin Tarantino. Il a enfin été oscarisé après des années de frustrations et d’espoirs déçus. Il s’est accompli – un peu plus – en tant que comédien, tout en marquant le cinéma – un peu plus – de son empreinte.

Leonardo DiCaprio n’a pas attendu la décennie 2010-2020 pour se faire un nom, mais il a indubitablement changé de dimension au cours de ces années-là. La formule est vague et ne rend pas forcément justice au talent qui était déjà le sien à l’époque de Blessures secrètes – il avait alors dix-neuf ans et donnait la réplique à Robert De Niro, son acteur favori – ou de Titanic – il avait alors vingt-trois ans et était adulé par des hordes de fans, surtout féminines. Mais le comédien américain est devenu plus sélectif et a décidé de lier son destin à celui de cinéastes de la trempe de Martin Scorsese et de Quentin Tarantino. Depuis Gangs of New York (2002) et Django Unchained (2012), « Leo » est en effet devenu l’acteur fétiche de ces deux monstres sacrés de Hollywood. Pour la petite histoire, Tarantino avait déjà envisagé de collaborer avec lui à l’occasion d’Inglourious Basterds, avant d’opter pour le germanophone Christoph Waltz. Cette année, c’est chez l’architecte de Pulp Fiction qu’on l’a aperçu (Once Upon a Time… in Hollywood), mais on devrait le revoir dès l’an prochain auprès du réalisateur de Taxi Driver, dans l’attendu Killers of the Flower Moon.

Le début de la décennie 2010 sonne comme une consécration pour Leonardo DiCaprio. Dans Django Unchained, il joue un propriétaire terrien esclavagiste et sadique, un réac de la pire espèce dénué de toute morale, capable d’obliger des Noirs à se battre à mort pour son seul plaisir. Pendant un long monologue, il s’entaille profondément la main sur un morceau de verre, mais continue la prise comme si de rien n’était. Une performance majuscule qui lui vaut notamment une nomination aux Golden Globes. Les Oscars, en revanche, continuent de le bouder. Et ça commence à se voir. Jusqu’au moment de son sacre en 2016 pour son rôle dans The Revenant – ironiquement, c’est Alejandro González Iñárritu qui lui donnera son rôle à statuette –, « Leo » a connu une suite ininterrompue de vexations : des oublis – Titanic, Les Infiltrés, Inception – ou des nominations ponctuées par un échec – Le Loup de Wall Street, Aviator, Blood Diamond. Au point d’ailleurs que tout cela vire à la ritournelle : chaque année ou presque, les journalistes, généralistes comme spécialisés, se demandent si DiCaprio reviendra une fois encore bredouille de la cérémonie des Oscars, ou regrettent en chœur son palmarès. Exemples : « DiCaprio le maudit » (Le Figaro, mars 2014), « Le Web pleure la défaite de Leonardo DiCaprio aux Oscars » (L’Express, mars 2014), « Leonardo DiCaprio snobé par les Oscars… » (20 minutes, février 2014), « Leonardo DiCaprio et l’Oscar maudit » (Midi Libre, janvier 2016), « Oscars, César, pourquoi ils ne l’auront jamais » (L’Express, février 2012), etc.

Qu’importe, même sans Oscar (ni Golden Globes, ni BAFTA, ni…), la décennie qui vient de s’écouler aurait été éclatante pour « Leo ». Pour en juger, il suffit de se reporter au nombre considérable de films notables auxquels il a pris part : Shutter Island, Inception, Django Unchained, Le Loup de Wall Street, The Revenant, Once Upon a Time… in Hollywood, sans oublier les moins heureux J. Edgar ou Gatsby le Magnifique, dans lesquels peu pouvait toutefois lui être reproché. Durant ce laps de temps, on a vu DiCaprio personnifier la résilience et tourner dans des conditions extrêmes (The Revenant), jouer l’hédonisme comme si les lendemains n’existaient pas (Le Loup de Wall Street), crever un double écran dans une mise en abîme vertigineuse (Once Upon a Time… in Hollywood) ou se métamorphoser à coups de moulages en plâtre, de lentilles, de postiches, d’appareils dentaires ou de prothèses nasales (J. Edgar). Que peut-il encore faire pour grandir en tant que comédien ? S’inscrire dans la durée ? Imiter son modèle, Robert De Niro, et se trouver des rôles séminaux à la Travis Bickle, Jake LaMotta ou Rupert Pupkin ? C’est partiellement accompli et – ça tombe bien – « Marty » n’y est pas pour rien.