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Le cinéma français et la rédaction du Magduciné

Alors que les salles de cinéma sont toujours fermées au public, certains membres de la rédaction du Magduciné font un petit tour d’horizon à propos du cinéma français actuel et son rapport avec le grand public sur ces dernières années.

1 – Votre film français préféré ? 

Chloé Margueritte : Difficile de choisir, dans mon top 10, plusieurs films sont français, je pourrais donc citer : Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, rarement un film aura été aussi précieux pour moi par son approche, sa mise en scène, son regard, son invitation au regard sur l’autre plus intense, moins calibré… Il y a aussi, indétrônable depuis de nombreuses années, De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard. Deux auteurs extrêmement différents, mais qui pour moi se rejoignent par leur capacité à aller au-delà des apparences. La part de féminin, de douceur, que va toujours chercher Audiard chez ses personnages masculins en apparence machos. Et l’émancipation que Sciamma parvient à aller trouver dans ses films pour ses personnages féminins, sans forcer, dans des époques et des situations où elles ne l’étaient pas forcément. Ils cherchent des utopies, mêmes manquées et c’est ça qui est beau ! Deux auteurs qui sont allés filmer des personnages « issus de la diversité » comme on dit. Bref, pas des films d’appartements bourgeois.

Hervé Aubert : La réponse ne peut, bien entendu, qu’être symbolique. Comment choisir entre Les Enfants du Paradis, Ne nous fâchons pas, ou Max et les Ferrailleurs ? Donc, symboliquement, je choisirais Le Cercle rouge, de Melville. D’abord parce que c’est un film d’acteurs, avec ce qui est, pour moi, le meilleur rôle d’Yves Montand. Sa scène de delirium tremens reste gravée dans ma mémoire. Et aussi parce que Melville était un maître, un de ces cinéastes immédiatement reconnaissable, avec son sens du tragique et la couleur qu’il donne à ses images. Le film se déroule de façon implacable et Melville sait prêter attention au moindre geste, au moindre mot. Dans une mise en scène dépouillée, chaque détail prend tout de suite une importance capitale.
Romaric Jouan : Ridicule, de Patrice Leconte, représentant la société de cour qui a créé un monstre, celui de ne pas assumer d’être victime de railleries. Sinon, adieu les honneurs et la récompense ultime : un regard du Roi. Voici la galerie des glaces, les murs et le decorum de Versailles, dans lequel l’essentiel est ailleurs : « Sire, le roi n’est pas un sujet », s’y permet-on, roublard. Dans cette atmosphère, un petit noble de province vient y faire son trou, pour financer du concret, l’assèchement d’un marais pour ses pauvres vassaux. Tout le monde s’en fout. Difficile de n’y pas voir une métaphore plus pertinente du modèle de société façonné par les GAFAs.

 

Thierry Dossogne : Choix impossible ! Je me contenterai donc d’en citer quelques-uns qui ont laissé une empreinte indélébile dans ma mémoire. La Bête humaine de Renoir, Le Salaire de la peur de Clouzot, Le Quai des brumes de Carné, La Grande Vadrouille et Le Corniaud d’Oury, Le Cercle rouge de Melville ou Plein Soleil de Clément. Rien de très original, je le concède, mais ces classiques n’ont rien perdu de leur magie, à mes yeux. Ces 20-25 dernières années, je pense également au Dîner de cons de Veber, Le Goût des autres de Jaoui, Un prophète d’Audiard ou J’accuse de Polanski.

 

Sébastien Guilhermet : Comme mes autres comparses, il est difficile de ne citer qu’un seul film. Si je devais en garder trois, je nommerais Mauvais Sang de Leos Carax, Sombre de Philippe Grandrieux et Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. Mais pour rester dans le cadre de l’actualité, Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico, pour ses choix esthétiques et sa liberté de forme et de fond, ou même Hors Satan de Bruno Dumont pour son aridité et sa mysticité, m’ont impressionné.

2 – Que pensez-vous du cinéma français sur les dix dernières années?

Chloé : Le cinéma français est un cinéma à double facette : la part immergée de l’iceberg, soit les comédies avec Dany Boon pour faire un raccourci, les comédies avec Karin Viard et autres consœurs/confrères dans les fameux grands appartements parisiens. Et il y a aussi tout un cinéma qui expérimente, qui teste, qui se plante parfois, mais qui élabore, qui regarde, qui collabore aussi et qui parfois nous faire découvrir des petites pépites. Je pense notamment à des films comme La dernière vie de Simon, L’Angle mort, La nuit a dévoré le monde. Mais aussi des films qui portent des regards différents, je pense notamment à Céline Sciamma, encore, avec Bande de filles. On voit des réalisateurs aller dans des directions moins convenues. Cependant, nous ne défendons pas assez, en France, ce cinéma qui est financé mais qui une fois sorti en salle se retrouve tout seul à se battre avec les exploitants et les autres sorties…
Hervé : Je crois que le cinéma français de ces dernières années est, finalement, dans la droite ligne de ce qu’il a toujours su faire. Nous avons des films très divers, misant souvent sur une belle écriture scénaristique et puisant dans le grand vivier de comédiens et de comédiennes français. Entre Roubaix, une lumière, Mektoub, My Love : Canto Uno et Le Grand Bain, pour ne prendre que trois exemples, nous avons des films humains et sensibles. Nous avons même pu voir, avec Le Chant du loup, que le cinéma français est capable de réussir des films dans des domaines où il n’est pas spécialiste. Donc, personnellement, je trouve au cinéma français une vitalité qui n’a rien à envier à ce que l’on peut trouver ailleurs.

Thierry : Je dois admettre que malgré d’heureuses exceptions, le cinéma français de ces trente dernières années ne m’excite plus beaucoup, surtout comparé à d’autres cultures cinématographiques naissantes ou qui ont réussi à se renouveler (Japon, Chine, Corée, pays scandinaves, Europe de l’Est, cinéma indépendant américain, voire Moyen-Orient ou Amérique latine, que j’aimerais mieux connaître). Depuis les années ’80, les plus grands succès français sont souvent des comédies populaires, dont seule une poignée sort du lot parmi un océan de médiocrité, à mon sens, et la dernière décennie n’a fait que renforcer ce triste constat. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a plus de franches réussites ou de cinéastes formidables, mais je n’ai plus que rarement de véritables coups de cœur… Le temps du grand cinéma français est bel et bien révolu, une situation similaire à celle de l’Italie, qui elle aussi a connu une traversée du désert après son âge d’or. Mais, à la différence de la France, l’Italie produit aujourd’hui peu de longs-métrages, mais il en ressort proportionnellement bien plus de grands films, et surtout de grands metteurs en scène dotés d’une personnalité marquée.

Romaric : L’exception culturelle française est une idée, souvent raillée, mais à défendre. Mais elle a besoin de bons soldats : la déchéance des comédies françaises, répétitives, des affiches jusqu’aux castings, est un symptôme d’un pays dans lequel trop de films sortent, sont produits, par des chaînes obligées de le faire, sans trop regarder la qualité. Pourquoi en France est-il plus difficile de faire un second film qu’un premier ?

Sébastien : Au-delà du discours sur les grosses comédies, qui sont pour une frange du public des mastodontes d’audience, il existe tout une réflexion sur le cinéma français et son rapport au cinéma de genre, où ce dernier prend son envol depuis quelques années, avec le succès notamment de Grave. Proposant alors une alternative à un public peut-être jeune habitué à une culture très américanisée. Même si le fonctionnement du cinéma français et l’exploitation ou la distribution de certains films ne trouvent ni financement ni soutien, malgré l’effort de boites comme Le Pacte ou The Jokers, et qu’une partie de la production française reste ancrée dans ses clichés, le cinéma français s’avère vivifiant et trouve une grande variété de tonalités. De Trois souvenirs de ma jeunesse de Arnaud Desplechin au cinéma de Yann Gonzalez, du cinéma de Céline Sciamma à celui de Bertrand Bonello, de Claire Denis à Quentin Dupieux, de Gaspar Noé à Sébastien Marnier, de Raymond Depardon à Bruno Dumont pour ne citer qu’eux, le cinéma français apporte de très belles propositions, des idées et surtout arrive parfaitement à insérer ses velléités sociales dans des ambitions esthétiques ou narratives propices. Ce n’est pas le dernier festival de Gérardmer, avec notamment Teddy ou La Nuée, qui nous fera penser le contraire.

3 – Que pensez-vous des moqueries d’une certaine partie du public concernant le niveau supposé du cinéma français ?

Chloé : Elle m’agacent fortement, mais je me bats contre du vent parfois ! C’est devenu une tarte à la crème du débat pseudo-cinéphile. Pour le dire de manière plus posée : qu’elles sont injustifiées et dues, comme souvent dans ces cas-là, à une méconnaissance et au système à deux niveaux dont je parle depuis quelques lignes déjà… On vante les mérites d’un cinéma américain pas forcément plus glorieux, très fermé aussi et pas forcément très représentatif (ou alors en apparences). Bref, on a du mal en France à aller regarder vraiment ce que nous produisons et à en être fiers, pensons notamment aussi au cinéma d’animation… !

Hervé : Tout dépend de ce que l’on attend du cinéma français. Une partie du public voudrait que la France produise un Avengers ou autre blockbuster et trouve le cinéma français trop “nombriliste”. Personnellement, je trouve très bien que le cinéma français suive sa voie, qu’il fasse ce qu’il sait faire. Je ne crois pas qu’il soit bon que le cinéma français cherche à imiter les succès hollywoodiens. Ce n’est pas dans notre culture, et le résultat sera forcément décevant par rapport au modèle américain. Le cinéma français ne doit pas tenter d’imiter, mais de compléter, de produire quelque chose de différent. Concernant les comédies françaises de style “Dany Boon” ou “Camping” il faut d’abord préciser qu’elles ont un public (sinon, les producteurs auraient arrêté d’en financer depuis longtemps). Leur succès public justifie leur existence. Ce qui pourrait être reproché, à mon sens, c’est la disproportion dans la médiatisation des films : gros coups de projecteurs sur les acteurs, invités sur tous les plateaux, lors de la sortie des Tuche ou de L’élève Ducobu, et à l’opposé un quasi-silence des médias tous publics pour la sortie d’une comédie vraiment innovante comme La Loi de la jungle, d’Antonin Peretjako.

Thierry : Il faudrait être sacrément de mauvaise foi pour ne pas admettre que le cliché du cinéma français se répartissant entre comédies débiles franchouillardes et films d’auteur parisiens possède sa part de vérité ! Comment est-il possible que, semaine après semaine, sortent sans cesse des navets d’une insondable bêtise (Les Tuche, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, 99% des films avec des « comiques » au casting, etc.) et des films nombrilistes, à la vacuité exaspérante, dans une espèce de flot ininterrompu ? Sans parler des fictions de genre qui, dans leur majorité, copient hélas se qui se fait bien mieux outre-Atlantique… D’excellents films et réalisateurs existent pourtant, mais autant les producteurs que les médias semblent se contenter trop souvent de viser le succès commercial avec les comédies dites « populaires » et de justifier, contre le bon-sens même, les prétentions intellectuelles du cinéma français, héritage d’un passé glorieux, à travers des longs-métrages qui se gargarisent de leur prétention, sans éprouver la moindre honte par rapport au grand cinéma de jadis auquel on ose les comparer… Heureusement qu’il reste des Audiard, des Ozon et quelques jeunes talents pour nous redonner quelque espoir. Je suis conscient de forcer quelque peu le trait, mais l’état actuel du cinéma français me donne peu de motifs de réjouissance.

Romaric : Ces critiques reposent sur ce qu’on veut bien montrer du cinéma français. Les films raillés le sont sur des qualités esthétiques, sur une abondance de moyens numériques que les productions nationales essayant de coller à ce style hollywoodien échouent à reproduire inlassablement. En opposition, le cinéma d’auteur, de très bons films, livrés par des médias « régaliens » défendant leurs chouchous sont eux aussi rejetés par ces publics-là. Le problème vient peut-être du messager. Pourquoi ne croit-on pas qu’un fan de Marvel ne peut pas aller voir un Desplechin ?

Sébastien : Il y a pour moi une immense différence entre la qualité du cinéma français et la communication qui en est faite, comme si on ne mettait pas assez en valeur notre vivier, comme cet été où l’on voyait des exploitants pleurer le départ de Mulan sur Disney+ plutôt que de promouvoir certains bons films français à l’affiche. Certes le poids économique n’est pas le même, et loin de moi l’envie de blâmer un corps de métiers en sursis en cette période de Covid, mais c’est aussi à nos structures de changer les mentalités. Même si par exemple, de très belles comédies comme Antoinette dans les Cévennes ont pu trouver leur public en salles, nous sommes en retard. Et quand on voit les polémiques qu’il y a eu autour de Mignonnes ou Enorme, on se dit qu’on a encore beaucoup de travail à fournir.

Entre le prix des places, une communication incertaine, un monopole de plus en plus important des plateformes de Vod, un manque de moyens dans certains genres cinématographiques, une attente tronquée d’un public éduqué aux blockbusters, une hégémonie des séries qui s’installe dans les esprits et notre manière d’appréhender la fiction, ou encore des youtubeurs cinéma qui usent de stéréotypes pour se faire de la notoriété sur le dos du cinéma français, le paysage français patine parfois à fédérer autour de lui, notamment chez les jeunes, malgré sa forte identité et ses envies diverses. Cependant, pour mieux se vendre, il manque peut-être des têtes d’affiche comme l’étaient les Alain Delon, Romy Schneider ou Isabelle Adjani, même si des séries comme En thérapie, Dix pour cent ou Le Bureau des légendes démontrent la qualité de nos scénaristes et de nos castings. On pense à des Reda Kateb, Vimala Pons, Adèle Haenel…

4 – Trouvez-vous des défaillances ou un manque de diversité dans le cinéma français ? D’un point de vue des représentations, des genres cinématographiques, des équipes techniques…

Chloé : Des défaillances sont certaines oui, même si nous sommes un des pays où il y a le plus de femmes réalisatrices par exemple, elles sont encore trop peu. Il n’y a qu’à regarder du côté des Césars l’an dernier et de la grande crise qui a éclaté pour voir où nous en sommes. Mais ces défaillances sont dues à la manière dont le système est créé au départ, tout le système de réseau, de puissance qu’il génère… Le nerf de la guerre reste l’argent. Alors oui, il y a des gens qui expérimentent, qui regardent plus loin que leur quotidien et donnent leur chance à des visions du monde plus larges, des représentations plus diverses, et qui existent (cf les films déjà cités), mais ils restent invisibles. Quand on regarde des réalisateurs comme Bertrand Bonello, ils montrent des visages qui n’existent pas partout ailleurs (je pense notamment à Zombi Child – bon, son prochain film sera avec Léa Seydoux, donc ça a aussi ses limites…), cependant cela reste encore insuffisant. Rien qu’à voir qu’on s’enthousiasme encore qu’un film de banlieue avec un vrai regard sorte, preuve qu’on est encore loin d’être ultra performant en termes d’enjeux de genre, de diversité etc… On voit comment la fracture se dessine entre Les Misérables et le dernier Les Apparences par exemple.
Pour ce qui est des équipes techniques, ma connaissance est plus limitée, mais si je me base sur les génériques, je n’ai pas l’impression que le panel soit très large. Les équipes sont rarement très mixtes, très ouvertes. Mais cela n’est pas spécialement français…

Thierry : En termes de style et d’identité artistique, c’est évident. Il y a aujourd’hui des voies toutes tracées, derrière lesquelles s’est rangée l’industrie cinématographique française, du financement à l’exploitation en salles. Ces « formules », dont l’objectif n’est évidemment que mercantile, ne permettent aucunement d’envisager le long terme et, pire, réduisent presque à néant la capacité du cinéma français à s’exporter, tant elles nuisent à sa réputation. Résultat : je trouve que, même s’il demeure un des plus productifs aujourd’hui, le cinéma français accuse un retard évident en termes de créativité, d’inventivité, sur bon nombre d’autres pays. Idem pour les séries : comment est-il possible que la France ait aujourd’hui un tel retard en matière de création de séries originales et grand public, alors que des pays comme l’Italie ou l’Espagne en proposent régulièrement depuis plusieurs années ? Plus parlant encore : les pays scandinaves, d’où sortent aujourd’hui une pléiade de séries formidables, alors que leur réputation cinématographique est bien moins importante que celle dont jouit encore la France ? Que ce soit pour les films ou les séries, je répète que j’exprime ici un constat général, qui n’empêche (heureusement !) pas la découverte régulière de créations passionnantes.

Romaric : Le cinéma est né en France par Meliès, Ferdinand Zecca, de grands rêveurs. Ils ont touché à des registres qui feront plus tard le cinéma de SF, le polar, les films d’aventure… Les souffrances du cinéma de genre en France causent des failles qui lézardent partout : un déséquilibre dans les influences, les motivations des cinéastes, les films produits et l’absence de marché intermédiaire.

5 – Que manque-t-il au cinéma français pour fédérer encore plus autour de lui, surtout pour le grand public ?

Chloé : De l’audace ! Il faut accompagner réellement les créations qui sortent du lot, arrêter de ne mettre en avant que certains films, repenser la manière de diffuser, bref aimer un peu notre cinéma, le mettre en valeur ! Et puis, travailler avec les publics, l’éducation aux images au-delà de Paris. Il faudrait des Forum des images dans toutes les grandes villes. On a de formidables réseaux de cinémas indépendants qui se battent pour faire vivre le patrimoine cinéma, rassembler les gens, mais ils ne sont pas beaucoup aidés eux non plus. Rien qu’à voir pour ce que je connais la situation des Carmes à Orléans. Par ailleurs, pour ce qui est de la diversité, des choix d’accompagnement des artistes, des choix des sujets, c’est la société entière qui doit se réveiller aussi et le cinéma peut y contribuer, mais pas seul. Sinon les images ne parleront qu’à des convaincus. Il faut savoir écouter nos artistes, cesser de les juger, leur donner des espaces de parole réels pour que leurs films soient des objets de débats, de discussions, des évènements qui revalorisent nos salles aussi. Le cinéma français n’a en gros pas besoin de copier le cinéma américain, il doit trouver sa voix, sa singularité (souvent des produits plus lents, moins chers, plus « auteuristes ») qui a déjà mainte fois été vantée.
Romaric : Beaucoup de recul : en Australie, partout dans le monde, le cinéma français est vu comme un des meilleurs. Pourtant, vu de France, il est raillé. Et c’est le cas pour tous les cinémas nationaux : seuls les meilleurs sortent, les autres cherchent d’autres circuits de diffusion dans lesquels les spectateurs viennent chercher, faire la démarche de rencontrer les films qu’ils souhaitent. Il faudrait qu’on cherche à pousser les spectateurs à être curieux par eux-mêmes uniquement : un grand film comme Grave en a profité.
Thierry : De l’ambition et de l’audace, l’envie de se réinventer en affirmant un style propre, en allant jusqu’au bout de ses idées, sans céder aux références faciles ou au cahier de charges de ce que « doit » être le cinéma français actuel. Il manque plus d’artistes qui osent secouer le cocotier, s’inscrire dans une rupture. Mais surtout, il manque du soutien, c’est-à-dire de l’argent, de la promotion, une distribution plus massive, afin que les metteurs en scène qui se détachent du lot puissent s’épanouir et qu’un large public les découvre. Si l’on compare la situation aux États-Unis, le box-office y est également dominé par des films disposant de budgets et d’une force de frappe inversement proportionnels à leur originalité ou leurs qualités artistiques. Mais à côté de cela, il existe aussi un circuit indépendant de plus en plus riche et intéressant, un vivier d’auteurs qui ont su allier une véritable identité artistique à un attrait commercial. C’est peut-être d’un tel circuit parallèle que la France a le plus besoin, aujourd’hui.
Sébastien : Vivre avec son époque, celle des réseaux sociaux et des plateformes de Vod, tout en gardant une identité forte, une liberté de ton, pour mieux partager et transmettre les créations françaises. Construire une proximité avec le public, qui devient de plus en plus hétérogène, et qui ne demande qu’à découvrir autre chose que des films adaptant des bandes-dessinées. Comment se fait-il qu’un film comme Portrait de la jeune fille en feu se soit complètement planté en France alors qu’il a réussi à trouver sa voie outre-Atlantique ?