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La nuit a dévoré le monde : le film de zombies réinventé

Avec La Nuit a dévoré le Monde, Dominique Rocher signe un premier long métrage fort et poignant où le spectateur est confronté à la solitude d’un homme sur fond d’apocalypse de zombies. Ce huis-clos intimiste, presque gênant parfois, nous prend aux tripes avec un minimalisme maîtrisé qui concentre la majorité de son action dans un immeuble haussmannien à l’abandon, pour un résultat remarquablement poétique.

Synopsis : Sam, un trentenaire taciturne, se rend à une soirée organisée par son ex pour récupérer des cassettes audio qui lui appartiennent. Il s’isole dans une pièce pour fuir le chahut, et s’endort pour se réveiller le lendemain au beau milieu d’un appartement haussmannien sans dessus dessous. Il constate alors qu’il est l’unique survivant d’une apocalypse de zombies.

Autant prévenir tout de suite : pour tous ceux qui s’attendent à du spectaculaire, de l’hémoglobine et des montées d’adrénaline avec poursuites de zombies endiablées, morsures, cris et terreur, passez votre chemin. Ici, pas de jump-scare, pas de maquillage outrancier, ni de money shot ou même d’action soutenue. On observe plutôt l’errance d’un homme seul, livré à lui-même dans un immeuble parisien décimé par une étrange apocalypse. Que la survie commence !

Seul au monde 

D’entrée de jeu, le héros, Sam, nous est présenté comme un étranger taciturne, qui ne se mêle pas aux foules, ne participe pas aux fêtes, ne se mélange pas au monde. Il est entouré, pourtant, il préfère s’isoler. Il s’endort dans un appartement vibrant de vie et d’effervescence pour se réveiller au milieu du chaos : en une soirée, la nuit a dévoré le monde. Les gens sont zombifiés, l’existence a été anéantie, et il semble être le seul survivant. D’emblée, ce qui frappe dans le traitement du récit, c’est le minimalisme et l’économie de tout. Peu de moyens certes, mais aussi peu de décors, peu de mouvements, peu de dialogues, et peu de préambule. On rentre rapidement dans le vif de l’action, plongés en même temps que ce héros taiseux, dans un univers rongé par la mort. Le plus étonnant, c’est que le personnage principal semble comprendre immédiatement ce qui lui arrive. Pas d’incrédulité, pas d’analyse de situation, pas d’hésitation. Il observe, encaisse, et agit. Il passe en mode survie.

la-nuit-a-devore-le-monde-dominique-rocherA partir de là, on verra peu ces créatures assoiffées de sang, si souvent représentées dans les films et les séries. Quelques plans sur le dehors, un bout de rue hanté par des silhouettes désincarnées, voilà plus ou moins à quoi se résument les zombies, dans ce film singulier qui préfère assister à la métamorphose d’un homme ordinaire propulsé dans l’extra-ordinaire. Comment survivre, dans un monde où il ne reste plus rien ? Pris au piège d’un immeuble haussmannien, le héros, Sam, s’organise méthodiquement. Il nettoie sa surface habitable, et part bientôt en expédition, en quête de vivres, sans jamais quitter le lotissement dans lequel il est bloqué, se contentant de faire des repérages et de s’introduire chez les gens, de pénétrer dans leurs vies, dont il ne reste que des souvenirs. C’est ici que La Nuit a dévoré le Monde devient intéressant : on est coincé, seul face à un héros condamné à vivre avec lui-même. On le verra revivre les traumatismes de son enfance, faire de l’exercice, rationner ses quantités, parler à un zombie pour ne pas sombrer, créer aussi, et perdre pied. Il fouillera chez les autres comme il fouillera en lui, et comme lui, le public entre par effraction dans l’intimité d’un homme.

Un film d’horreur d’auteur

Le film, en installant son intrigue dans la capitale française, se joue des codes et revêt des allures de film d’auteur, mélange des genres aussi inattendu qu’efficace. Il est par exemple étonnant de voir comment l’instinct animal primaire de Sam (manger, boire, sauver sa peau) est transposé dans un cadre civilisé, très connoté. Sam part « en expédition », il se met en « chasse », allant d’appartements en appartements, chez la concierge, dans la cage d’escaliers… Environnement très urbain qui évoque bien sûr la vie dans les grandes villes, mais décor labyrinthique qui se prête bien à l’exercice de genre. On est désarçonné à plusieurs reprises, dans le bon sens du terme. On est curieux de voir ce que Sam va faire ensuite, pour pallier les problèmes les plus basiques : pénurie alimentaire, eau courante coupée, absence de chauffage. Il déploie alors des mécanismes primitifs qui le font retomber dans un mode de vie primaire, mais toujours dans un lieu aussi évolué, sophistiqué. Le paradoxe surprend et interpelle, c’est intéressant.

Le rythme est assez lent, le film prend le temps de suivre son héros et, progressivement, on pénètre dans son intimité, on se fond en lui de manière troublante et poétique, on se laisse porter par son errance. A ce titre, on peut souligner la performance intrigante d’Anders Danielsen Lie, qui compose un personnage très humain, glissant graduellement vers la folie. Il est livré à lui-même, et on est avec lui sans qu’il ne le sache, ce qui nous donne parfois le sentiment de lui voler des instants de vie très privés, très intimes, nous mettant dans la gênante position de voyeur. Mais la question de l’observation et de l’espionnage est latente dans ce film, qui se base sur un jeu de fenêtres (on épie ses voila-nuit-a-devore-le-monde-zombiessins d’en face), à l’aide de jumelles ou encore d’un appareil photo qui capture des clichés personnels, pris en cachette, sur le vif, à l’insu de. L’altérité devient vite une forme d’intrusion à part entière, et on se sent parfois de trop, quand le protagoniste se laisse aller à l’émotion ou la démence, à la colère ou bien même à la créativité (quand il compose des morceaux de musique en enregistrant les sons du quotidien, par exemple). On se sent en trop, dans ce film. C’est rare et perturbant.

Au final, La Nuit a dévoré le Monde reprend bien les codes du film de zombies pour se les approprier avec une beauté singulière et fascinante. Le film nous questionne sur l’altérité, la solitude et l’identité, à travers une histoire humaine qui ébranle et qui nous touche, notamment grâce au personnage de Golshifteh Farahani, apparition salvatrice qui va délivrer le héros de sa paranoïa et de sa peur, pour le pousser à sortir de son monde et faire exploser ses barrières, enfin. On tient ici une œuvre profonde.

Bande-annonce : La Nuit a dévoré le Monde 

Fiche technique – La Nuit a dévoré le Monde 

Réalisation : Dominique Rocher
Scénario : Guillaume Lemans, Jérémie Guez et Dominique Rocher, d’après le roman homonyme de Pit Agarmen
Distribution : Anders Danielsen Lie (Sam) ; Denis Lavant (Alfred le zombie) ; Golshifteh Farahani (Sarah)
Direction artistique : Sidney Dubois
Son :  Nassim El Mounabbih
Costumes : Caroline Spieth
Photographie : Jordane Chouzenoux
Montage :  Isabelle Manquillet
Musique : David Gubitsch
Production : Carole Scotta
Sociétés de production : Haut et Court
Sociétés de distribution : Haut et Court Distribution
Genre : horreur, drame
Durée : 94 minutes
Date de sortie : 7 mars 2018

France – 2018

Redactrice LeMagduCiné