Synopsis : Marc Châtaigne, stagiaire au Ministère de la Norme, est envoyé en Guyane pour la mise aux normes européennes du chantier GUYANEIGE : première piste de ski indoor d’Amazonie destinée à relancer le tourisme en Guyane.
Vous avez dit absurde ?
Une Marianne marmoréenne, fier symbole de la république française, est arrimée à un hélicoptère et plane au-dessus de la forêt guyanaise. Le titre, la Loi de la jungle, s’affiche subséquemment sur cette image triomphale, jusqu’à ce que la statue se détache et disparaisse sous l’épaisse frondaison ; c’est littéralement la république qui se casse la gueule. Antonin Peretjatko donne le ton dès le générique, on sait qu’on aura affaire à un film critique, on ne sait simplement pas exactement à cet instant quels ressorts il utilisera pour arriver à ses fins. Dans l’image suivante, sous sommes à Paris, face aux Invalides, le cadre est large et nous permet d’apprécier l’exagération de la scène consécutive : un homme court le long du chemin balisé passant au milieu de grandes pelouses publiques. Son empressement le pousse à couper à travers l’herbe, il est immédiatement réprimandé par le coup de sifflet d’un gendarme auquel il obéit derechef, avant même que ledit policier n’entre dans l’image. Le dernier plan avant la première scène de dialogue se termine sur un détail : une plaque gravée au nom de la fonction « ministre de la norme ». Cette première séquence sans parole associée au discours dégoulinant d’un patriotisme teinté de colonialisme qui précédait la courte envolée de Marianne ne laisse aucun doute sur le propos satirique qui va suivre. La Loi de la jungle, c’est tout à la fois une comédie, un film d’aventures et une œuvre contestataire.
L’intrigue nous place face au monde contemporain, assorti de ce léger décalage propre aux films qui cherchent à amener leur public à réfléchir. Le choix du réalisateur est plus subtil qu’une simple exagération des faits – si l’idée d’un ministère de la norme peut faire sourire dans son intitulé, ce qu’il met en application ressemble peu ou prou à certaines règles absurdes que le gouvernement français administre bel et bien, et par ailleurs, le projet fou d’une station de ski sous cloche en Guyane n’est que le descendant de l’entreprise folle et bien réelle bâtie en plein désert à Dubaï. Peretjatko joue également sur la révélation du sous-texte, en invitant son public à entendre les propos plein de cynisme proférés par les dirigeants de ce monde qui ne sont habituellement audibles qu’en aparté, et en distillant au gré de l’histoire des répliques explicatives, bien plus à l’usage du public que des personnages. Ces petites phrases cinglantes émaillent tout le film, telle celle prononcée par Marc Châtaigne/Vincent Macaigne à sa compagne d’infortune Tarzan/Vimala Pons « En France, ce n’est pas parce que tu ne possèdes pas les compétences dans un domaine d’expertise que tu n’as pas le poste. ». Tout est dit. En rendant compte à la fois du grotesque d’une situation et de l’obscénité de ceux qui la créent, la Loi de la jungle réussit à nous faire rire et à éveiller notre indignation quant à l’absurdité si familière qui nous est rapportée. Cette œuvre est résolument ancrée dans son époque, elle fait des références directes à l’état actuel du pays à bout de souffle politiquement et draguant dans son sillage une population blasée. De nombreux films français récents ont eux aussi évoqué cet état de fait mais bien souvent, la mise en scène se voulait d’un réalisme cru, une atmosphère glauque et des personnages désespérés mais dignes. Face à ces drames modernes, Antonin Peretjatko oppose ici une vision qui n’est pas moins contestataire. Sous couvert d’une intrigue à rebondissements, de personnages gagesques (l’huissier de justice plus borné qu’un limier en est un bon exemple) et d’une romance toujours vue avec un certain second degré, la Loi de la jungle est un film intelligent qui à ce titre associe les spectateurs à une réflexion aux enjeux de ce qu’ils viennent de voir. Cette prise de distance permettant la critique, le public peut se permettre de la réaliser, son empathie n’est pas mise à rude épreuve dans le cas d’une œuvre comme celle-ci, les personnages ne traînent pas de lourd bagage psychologique qui rend la distanciation difficile. On peut donc aisément apprécier l’ironie de la situation et réfléchir à ses tenants et aboutissants en visionnant le film. Antonin Peretjatko élabore avec la Loi de la jungle un film qui rappelle les contes moraux des Lumières ; Tarzan et Châtaigne en Candide des temps modernes.
Bande annonce : La Loi de la jungle
La Loi de la jungle : fiche technique
Scénario : Frédéric Ciriez, Antonin Peretjatko
Interprétation : Marc Châtaigne (Vincent Macaigne), Tarzan (Vimala Pons), Christian Duplex (Pascal Légitimus), Galgaric (Mathieu Amalric), Maître Friquelin (Fred Tousch), Damien (Rodolphe Pauly), Rosio (Jean-Luc Bideau)…
Musique : Steve Bouyer, Pascal Mayer
Photographie : Simon Roca
Montage : Antonin Peretjatko, Xavier Sirven
Son : Julien Chabbert, Maxence Dussère, Stéphane Gessat, Laurence Morel
Producteurs : Alice Girard, Serge Hayat, Murielle Thierrin
Distribution : Haut et court
Récompenses : NR
Durée : 99 minutes
Genre: Comédie satirique