L’école est comme une deuxième maison, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Tous sont colocataires et forment une famille d’une certaine manière, mais cet art de vivre possède des limites lorsque la communauté de la salle des profs est amenée à douter de sa cohésion. La sérénité n’est plus et une épidémie névrotique se propage dans les enceintes d’un établissement scolaire que l’on ne quitte jamais. Une étude sociale d’une intensité dramatique redoutable !
Synopsis : Alors qu’une série de vols a lieu en salle des profs, Carla Nowak mène l’enquête dans le collège où elle enseigne. Très vite, tout l’établissement est ébranlé par ses découvertes.
Enseigner est un métier à plein temps. C’est à partir de ce constat que le film sélectionné par l’Allemagne dans la course aux Oscars 2024 entend conquérir son public. Pourtant, les tentatives de restaurer l’ambiance d’une salle de cours sont multiples. Des comédies La Vie Scolaire et Un Métier Sérieux au drame de La Vague, en passant par la tragédie du Cercle des poètes disparus, le film d’İlker Çatak devrait avoir un peu de matières afin de nourrir nos attentes. Ajoutons notre expérience personnelle au visionnage et ce sont des bribes d’anecdotes qui viendront se greffer au récit. Bien heureusement, cette nouvelle étude ne s’abandonne pas à la nostalgie à outrance. La caméra furtive du cinéaste allemand capture dans le vif un portrait radical du système éducatif. Et notre point d’ancrage répond au nom de la brillante Leonie Benesch (déjà aperçue dans Le Ruban Blanc de Michael Haneke) qui se glisse dans la peau d’une enseignante, dont la rigueur et les principes vont peu à peu s’effondrer sur l’autel de la folie et du déni.
Le cercle des enseignants résolus
Carla pour ses collègues et madame Nowak pour ses élèves, cette scission est d’abord questionnée par sa qualité d’enseignement, qui est habilement comparée aux mimiques d’une cheffe d’orchestre accomplie. Cependant, madame Nowak tente tant bien que mal de retrouver l’harmonie de l’école du bout du monde par la suite, dans un respect mutuel et dans un accompagnement sain. C’est une vocation pour beaucoup et c’est également une impasse pour certains. Bien que Nowak parvienne à dispenser des cours de mathématiques et d’éducation physique, elle traîne une charge mentale conséquente qui la cantonne à une routine où rien ne dépasse. Loin de la ranger dans le même tiroir que les androïdes qui récitent leurs cours par obligation, elle s’investit énormément dans sa vie de classe en stimulant ses élèves les plus passifs. L’écoute lui est donc primordiale. Ce qui n’est malheureusement pas suffisant pour la protéger d’une kleptomanie ambiante, qui vire à une épidémie de démence.
La dissection des relations de pouvoir se met alors en place. Carla Nowak est prise en étau entre sa bienveillance à l’égard de ses élèves et un sentiment d’injustice qui l’isole de ses collègues. En témoignent ces longs plans dans les couloirs qui ne la lâchent pas d’une semelle, nous rappelant ainsi le foudroyant Elephant de Gus Van Sant. La technique est toujours aussi attractive et saisissante. Et au bout du chemin, un lieu de rencontre rempli de professeurs qui révisent leurs cours, corrigent des devoirs et papotent de tout et de rien, un peu comme dans n’importe quelle autre institution bureaucratique similaire. Ici, ce n’est pas uniquement le système éducatif allemand qui en prend pour son grade, mais la manière dont on transforme un espace commun en zone de guerre, en zone de non-droit.
La cour des grands
Loups et moutons sont logés à la même enseigne, dorment dans le même enclos, échangent les rôles au besoin, c’est une hallucination collective qui s’abat dans ce collège, véritable microcosme du monde extérieur. Il ne sera pas nécessaire de faire un détour par le domicile pour se rendre compte que rien ne va plus lorsque les individualités entrent en collision. L’enquête pour connaître le fin mot de cette histoire de vol ne fait rien avancer en réalité, mais délie bien des langues et pensées autour de préjugés qu’il convient de discuter. Ce générateur de stress supplémentaire oblige ainsi les protagonistes à agir sous la pression, celle-là même qui a été développée par Laura Wandel et sa cour de « récréation » dans Un Monde.
« Ce qui se passe dans la salle des profs reste dans la salle des profs ». Carla Nowak est claire à ce sujet, ce qui interpelle les élèves chargés de rédiger le journal de l’école, créant ainsi un cercle médiatique vicieux qui se resserre autour de l’enseignante. Ce qui devait initialement constituer le procès des élèves devient le sien et celui de tout un système éducatif, que l’on devine fébrile et vulnérable. La protection des élèves et les apparences sont à sauvegarder à tout prix, comme il est sévèrement rappelé à l’ordre dans L’Innocence. Sans la prétention de brosser le portrait d’une jeunesse décadente et peu à peu à l’éveil de ses droits, Çatak brise tous les obstacles de l’intimité. Tout finit par se savoir, mais tout finit également par s’envenimer malgré la bonne volonté de Nowak, dorénavant perçue comme une idéaliste préoccupée par son statut. La machine intraitable de l’administration ne tarde évidemment pas à dévoiler sa face cachée et ne nous apprend rien sur le fond. La roue continue de tourner tandis que le rôle de bouc émissaire continue d’être redistribué.
Une éducation à revivre et un cinéaste à suivre. De quoi donner plus de lumière aux précédents longs-métrages d’İlker Çatak, Dans la cour des grands et Parole donnée, le premier étant un coming-of-age sur fond de road movie onirique et le second une romance aux antipodes des stéréotypes du genre. Reste que La Salle des Profs redouble d’efficacité dans ses séquences les plus explosives, dignes d’un thriller psychologique. Le dilemme moral au centre du débat nous garde en alerte et nous implique de plus en plus dans une étude sociale où l’on pourrait se reconnaître, où l’on a déjà été confronté à cette intensité saugrenue, authentique et malaisante.
Bande-annonce : La salle des profs
Fiche technique : La salle des profs
Titre original : Das Lehrerzimmer
Réalisation : İlker Çatak
Scénario : İlker Çatak, Johannes Duncker
Photographie : Judith Kaufmann
Montage : Gesa Jäger
Musique originale : Marvin Miller
Mixage son : Michael Hinreiner
Sound Design : Kirsten Kunhardt
Son : Thorsten Többen
Décors : Zazie Knepper
Costumes : Christian Röhrs
Maquillages : Barbara Kreuzer
Casting : Simone Bär, Alexandra Montag
Assistant réalisateur : Janina Hüttenrauch
Producteur exécutif : Markus Mayr
Producteur : Ingo Fliess
Production : if… Productions
Pays de production : Allemagne
Distribution France : Tandem Films
Durée : 1h34
Genre : Drame
Date de sortie : 6 mars 2024