Oscar du meilleur scénario en 1990, César du meilleur film étranger en 1991. 3 nominations aux Oscars, 4 aux British Film Academy Awards et 4 autres aux Golden Globes, en 1990. Pour un film qui parle d’adolescents et de lycée, Le Cercle des Poètes Disparus est sans doute unique dans le genre. Drame garanti sans stéréotypes de « Prom », ou de méchant personnage outrageusement populaire, il est l’un des films les plus populaires de l’année 89. Il se place 5e et engrange 235 860 116 $ au box-office mondial, dont le tiers rien qu’aux Etats-Unis. Retour sur un film de type « Coming of Age » qui a beaucoup de choses à nous dire sur l’école.
Siffler du Tchaikovsky, une académie conservatrice pour garçons, des élèves clamant debout sur le bureau de leur professeur « Ô capitaine, mon capitaine ! », une société secrète à la gloire des mots… Comment oublier cette envie de liberté que nous aura donnée le professeur Keating dans Le cercle des Poètes disparus. Comment oublier ce film qui a su faire d’un cours, ayant lieu dans un milieu austère et froid, un moment de libérations multiples.
Le cercle des poètes disparus est un film réalisé par Peter Weir, réalisateur du fameux Truman Show. Au scénario nous retrouvons Tom Schulman, à l’origine de Chérie, j’ai rétréci les gosses. John Seale est à la photographie, Maurice Jarre à la musique, et Wendy Stites au décor.
Ethan Hawke (Bienvenue à Gattaca) joue Todd Anderson, Robert Sean Leonard (Beaucoup de bruit pour rien, Dr House) joue Niel Perry, Josh Charles (The Good Wife, Hairspray) joue Knox Overstreet, Gale Hansen tient le rôle de Charlie Dalton et Robin Williams (Good Morning Viet Nam, Madame Doubtfire) interprète le professeur John Keating.
L’école, l’enseignement, les individus de demain. Les créer ? Les diriger ? Les soumettre ? Les apprivoiser ? Beaucoup de questions se posent au visionnage du film. Nous condenserons ces questionnements en une problématique unique :
Comment Le cercle des poètes disparus montre-t-il à travers l’exemple de l’académie Welton et l’enseignement de Keating que ce qui forge l’individu de demain est l’esprit critique et l’acceptation de sa vulnérabilité ?
Pour répondre à cette question, nous parlerons de l’académie Welton, milieu où évolue les personnages. Puis nous dirons en quoi John Keating représente une bouffée d’air frais dans cet univers. Ensuite, nous expliquerons ce que le Cercle apporte aux étudiants de l’académie.
Welton: une prison pour le corps et l’esprit…
L’académie Welton est présentée comme de très nombreuses écoles des années 50 et 60, où une discipline de fer règne sur les corps et les esprits des jeunes inscrits. Dès les premières minutes du film, l’académie Welton est engoncée dans un cérémonial centenaire qu’on ne manque pas de nous rappeler. Cela est emprunt d’une ambiance religieuse, dominée par l’austérité. Le bâtiment en lui-même ressemble un peu à des églises gothiques avec une pierre grise et grosse, régulière, polie, sans défaut aucun. Rien ne dépasse, pas même la pelouse.De fait, nous avons plus l’impression d’être dans une abbaye que dans une école…
Puis, résonne le motto solennel de Welton : Tradition, Honneur, Discipline, Excellence. Et au cours du film, les quatre sont respectés par l’institution. La tradition est honorée sans y manquer. Lorsque l’honneur de l’institution est en jeu, on ne ménage pas les élèves. La discipline est plus que rigoureuse avec des châtiments corporels en cas d’incartade. Charlie Dalton en fera les frais. Et l’excellence ? Elle ne manque pas d’être rappelée en toute circonstance !
Welton est une institution qui vise l’excellence. Elle vise seulement à donner un cadre pour les études perçues comme brillantes. Rien n’est mis en place du côté humain pour faire des élèves ambitieux ET heureux. Ils sont tous de futurs avocats, médecins, banquiers, mais cela est-il seulement leur choix? On leur retire leur innocence, leur joie de vivre, leur réelle nature. On en fait des individus blasés, froids, soumis aux regards des autres, et se soumettant à une pression constante. De fait, les parents de Welton participent à ce système qui bride leur enfant et les étouffe. Ils dirigent leurs enfants comme des marionnettes.
Les sermons d’entrée font office de statistiques et de mise en garde en expliquant le nombre d’élèves qui sont allés dans des universités prestigieuses, et le nom des aînés ayant une excellence dans les études sert d’outil de pression sur les cadets.
Bien évidemment, les cours sont menés à l’ancienne, avec des élèves qui doivent écouter l’enseignant et n’interagir avec lui que si cela est demandé. On apprend un petit peu bêtement, comme pendant les cours de latin où les déclinaisons deviennent des récitations. En prime, les connexions avec l’extérieur sont très limitées. Elles ont lieu guidées par un chaperon en semaine. L’école entière semble connaître l’emploi de temps de l’élève. C’est le cas de Knox lorsqu’il va dîner chez les Dunbury où on rappelle à ceux-ci qu’on viendra le chercher à 9h précise. Il y a un surveillant dans la salle d’étude où les élèves travaillent après les cours, et la radio est interdite…
Il faut donc se faire à l’idée que Welton, plus qu’un pensionnat est une prison physique et spirituelle dont le système est supporté par les anciens qui ne changeront jamais ce qui a « marché » durant des décennies. Ils n’adopteront jamais aucune révolution. Welton continuera la vie et les cours même pendant la période de deuil de Niel Perry en se focalisant sur l’élément à éliminer, ce qui ne rentre pas dans sa case…M. Keating.
Une bouffée d’air frais dans cette prison : le professeur John Keating
Et quelle bouffée d’air frais que ce monsieur John Keating ! Ancien de Welton, il n’en porte pourtant aucun effluve. Il est le premier à parler aux élèves comme à des individus et non comme à des singes savants. Il détend l’atmosphère en faisant cours à l’air libre, dans le hall de Welton d’abord puis sur le terrain de jeu comme si les murs épais de l’académie exploseraient sous l’impact de son savoir.
Les élèves sont invités à se dépasser, à penser, à cogiter, à se laisser aller. Avec lui, on lâche la bride des « passions » comme il les appelle pour mieux les anticiper, les comprendre, les analyser. M. Keating n’est pas une figure parentale, ni amicale, mais une sorte de guide dans la nuit de ces adolescents perdus dans leurs émotions intenses, vives et brûlantes.
Il n’est pas seulement le professeur, il est leur « safe space »; à lui, on peut dire que nous avons des problèmes de confiance en nous, d’estime de nous-même. Et même si on ne lui dit pas, il le devine. Il sait qu’une fille nous plaît, qu’on aimerait bien connaître l’amour charnel. Keating est celui qui reste le plus humain de tout le personnel adulte avec les adolescents à qui il enseigne. Les adultes, eux, font figure d’œuvres désincarnées, taciturnes, tristes, sévères, froids. Morts.
Et Keating apprend la leçon la plus importante à ses élèves : Carpe Diem. Bien qu’aujourd’hui, on caricature cette citation par le YOLO (you only live once), Keating a bien fait de la remettre dans son contexte. Oui, il faut « cueillir le jour », mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire attention aux conséquences de ses choix. Pour vivre ce Carpe Diem, il faut aussi savoir assumer les conséquences de ses actes positifs comme négatifs. Ainsi, Keating libère mais modère les élans des jeunes personnes dont il a la charge. Il canalise leurs émotions.
Et bien qu’on lui impute la responsabilité de la fin de Niel, c’est bien le contraire qu’il faut comprendre…Il a donné à Niel le moyen de canaliser ses frustrations dans le théâtre. Et que le père de Niel veuille l’entendre ou pas, ce ne sont pas les conseils de Keating qui ont poussé celui-ci au suicide mais bien M.Perry et son refus radical de ne serait-ce qu’écouter son enfant.
Il a aussi donné de l’assurance à ces adolescents à mettre des mots sur leur maux, à les exprimer, à les accepter, à s’y laisser aller: à être humains. Ils savent ce qu’ils valent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils attendent de la vie. Ils s’ouvrent et bourgeonnent chacun à leur manière. Todd apprend à s’exprimer et se découvre un talent de poète, il est même si bon qu’il improvise des vers sous la pression. Charlie a appris à exprimer ses opinions de façon plus impulsives, lui, qui a pris plus de temps que les autres à s’adapter. Knox a accepté l’idée qu’il sera peut-être rejeté, mais qu’il aura essayé.
Confiants et pensants: créer les esprits de demain
« Je veux forger des esprits libres. » dit Keating, allant contre l’éducation voulue par le doyen qui pense qu’apprendre à des élèves de cet âge à réfléchir est dangereux. Ainsi, Keating en montant sur son bureau, invite les élèves de sa classe à changer d’angle et de ne pas laisser l’auteur dicter le sens du texte. Mais cela peut s’élargir à tout: ne pas se laisser dicter sa conduite, comme Niel, ou faire fi des convenances comme Charlie, ou de la peur d’être ridicule comme Knox ou juste…d’assumer sa sensibilité artistique comme Todd.
Mais il n’y a pas que ça. Le fameux Cercle est un cercle de poésie où on lit les auteurs, on les discute, on improvise, sur de la musique, sur le rythme de la voix. Le Cercle force l’ouverture et la camaraderie bien plus que la compétition entre les garçons. Ils ne se disputent ni le talent, ni la réputation, ni le matériel. Ils se soutiennent avec le Cercle comme « Bro Code ».
Le sujet reste encore aujourd’hui d’actualité. La société demande depuis longtemps aux hommes de brider leurs émotions et de ne pas se laisser aller à leur pathos, mais Keating, en apprenant la poésie à ses élèves, leur apprend qu’ils ont tous un coeur et qu’il ne faut pas avoir peur de le sentir battre. Et dans ce « Bro Code », se moquer des émotions de son ami, aussi intenses soient-elles, n’existe pas. Todd, à la mort de Niel va déambuler à l’aube dans la neige comme un fou, écoeuré par ce qui est arrivé, et personne ne le moque. On le laisse juste exprimer son sentiment de perte. Le film est classé « Coming of age » pour cette raison: faire face aux injustices de la vie ou à ses bénédictions. Ce qui arrive aux garçons les forgera pour un avenir meilleur.
Nous pouvons être définitivement sûrs que ces adolescents tourneront bien et pour toujours. Lorsque Keating quitte définitivement Welton, les plus influencés lui montrent qu’ils ont définitivement compris et assimilé ce qu’il leur a enseigné. Debout sur le bureau, Todd appelle « Ô capitaine, mon capitaine! » rejoint par ses amis. Lui, qui n’a pas osé descendre du bureau la première fois. Il s’y tient, l’expression indécise, suivi d’un fondu au noir. Mais à la fin, il dirige une poignée de vétérans. Il défit l’autorité et le jugement dont il avait si peur.
Conclusion
Les murs menaçants de Welton et le discours moralisateur de l’académie n’ont finalement pas pu un siècle plus tard après la fondation, garantir la réussite de tous leurs étudiants. La mort de Niel et le renvoi de Charlie constituent l’échec d’une politique beaucoup trop rigoriste, qui privilégie le moutonisme. John Keating, en tant que professeur de lettres a su élever et libérer les esprits de ses élèves au bon moment. Nous sommes dans un film de Coming of Age. M. Keating a transmis de son esprit à une poignée d’individus. Il leur a permis de trouver un vrai sens à leur existence. Il leur a permis de réfléchir, de changer les choses pas à pas, de se délivrer d’une vie morose et insipide et d’accepter leur vulnérabilité. Tant qu’ils savent ce qu’ils sont, ils n’ont pas à avoir peur. Ils iront très loin…
Dans un même registre, nous pouvons vous conseiller Le Sourire de Mona Lisa de Mike Newell. Le film traite des mêmes thèmes mais dans un espace féminin et sous le prisme de l’Art.
Fiche technique:
Réalisateur et Scénariste: Peter Weir et Tom Schulman
Directeur de la photographie: John Seale
Musique: Maurice Jarre
Décors: Wendy Stites
Durée: 128 minutes
Langues: Anglais
Année: 1989