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Pourquoi chante-t-on dans les comédies musicales ?

Roberto Garçon Redacteur sur le MagduCiné

Derrière cette question qui peut prêter à sourire, se trouve un questionnement plus général sur les comédies musicales qui nous font chanter et danser. Issues des années 30, d’abord pour illustrer la quête de la célébrité et de la gloire, les comédies musicales sont ensuite allées explorer un terrain social et contestataire. Pourquoi les héros se confondent en pas de danse ? Quelle part joue la politique dans les solos de claquettes ? Dans le cadre de notre cycle sur la musique au cinéma, Le Mag du Ciné analyse en notes et en couleurs ce genre cinématographique si particulier.

Qui, naturellement, serait soudain épris du besoin de chanter dans la rue ? Qui en plus aurait la chance d’être accompagné par tous les passants dans la rue dans un numéro de danse collectif ? Et qui peut se permettre d’interrompre une dispute pour se lancer dans un solo de claquettes ? Sûrement un héros ou une héroïne de comédie musicale, sorte de super-héros capable de naviguer entre la folie de son imaginaire musical et la réalité de sa vie. Ce genre cinématographique brise constamment la frontière entre le réel et le fantaisiste, alternant à la fois des scènes classiques et des moments entièrement chantés et dansés. Un film intégralement chanté n’est donc pas complètement une comédie musicale (Désolé Les Parapluies de Cherbourg) tout comme un film qui n’inclut que quelques scènes musicales (Désolé Bohemian Rhapsody). La comédie musicale, par essence, est un registre bien à part où la force du récit s’exprime entre les notes, les acteurs et leurs pas de danse (souvent) endiablés. Pour étudier le genre en profondeur, il faut donc considérer les mondes dans lesquels se déroulent les comédies musicales comme des univers parallèles où les êtres s’expriment et communiquent d’une différente manière. À la question simple pourquoi chante-t-on dans les comédies musicales, on peut d’abord y offrir une réponse tout aussi simple : pour exprimer ses émotions. Dans une comédie musicale, les personnages se mettent à chanter lorsque les émotions qu’ils ressentent deviennent trop grandes pour être contenues. Le chant et la danse deviennent les deux seuls moyens d’expression à la hauteur de leurs sentiments. Les personnages de comédies musicales vivent trop, crient trop, aiment trop. C’est d’ailleurs pour cela que la grande majorité des films du genre contiennent des romances. Quel sentiment plus envahissant et débordant que celui de la passion amoureuse ? La profusion de couleurs, la précision des chorégraphies, la folie des décors… Tout est alors là en principe pour représenter au mieux le débordement d’émotions que vit le personnage. Le long-métrage 500 jours ensemble de Marc Webb se permettait d’inclure une scène digne d’une comédie musicale pour représenter l’état de transe amoureuse dans lequel se trouve son personnage.

Chanter pour mieux raconter

Une comédie musicale, ça ne se raconte pas, ça se vit. L’effet cathartique des séquences musicales est essentiel à souligner pour comprendre comment un film du genre s’articule. Les trames des comédies musicales sont très souvent simples (mais pas simplistes). Le spectaculaire ne réside pas tant dans un scénario alambiqué ou complexe mais dans un épanouissement total lors de grandes scènes de musique et de danse. Elles ne marquent pas des pauses dans le récit. Au contraire, elles le racontent d’une autre manière. Dans La La Land, le flirt et le début de la relation entre Mia et Sebastian ne sont pas représentés par des dialogues sur-explicatifs et niais mais par un duo de claquettes symbolisant le rapprochement des deux personnages. Les chansons balisent le récit et font suivre à ces films une structure quasi-similaire. On peut prendre pour exemple la première chanson d’une comédie musicale. Pratiquement toujours chantée par le ou la protagoniste, elle représente l’état initial du personnage et sa quête de quelque chose d’autre. Très souvent, c’est un rêve de grandeur vers lequel se dirige notre personnage. Hairspray s’ouvre sur Good Morning Baltimore où l’héroïne Tracy dépeint son quotidien et son envie de gloire et de paillettes (I know there’s a place where I belong Je sais qu’il y a une place où j’appartiens I see all those party lights shining ahead Je vois tous ces feux de fête briller devant So someone invite me Alors, que quelqu’un m’invite Before I drop dead ! Avant que je sois morte !). Cette structure apparaît de manière très visible parmi les comédies musicales les plus populaires aujourd’hui: les dessins animés Disney.

Pour comprendre les thèmes propres aux comédies musicales, il faut un peu plonger dans l’histoire du cinéma. Le genre naît véritablement dans les années 30 avec la naissance du cinéma parlant et le premier film sonore : Le Chanteur de Jazz en 1933. Le premier film parlant de l’histoire est presque une comédie musicale ! Broadway existait déjà. Il s’agit d’abord d’offrir une expérience inédite de la scène et donc de se servir des chorégraphies pour offrir des tableaux esthétiques et musicaux. Cet héritage théâtral vient d’ailleurs toujours planer sur les comédies musicales. À partir de quand le spectacle cinématographique offert ne paraphrase-t-il pas la performance purement scénique ? Les thèmes de prédilection deviennent l’accomplissement de soi, très souvent par la réussite et encore plus précisément dans les métiers de l’art et du cinéma. Dans les années 50, des œuvres s’imposent: Chantons sous la pluie de Stanley Donen (1952) et Tous en scène de Vincent Minnelli (1953). Des noms émergent et deviennent de grandes stars : Gene Kelly, Fred Astaire. La comédie musicale hollywoodienne parle d’Hollywood, de ses défauts et de l’immuable quête de gloire. C’est à partir des années 60 qu’on commence à assister à un glissement thématique. La comédie musicale va vite vers des récits sociaux et de contestation. Quand on chante dans une comédie musicale, on atteint son état le plus ultime et passionné. Son état le plus engagé et engageant. C’est un registre de choix pour explorer les contestations sociales. En 1961, West Side Story raconte la confrontation entre les blancs américains et les minorités ghettoïsées des États-Unis sur fond d’amour impossible shakespearien. Quatre ans plus tard, La Mélodie du Bonheur vient offrir une ode à la joie face aux totalitarismes. Les Parapluies de Cherbourg (1964, comédie musicale ou non ?) délivre une romance tragique dans un contexte de guerre d’Algérie.

Chanter pour dénoncer et exister

Puis après une exploitation jusqu’à la moelle, le genre disparaît des écrans populaires pendant deux décennies. Des exceptions comme Blues Brothers ou The Rocky Horror Picture Show font leur chemin. Mais c’est simple : la comédie musicale n’est plus à la mode. Elle retrouve même le statut négatif qu’elle tenait dans les années quarante. Jugées triviales et légères, on a souvent reproché aux comédies musicales leur artificialité. « La question de l’artifice, qui se pose pour toute étude de genre, s’impose donc avec d’autant plus de force pour la comédie musicale que les nécessités du spectaculaire semblent condamner celle-ci à un morcellement narratif et formel en tous points contraire au « naturalisme » du cinéma classique hollywoodien. » écrit Anne Martina dans Mettre en scène les codes du genre : artifice et théâtralité dans la comédie musicale hollywoodienne classique. Elles représentent à cette période les vices de la jeunesse. En 1984, Footloose en jouera. Le récit raconte l’arrivée de Ren McCormick, un jeune danseur, dans la ville de Bomont où la loi est stricte : les danses et les musiques sont interdites. Tout un symbole. La comédie musicale s’approprie la musique populaire des jeunes pour rendre plus accessible des thèmes anti-conservateurs et progressistes.

Il faudra attendre le début des années 2000 pour voir un retour éclatant du genre avec Moulin Rouge de Baz Luhrmann (2001) qui dépoussière les comédies musicales en alliant la modernité des tubes populaires et une histoire d’amour d’époque. Dans un Paris de la fin du XIXe siècle, Police rencontre Nirvana en faisant un détour près de Madonna. Le succès du film propulse à nouveau le genre sur le devant de la scène. On a donc, sur les vingt dernières années, connu une profusion d’adaptations de musical de Brodway  : Mamma Mia, Chicago, Hairspray etc.. Du chant, des couleurs et de la danse partout donc. Si le cinéma se veut art total, la comédie musicale apparaît comme une forme encore plus ultime où le moindre élément à l’écran doit être millimétré pour servir ses personnages et son spectacle. Dans une comédie musicale, chacun chante sa chanson. La sur-expression par le chant devient un moyen encore plus clair d’éclairer les trames et les pensées des personnages. Dans Les Demoiselles de Rochefort (1967), chacun chante littéralement sa chanson tout au long du film. Tout le monde se croise avec sa destinée en tête (et en notes). Toujours chez Jacques Demy, on tente en 64 le pari du film entièrement chanté avec Les Parapluies de Cherbourg, ne laissant aucune ambiguïté sur le ressenti des personnages. Le chant ne disparaissant que dans sa scène finale, pour qu’on ne puisse plus rien savoir. La La Land s’inspire d’ailleurs de cette scène pour conclure son film par un regard, un silence donc. Quand une comédie musicale ne veut plus rien dévoiler, elle se tait. Car la chanson permet de passer dans un état surréaliste où seule sa fin permet un retour à la réalité. Par exemple, avec la déclaration d’amour chantée d’Ewan McGregor dans Moulin Rouge, il faut attendre la fin de la chanson pour revenir à une situation réaliste qui quitte les ballets près de la lune. Comme pour souligner ce surréalisme et cette folie, des séries télé se sont même offert des épisodes musicaux. De Buffy contre les vampires à Flash, les acteurs se sont prêtés au jeu de la comédie musicale le temps d’un épisode. Rien ne justifiant les personnages à faire des claquettes ou à pousser la chansonnette, il s’agissait de vilains et démons qui piégeaient nos héros dans une réalité alternative. Dans l’épisode de Buffy, le démon fait d’ailleurs ça pour que l’héroïne révèle ses pires secrets. Comme si le seul moyen était la chanson… Pour Joss Whedon, showrunner de la série, cet épisode a été l’occasion de fouiller les esprits des personnages et dévoiler leurs états profonds. Chanter pour révéler, pour se raconter, pour exister donc.