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Liste de 15 grands personnages féminins au cinéma selon la rédaction

Les célèbres personnages féminins sont nombreux, variés, hauts en couleur et ils font briller le septième art de tout leur pouvoir. Sans que cela soit exhaustif ni classifié, certains membres de la rédaction du Magduciné ont voulu rendre hommage à une quinzaine de rôles qui ont marqué leur cinéphilie. Bonne lecture à toutes et à tous.

Ellen Ripley (Alien)

Alien est sans doute l’une des franchises les plus analysées dans l’histoire des franchises, et le film inaugural, celui de Ridley Scott (1979) est considéré, encore 40 ans après, comme un chef d’œuvre qui n’a pas pris une ride. De toutes les discussions, celles qui portent sur le Lieutenant Ellen Ripley, alors interprétée par Sigourney Weaver sont les plus animées. A l’heure où les films les plus virils étaient portés à l’écran, dans ces années 70, le choix d’une héroïne était une vraie déclaration féministe de la part de Ridley Scott, d’autant plus que le lieutenant Ripley était écrit par le scénariste comme étant un personnage masculin. C’est peut-être justement à cause de cela que Sigourney Weaver impressionne tant dans le film. Sa part de féminité est intimement mélangée avec un côté badass qui vient entre autres de la caractérisation initiale du personnage. Elle est paradoxalement maternelle et protectrice d’un côté, et totalement virile dans sa manière de diriger l’équipage dont elle a hérité après la mort de tous les officiers. En un mot, ces subtils mélanges font d’elle une héroïne terriblement humaine face aux Xénomorphes et autres Facehuggers. Ce superbe film mixant dans un bel équilibre science-fiction et film d’horreur est imprimé de son aura de bout en bout. Si on ne devait retenir qu’une scène témoignant de son excellente interprétation, ce serait celle où elle affronte la dernière fois son ennemi Alien , lance-flammes surpuissant à la main et terreur indicible dans les yeux. Un personnage qui sauve aussi bien une planète entière de néfastes extra-terrestres qu’un innocent petit chat d’une mort certaine ne peut être qu’inoubliable, un des plus beaux personnages féminins du cinéma.

Béatrice Delesalle

Diane (Mulholland Drive)

Et si vivre n’était finalement qu’un jeu de rôles, “just like the movies”, comme le dit Diane Selwyn, personnage énigmatique du tout aussi énigmatique Mulholland Drive ? Diane, interprétée par Naomi Watts, est ce personnage sans cesse perdu entre réalité et fiction, dont l’imagination provoque sans cesse la réalité dans ce monde vertigineux de l’illusion, au coeur d’un Hollywood impitoyable qui ne devient réalité que pour une maigre poignée d’élus dont Diane rêve de faire partie. Diane, Betty. Betty, Diane. Autant d’identités superposables, confondues, fantasmées. Tout comme la trame du film de David Lynch, les identités sont fragmentées, et chacun de ces fragments est porteur de sa propre vérité. Car où placer la frontière entre réalité et fiction ? réalité et rêve ? rêve et fantasme ? Pourquoi ne pas accepter la dangereuse porosité permettant à ces champs apparemment cloisonnés de communiquer entre eux afin de former un monde délicieusement riche mais trouble ? Finalement, Diane détient la clé de sa vie : elle décide de qui elle est selon ce qu’elle veut être, ce qu’elle rêve, ce qu’elle imagine, écrivaine de son propre scénario de vie dont elle seule a la connaissance. Son personnage est ambigu, assemblage complexe de facettes parfois contraires, pouvant être aussi heureuse – ce bonheur est-il véritable ? – que triste, cristallisation de ces tristesses qui habitent ceux qui ont la sensation de ne pas exister. Elle restera une sombre inconnue qui porte sur elle un regard qui n’est que le reflet de ses propres fantasmes. Même si elle sera laissée dans l’ombre par un Hollywood auquel elle n’accèdera jamais, nous, spectateurs, la retenons comme l’un des plus beaux rôles féminins au cinéma.

Audrey Dltr

Louise Banks (Premier Contact)

Avec à son actif plus de 50 films et séries, la force d’Amy Adams réside dans le fait de toujours être à la recherche de rôles très différents les uns des autres. Elle est à l’aise dans une variété de personnages différents, de la candeur de Man of Steel (Lois Lane) à la noirceur du thriller Nocturnal Animals, en passant par la poésie mélancolique de Premier Contact. Dans ce dernier, elle interprète le Dr. Louise Banks, une linguiste qui dirige une équipe d’experts dans le but de décrypter les mystérieux messages d’extraterrestres. Petit à petit, le film distille la psychologie du personnage à travers un traitement graphique d’une finesse remarquable, permettant à l’émotion de crever l’écran. Un film bouleversant, où l’intelligence et la sensibilité de cette femme permettra peut-être de sauver l’humanité d’une guerre déclenchée par la folie des hommes.

Fred Jadeau

Ada (La leçon de piano)

Ada est un personnage féminin roi, une sorte de modèle, d’espérance. Elle a rapporté un prix magnifique à sa réalisatrice, seule femme à ce jour palmée d’or à Cannes. C’est un personnage d’une grande beauté non pas seulement physique mais par sa richesse émotionnelle, mutique, au caractère fort et surtout, libre. Elle refuse le rôle qu’on souhaiterait lui assigner pour laisser parler le langage du corps. Et quel langage ! Associé à la musique, il ne dit pas du féminin ce qu’on a l’habitude d’en voir au cinéma. Il laisse parler la liberté, l’élégance, la sensualité aussi. Ce n’est pas un corps qu’on désire particulièrement, qu’on dévore des yeux, c’est un corps qu’on apprend à apprivoiser, à regarder, à découvrir. On veut connaître l’âme qu’il enveloppe. Nous voilà devenus non pas les voyeurs de ce grand personnage de femme, mais presque son égal, l’oreille pour l’entendre, les yeux pour la voir, la caméra pour la mettre en lumière. A-t-on retrouvé une telle force depuis ? Rien n’est moins sûr.

Chloé Margueritte

Marge Gunderson (Fargo)

Marge Gunderson se lève tôt et nous sommes à Fargo, Dakota du Nord. L’hiver n’est pas très doux, plus proche de la Sibérie orientale que des douceurs des îles, auxquelles rêve peut-être secrètement Jerry Lundegaard, petit concessionnaire raté, quand il décide d’organiser l’enlèvement de sa propre femme pour arnaquer son très riche et très autoritaire beau-père. Seulement, dans tous les bons films noirs, un bon plan se déroule toujours avec un accroc. Appelons ça la fatalité, le destin qui ici posent sur la route d’une jeune policière enceinte jusqu’aux dents des cadavres, du sang et une infinie tristesse. Sourire aux dents, pétillante, positive et incroyablement séduisante au travail comme dans ces scènes de couple, si banales et essentielles pour magnifier ce personnage du quotidien réenchantant l’ordinaire. Les héroïnes ne vivent pas dans les contes de fées, Roméo et Juliette ne se font pas kidnapper : elles mènent la danse, contre vents et marées et crèvent l’écran avec une grâce entêtante, longtemps après le visionnage. Un oscar essentiel, en 1997, qui a fait énormément pour les personnages féminins d’Hollywood, qui ressembleront de plus en plus, par petites touches, aux femmes qu’on aime en sortant des salles de cinéma.

Romaric Jouan

Mathilde (L’armée des ombres)

L’Armée des Ombres (1969), long-métrage de Jean-Pierre Melville, est consacré à la résistance française. Simone Signoret y joue le rôle de Mathilde, qui va gagner en importance, tout au long du scénario de ce drame historique. Mathilde apparaît, pour la première fois, à Paris : François (Jean-Pierre Cassel) lui remet deux radios. Son personnage devient central, quand elle rejoint Philippe Gerbier (Lino Ventura), dans la capitale de la résistance intérieure, à savoir Lyon. Mathilde devient le bras droit de Gerbier. C’est une femme acceptant de recevoir des ordres mais avec un caractère affirmé. Elle est le chef d’orchestre de deux évasions dans l’impénétrable siège de la Gestapo. Si la première échoue, la seconde -celle de Gerbier- est une réussite : c’est une preuve de son ingéniosité et de son humanité. Mais Mathilde commet une erreur fondamentale. Elle conserve une photo de sa fille sur elle. Lorsqu’elle est arrêtée, elle doit choisir entre éviter que cette dernière ne soit envoyée dans un bordel sur le front ou sa fidélité envers tous ses frères d’armes. Par mesure de précaution, Gerbier ordonne de la liquider. Elle meurt sous les balles des siens.

Eric Françonnet

Beatrix Kiddo (Kill Bill)

Revenue d’outre-tombe et ancienne tueuse à gages, The Bride, a qu’une seule ambition : tuer ses anciens complices, qui ont tenté de la tuer durant son mariage. Kill Bill, éblouit et iconise ses incantations avec cette réappropriation du Jour de la mort, du fantôme de Bruce Lee vêtu de son légendaire jogging jaune et noir. Il crée une héroïne, une Uma Thurman prenant le visage d’un super héros qui manie les arts martiaux comme personne. Par l’évacuation esthétique de sa protagoniste, Quentin Tarantino passe le flambeau et inscrit la sacralisation de son imagerie de la violence qui met la femme au centre de son architecture, face à David Carradine, protagoniste de la série Kung Fu. Avec comme étendard, ce nihilisme toujours gravé comme fortune d’une époque, Kill Bill est une cure de régime, sans gras et tout en protéine, qui en oublie de dessiner la société américaine, pour mieux se concentrer sur son schéma pictural : créer un patchwork de genres (western, série B, revenge movie, manga…).

Sébastien Guilhermet

Jill McBain (Il était une fois dans l’ouest)

Claudia Cardinale était à l’Italie ce que Brigitte Bardot était au cinéma français : une actrice d’abord réputée pour sa beauté infinie, mais dont les rôles n’étaient pas forcément ceux d’une femme moderne et affirmée. Le cinéma italien a toujours eu quelques problèmes de misogynie. Sergio Leone le premier. Et pourtant, le rôle de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’ouest est l’un des plus modernes qu’une femme ait eu dans un western, surtout à l’époque, et surtout dans les westerns spaghettis. Si Leone ne voulait d’abord pas s’embarrasser d’un personnage féminin trop important, ce sont ses scénaristes, les très célèbres réalisateurs italiens Dario Argento et Bernardo Bertolucci, qui le convainquirent de faire du personnage de Jill McBain, interprété par Claudia Cardinale, le rôle central de toute l’intrigue. Ancienne prostituée, épouse puis mère de famille, mais finalement veuve malmenée par Frank et sa bande, elle restera digne et travaillera d’arrache-pied pour mener à bien son projet de chemin de fer. C’est elle qui arrive en train, sur les notes bouleversantes d’Ennio Morricone, alors que sa famille vient d’être décimée ; c’est elle qui clôturera le film, meneuse d’hommes au milieu des rails, des pioches et de la poussière. Témoin impuissante de la tragédie originelle, elle deviendra petit à petit une femme d’action, laissant son deuil se faire sans ne jamais baisser la tête. Toute l’action tournera autour de sa grande maison (du crime introductif au duel final), dont elle restera la seule maîtresse malgré les impolitesses et la rudesse de nombreux messieurs. Un rôle d’une modernité certaine, pour un film sorti en 1968, qui fit de Claudia Cardinale une héroïne aussi touchante, car brisée, qu’inspirante, car courageuse.

Jules Chambry

La femme (L’Aurore)

Janet Gaynor joue le rôle de la Femme (l’absence de prénom confère au récit une dimension universelle) dans cette merveilleuse histoire d’amour qu’est L’Aurore de Murnau. L’Homme, joué par George O’Brien, s’est épris d’une autre femme, venue de la ville, et envisage de se débarrasser de son épouse (Janet Gaynor). Celle-ci est parfaite dans le rôle de la jeune mère délaissée au regard innocent et à la chevelure bien sage. Walt Disney s’est d’ailleurs inspiré de Janeth Gaynor pour créer son personnage de Blanche-Neige et il est vrai qu’il y a cette juvénilité et cette bienveillance dans le jeu de l’actrice. Pour autant, dans la deuxième partie du film, alors que le couple se rabiboche, le personnage féminin évolue. Subtilement, la jeune femme bien sage s’autorise audaces et désirs. A l’image du passage chez le photographe où elle est la première à s’encanailler, entrainant son compagnon avec elle, ou lorsqu’elle le pousse à aller danser. La virée en ville, ces moments de complicité retrouvés modifient le regard de l’Homme sur sa femme : il retombe amoureux d’elle (et le spectateur à la suite). La sympathie qu’elle suscite rend le drame final d’autant plus éprouvant. A noter que l’actrice jouera un rôle exactement inverse dans le magnifique Lucky Star, de Borzage, deux ans plus tard où elle incarnera une petite souillon mal polie – aux cheveux hirsutes – se transformant en une magnifique jeune femme. Deux chefs-d’oeuvre absolus qui rendent compte de son immense talent. Une actrice formidable pour un rôle inoubliable.

Serge Théloma

Catherine (Jules et Jim)

Tourbillon de la vie. En voilà une expression qui permet de rendre compte de la complexité et de l’exaltation qu’incarne le personnage de Catherine incarnée par la sublime Jeanne Moreau. Elle vient rompre l’équilibre qui tenait entre les élégants Jules et Jim. Audacieuse, charmante, elle symbolise d’abord l’amour libre dénuée de toutes contraintes. Avec la création de ce personnage en 1962, François Truffaut raconte le polyamour avant l’heure et expose les liens intangibles qui peuvent se dessiner entre les cases qu’on s’impose. Amour, amitié, sexfriend.. le personnage de Catherine explose les carcans et donne d’abord à rêver. Son attitude plaide pour une sexualité sans frontière et une passion sans limite. Mais comme dans tout long-métrage sur l’amour, la passion revient à son sens originel : la souffrance. Et soudain, le personnage de Catherine devient quelque chose d’autre. Le coup de foudre laisse place à l’orage. La relation qui était alors rêvée devient toxique. L’évolution de Catherine transpose la comédie romantique en un drame. On s’est connu, on s’est reconnu..

Roberto Garçon

Anna (Possession)

Marc, marié à Anna, rentre chez lui après un long voyage. Malheureusement, elle semble aliénée, changée et ne souhaite plus vivre au domicile familial, préférant dès lors passer son temps chez son amant. Un amant qui lui a fait découvrir les joies d’une sexualité ivre et débridée. Le dialogue paraît impossible entre les deux anciens amoureux, se finissant à chaque fois dans une cascade de décibels. Les disputes sont nombreuses, abrasives et hystériques, mais mettent un visage sur les maux de la dislocation sentimentale du couple. Andrzej Zulawski n’impose aucune barrière à son film. Sa mise en scène virevolte autour de ses protagonistes, alliant des plans larges et circulaires avec des plans resserrés sur des visages graves alimentant les regards troubles et possédés d’Isabelle Adjani et Sam Neill. Devant nos yeux se compose une danse épileptique macabre et horrifique où rien n’est intériorisé, où toute la dimension émotionnelle passe par l’émulsion des corps, des regards et des cris primitifs. Parfois enlevées, animales et outrageuses, les prestations des acteurs terrifient. Leur acmé sera cette fameuse et tumultueuse scène centrale du métro où Isabelle Adjani vociférera les yeux révulsés, s’esclaffant comme une « folle », rejetant alors son démon par tous les pores de son corps. L’horreur du film ne s’intègre donc pas uniquement par son penchant pour les codes du cinéma de genre, mais aussi par son délitement du réalisme.

Sébastien Guilhermet

Margo Channing (Eve)

Reine d’Hollywood, monstre sacré, les superlatifs tombent dès qu’on évoque le nom de Bette Davis. L’actrice n’a pas peur d’embrasser les rôles les plus « subversifs », n’hésite pas à se disputer avec les majors ou avec les réalisateurs, se marie et divorce à son aise, bref, elle a tout de la femme moderne qui impressionnera Hollywood pour longtemps. Mais surtout et avant tout, Bette Davis a un immense talent, gratifiée 11 fois d’une nomination aux Oscars, avec la régularité d’un métronome, raflant par deux fois la statuette. Mais ayant eu peur de se retrouver enfermée dans des rôles de plus en plus médiocres que la Warner lui propose, ses producteurs de près de 16 ans, c’est en free lance qu’elle aborde les années 50, et qu’elle accepte le rôle de Margo Channing dans All about Eve de Joseph Mankiewicz. Elle est cette actrice d’une quarantaine d’années que la jeune Eve (Anne Baxter) manipule. Le récit, qui est un long flashback à propos d’Eve, commence par une séquence où cette dernière, bien des années après sa rencontre avec Margo, reçoit le prix le plus prestigieux pour une actrice de théâtre, preuve qu’elle a réussi tous les plans qu’elle a ourdis sur le dos de Margo. Tout au long du métrage, qui brille essentiellement par son scénario et ses dialogues acérés qui font mouche, Bette Davis se montrera au maximum de ce qui peut être fait. Haïssable dans son égoïsme démesuré, attirant la compassion quand on perçoit ses vulnérabilités, le personnage est fortement caractérisé, et le jeu de la grande Bette tient de bout en bout, avec une liberté qu’elle n’a pas eue lorsqu’elle était encore sous contrat avec la Warner. Même si Anne Baxter, nommée comme Bette Davis aux Oscars pour le film, est elle-même époustouflante dans ce chef-d’œuvre de Mankiewicz, Bette Davis la surpasse véritablement et y est juste parfaite (le mot du réalisateur lui-même). Margo Channing est sans doute le meilleur rôle et la meilleure prestation de sa carrière. Même si elle est inoubliable dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, c’est dans All about Eve que Bette Davis, servie par un scénario et des dialogues particulièrement incisifs, sera royale. Traîtresse d’Hollywood en rompant avec une major, elle n’aura pas l’Oscar qu’elle aurait pourtant amplement mérité avec ce film.

Béatrice Delesalle

Mme Chan (In The Mood For Love)

Maggie Cheung est Mme Chan dans In The Mood For Love, de Wong Kar-wai, l’un des personnages féminins les plus envoûtants et mémorables du cinéma. Le cinéaste hongkongais filme son actrice à merveille et épouse de ses cadres sa silhouette longiligne, légèrement cambrée. De profil dans les nombreux plans fixes des couloirs de l’immeuble, de dos dans les lentes descentes d’escalier, de face, adossée au mur en regardant la pluie, allongée sur un lit, assise au restaurant… Mais toujours silencieuse ou presque. Maggie Cheung devient une sorte d’idéal féminin chimérique pour le personnage de Tony Leung : une voisine si proche, mais si inaccessible ; une maîtresse impossible, un amour fantasmé. Se croyant maître de ses sentiments, lui-même avouera être tombé sous son charme sans le vouloir. Mais comment résister ? Si élégante, si belle dans ses robes aux couleurs éclatantes, toujours en accord (ou, au contraire, en désaccord) avec la tonalité des environnements, si délicate à travers ses mains filmées telles des plumes venant caresser les encadrures de portes, sa coiffure, son rouge à lèvres, ses yeux, son col. Tout participe de l’iconisation de ce personnage d’une féminité rare, cachant derrière ses fards un esprit impénétrable dont on aimerait connaître chaque pensée et émotion. Elle semble pourtant inébranlable, froide, sûre d’elle… Jusqu’à ces brefs moment d’hésitation, de larmes inavouables, de complicité discrète. Si Tony Leung est reparti de Cannes avec une palme d’interprétation méritée, difficile de se dire que Maggie Cheung ne méritait pas, plus que quiconque, de voir son talent récompensé pour ce film. Mais quelle joie de penser que d’ici quelques mois, à l’occasion de la restauration du film pour célébrer son vingtième anniversaire, nous pourrons à nouveau contempler, sur grand écran, avec les notes éternelles de Shigeru Umebayashi, quelques descentes d’escalier et franchissements de portes, au ralenti, d’une Maggie Cheung tout aussi éternelle.

Jules Chambry

Beith, Gina, Laura et Jamie (Certaines femmes)

Le féminin et la poésie sont sœurs dans ce film consacré aux femmes, à quelques femmes qui rayonnent. Elles ne sont pas particulièrement épanouies ou heureuses mais elles tracent un chemin, sont en mouvement. Elles sont des êtres dont les troubles intérieurs sont enfin représentés à l’écran avec pour toile de fond d’immenses espaces qui appellent la liberté. Il ne fallait pas moins de trois récits plus ou moins distincts pour laisser s’écrire et se dévoiler : Beith, Gina, Laura et Jamie. Elles sont les quatre femmes du récit choral. Un récit qui laisse entrer la douceur, la frustration, la colère, mais aussi la séduction. Car ces quatre femmes-là ne font pas complètement sans les hommes et c’est tant mieux. Derrière ces quatre femmes incarnées à l’écran par Kristen Stewart, Michelle Williams, Laura Dern et Lily Gladstone, il y en a une cinquième, la chef d’orchestre au féminin, Kelly Reichardt. La réalisatrice construit une filmographie loin des sentiers battus, lente et exigeante, portée par des rôles féminins forts, jamais pour entrer dans une mode ou faire le buzz, juste dessiner une œuvre cinématographique à part et essentielle.

Chloé Margueritte

L’extraterrestre (Under the Skin)

Cette jeune mante religieuse mutique est l’alter ego de Jean, personnage du fantastique Sombre de Philippe Grandrieux, homme impuissant qui sillonnait les routes à la recherche de proie, de chair qu’il pouvait s’accaparer pour mieux la triturer dans un malaise incandescent. Elle est indifférente au sort de l’espèce qu’elle en train de côtoyer, touchant le sang d’un inconnu, ou tuant un homme sous les yeux d’un bébé venant de perdre son père et son frère noyés, dans une scène à la tension dramatique perturbante face à un déluge de vagues fracassantes. Jonathan Glazer ne pense qu’à une seule chose : son actrice est le miroir d’elle-même. Under the skin a une nature différente, moins déviante, plus féministe que Sombre. Derrière la richesse des thématiques qui sont effleurées, Jonathan Glazer fait un film pour (ou de) Scarlett Johansson. Le plus fascinant reste l’exposition même de cette actrice, de ce personnage à la beauté naturelle délicieuse. Jonathan Glazer écrit et réalise une œuvre de pure fascination plastique, parfois d’un réalisme qui frise la forme documentaire mais à l’esthétique qui ne laisse pas de marbre, avec notamment le talent indéniable de Daniel Landin à la photographie. Tout comme le réalisateur, tout comme les petites frappes écossaises qui jalonnent les rues de cette contrée isolée et brumeuse, le spectateur est happé, hypnotisé par cette actrice. Son allure, sa présence se suffit à elle-même. La première partie, particulièrement, s’attache à démontrer, à rendre palpable ce pouvoir, de séduction mais surtout d’attraction presque chimique provoquée par cette femme. Scarlett Johansson est le personnage, le personnage est Scarlett Johansson. Difficile de ne pas voir le film comme une déclaration d’amour d’un cinéaste pour une actrice, d’une réflexion sur le pouvoir hypnotique qu’elle dégage depuis le début de sa carrière.

Sébastien Guilhermet