Qui dit début d’année dit regard rétrospectif sur l’année écoulée. Alors, comme le veut la tradition, voici les onze films élus par la rédaction du MagDuCiné comme meilleurs films de l’année 2022. Un top où, cette année, nous croisons beaucoup de grands noms, entre Paul Thomas Anderson et Dominik Moll, Ruben Östlund et Park Chan-wook, Bruce Wayne et Elvis Presley…
8ème ex aequo : Coupez !, de Michel Hazanavicius
« Coupez ! L’expression est devenue si associée au septième art qu’elle en constitue aujourd’hui l’antonomase classique. Le cinéma est un collectif. Un film ne saurait voir le jour sans les mille et un trucages qui s’inventent lors d’un tournage. Michel Hazanavicius rend hommage à l’art de Méliès en revisitant un film japonais. Coupez ! décortique la manière dont se construit une œuvre cinématographique. Cette dimension méta fait écho à la mise en abyme sur laquelle repose le scénario. L’humour ravageur qui jalonne l’ensemble de l’oeuvre offre également un regard plein de tendresse vis-à-vis de celles et ceux qui font du cinéma. »
8ème ex aequo : Leïla et ses frères, de Saeed Roustaee
« Déjà auréolé d’un grand succès en 2021 avec La Loi de Téhéran, Saeed Roustaee était de retour sur les écrans français avec Leila et ses frères. Après un thriller âpre et sombre sur l’omniprésence du trafic de drogue en Iran, c’est dans une véritable saga familiale qu’il charge une nouvelle fois son pays avec virulence. On y suit cette famille, composée de quatre frères ainsi que Leila, qui tente tant bien que mal de survivre dans un pays miné par la crise économique. Et les crises sont présentes à plusieurs niveaux dans le long-métrage. Roustaee dépeint avec justesse la chute d’une société, minée par des valeurs archaïques comme le patriarcat, symbolisé par ce père de famille, bourreau de ses propres enfants. Cette famille au bord de l’implosion n’est donc en quelque sorte qu’un simple reflet d’un pays iranien rongé par les traditions. Et on ne peut malheureusement que souligner l’acuité du cinéaste, car l’actualité du monde réel l’oblige. Dans le film, le personnage de Leila est prisonnière de sa condition de femme. Dans la vrai vie, son interprète, Taraneh Alidousti, vient d’être arrêtée car elle prônait la liberté et le droit des femmes. »
8ex aequo : Sans Filtre, de Ruben Östlund
« Le titre international « Triangle of Sadness » du film de Ruben Östlund couronné de la palme d’Or à Cannes, fait référence à un petit triangle de rides qu’on trouve entre les deux sourcils d’une personne. C’est ainsi qu’au début du film, Carl, un jeune candidat au mannequinat se fait refouler par le jury du haut de sa jeunesse, car estimé trop âgé avec son « Triangle of Sadness ». Une scène d’ouverture qui donne le ton du dernier film du Suédois, un film extrêmement sarcastique, caustique, dénonçant de manière virulente mais très drôle les afféteries de la bourgeoisie et des nantis. Les personnages d’Östlund sont de drolatiques caricatures d’eux-mêmes, d’une société que le cinéaste estime corrompue par l’argent, par la conscience de classe, par le pouvoir. Dans une première partie d’une croisière pour multimillionnaires, à laquelle se joignent Carl et Yaya sa copine prospère jouée par la jeune Charlbi Dean décédée depuis, on montre ces « Rich & Beautiful » dans tout ce qu’ils ont de plus abjects sous des dehors lustrés, selon la vision du cinéaste, un marxiste assumé qui a déjà planté sa petite graine avec ses films précédents, avec l’autre palme d’or The Square, notamment : cynisme, racisme, mépris de classe et tutti quanti. Dans une deuxième partie, le voyage se corse pour les protagonistes. Une violente tempête secoue le yacht de luxe, et le pire des cauchemars s’abat sur eux. La métaphore d’une classe ouvrière et d’un retournement de situation peut sembler grossière et facile ; elle est en réalité assez rondement menée. Elle est surtout très drôle, tout comme l’inattendu épilogue, et explique la palme qui lui est attribuée. Östlund réussit en effet la prouesse d’un film d’auteur à thèse encapsulé dans un autre plus divertissant , presque populaire. Triangle of Sadness, Sans Filtre en français, le meilleur de son auteur à nos yeux, mérite amplement sa place dans le top de l’année 2022. »
8 ex aequo : Blonde, d’Andrew Dominik
« Démantelant la notion de biopic pour exprimer sa propre version de la violence aussi psychologique que physique, Andrew Dominik bouleverse les chaumières par son image crue et mélancolique de Marilyn Monroe, bien loin des projecteurs. Un parti pris culotté qui ne plaira pas à tout le monde mais qui s’installera au plus profond des mémoires. A la manière de David Lynch, tout est dans l’ambiance, la réalisation et la bande son, histoire d’installer un climat étouffant enclin à de nombreux fantasmes. Ainsi, Blonde n’est que le reflet d’un mal qui grandit en Norma, un corps étranger qui l’étouffe et la force à se briser pour ne demeurer que Marilyn, devenue à ses dépens le tombeau dont elle n’arrivera pas à se défaire. Un combat continuel pour démêler le réel de l’imaginaire. La crise identitaire est sublimée par la musique de Nick Cave et Warren Ellis. Une œuvre sensorielle qui résonne à tous les étages, prend possession des lieux et balaye les utopies sur une icône maudite où Ana de Armas est pour Andrew Dominik ce que Patricia Arquette est pour David Lynch ou Gena Rowlands pour John Cassavetes. »
5ème ex aequo : As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen
« Trois ans après le très recommandable Madre, le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen resserre encore son propos dans ce qui est son meilleur opus à ce jour et un de nos coups de cœur en 2022. Thriller rural sur fond de xénophobie et de misère sociale, As bestas installe une lourde tension dès la première minute, et le spectateur partagera jusqu’au bout l’angoisse des deux personnages principaux. Les comédiens sont époustouflants, non seulement les Français Dénis Ménochet et Marina Foïs (qui s’impose définitivement dans le registre dramatique) qui s’expriment dans la langue de Cervantès, mais également les deux acteurs espagnols qui campent des culs-terreux racés et haineux plus vrais que nature. Sans effet de manche et en réduisant la violence graphique au minimum, As bestas illustre avec une glaçante maestria l’engrenage des passions humaines qui mène à l’irréparable. Basé sur des faits réels, le film s’inscrit tout à fait dans notre époque. Celle des fossés qui deviennent infranchissables, des dialogues impossibles, des haines sourdes qui menacent d’exploser. Et Sorogoyen y parvient en ménageant quelques séquences visuellement saisissantes. Sans parler de l’affiche du film, absolument magnifique. Un grand film, tout simplement. »
5ème ex aequo : Everything everywhere all at once, de Daniel Scheinert et Daniel Kwan
« Aidé par une inventivité hors du commun et une mise en scène particulièrement soignée, Everything Everywhere All At Once rappelle pourquoi on aime le cinéma. Particulièrement drôle, émouvant et extrêmement surprenant, le film alterne entre poésie, grand n’importe quoi et drame avec une belle efficacité. On retiendra particulièrement un montage de génie, qui se renouvelle et renouvelle la mise en scène constamment. De l’art, tout simplement ! »
5ème ex aequo : Elvis, De Baz Luhrmann
« Sorti en juin 2022, le Elvis de Baz Luhrmann est un film magistral, suffisamment haut en couleurs pour rendre hommage au King.
Campé par un Austin Butler très convaincant, Elvis Presley nous est conté de l’enfance au trépas, de la misère au succès planétaire qui finira par avoir raison de sa santé. En face de lui, Tom Hanks, affublé d’un faux nez, joue le rôle du colonel Parker, impresario toxique qui pousse à bout son protégé devenu poule aux oeufs d’or, pour en récupérer le moindre dollar, aussitôt dépensé en jeu d’argent. Car l’histoire d’Elvis Presley, ce n’est pas seulement du rock, des tubes et des costumes de scène flamboyants, c’est aussi un décès prématuré à seulement 42 ans, une carrière menée tambour battant et un glissement vers le statut de légende de la musique.
Baz Luhrmann réussit avec Elvis un long-métrage superbe, rempli d’effets de style qui donneront l’impression que ce film de presque trois heures passe en un clin d’oeil, à l’image de la vie de ce musicien hors pair, courte mais en même temps si trépidante. »
3ème ex aequo : The Batman, de Matt Reeves
« S’emparer d’une icône déjà largement usitée (en atteste sa palanquée d’itérations depuis 80 ans) pour la réinventer a tout l’air d’une gageure sur le papier. C’est pourtant le pari insensé qu’a relevé Matt Reeves avec The Batman : nouvel interprète (Robert Pattinson), nouvelle déclinaison du chevalier noir mais aussi et surtout nouvelles inspirations. Exit donc le recours au sacro-saint décorum superhéroïque et place à des références étonnantes : Nietzsche, Trump, les attentats du Capitole, les réseaux sociaux et la corruption des puissants sont ainsi autant d’éléments qui vont s’entrechoquer dans une intrigue à la dimension homérique mais aussi profondément dépressive.
Ce n’est ainsi pas une surprise de voir que le hit culte de Nirvana, Something In The Way imprègne de tout son être les quasi 3h du récit tant il agit autant comme une ambiance que comme la lettre d’intention de tout le projet : dépeindre une cité déliquescente rongée par le crime, la peur et le noir profond. Il fallait au moins ça et une vraie richesse dans le story-telling pour redonner à l’écran, quelque chose qui faisait cruellement défaut dans les itérations signées Zack Snyder et Christopher Nolan : la peur du noir. »
3ème ex aequo : Decison to leave, de Park Chan-wook
Park Chan-Wook revient derrière la caméra pour obtenir le Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes. Decision to leave est une enquête mystérieuse, où l’inspecteur Hae-Joon, pourtant chevronné, peine à garder son sang froid face à son attirance envers l’énigmatique Sore. Le réalisateur manipule bien les codes du thriller, parsemant le long-métrage d’une romance amer, compliqué, meurtrière. Avec de puissantes scènes visuelles, un scénario bien cousu et une mise en scène chatoyante, Decision to leave est à coup sûr une grande réussite de l’année 2022.
2ème : Licorice Pizza, de Paul Thomas Anderson
« La pizza au réglisse, c’est un concept, mais dans Licorice Pizza l’expression est celle construite culturellement par les vinyles. Paul Thomas Anderson raconte son adolescence comme d’autres cinéastes avant lui, parsemée de visages heureux refusant de s’arrêter en chemin. Ceux de Gary Valentine, qui sonne comme un pseudo des années 50, séduisant Alana Kane tant bien que mal. Si beaucoup de spectateurs se sont demandés dès la seconde semaine de Janvier 2022 si avec cette romance jubilatoire nous tenions déjà le meilleur film de l’année, c’est parce qu’il recèle tout ce qu’il fallait pour en oublier ce qui la dessine comme si anxiogène : une foi en tout, surtout en ce qu’on ressent, une passion pour les autres, le bonheur de dessiner avec eux une belle nostalgie. »
1er : La nuit du 12, de Dominik Moll
« La Nuit du 12 est un film d’obsessions : pour une enquête impossible à résoudre, pour ces hommes qui tentent de vivre avec la mort au quotidien tout en restant des hommes rationnels, pas des fous, pour ces femmes qui luttent pour être libres, pour ceux qui tentent de les brimer. Surtout, pour un spectateur dont le corps brûlé d’une femme hante cette histoire du quotidien des flics de la PJ mêlée à un crime terrible, injustifiable et pourtant si complètement banal pour beaucoup, car une morte de plus, une liberté de moins deviennent aussi commun qu’une sauvagerie jamais loin, tapie dans l’ombre d’une nuit fatale. La Nuit du 12 lutte contre cette habitude, contre un simple décompte et redonne toute sa place à cette femme, à ceux qui cherchent à résoudre son crime et à lutter contre une société qui voudrait la réduire à rien. Un grand film rempli de trous béants, de questions sans réponse… »