Pour son second long-métrage, le jeune (29 ans à la sortie du film) metteur en scène iranien Saeed Roustayi a marqué de son empreinte un cinéma national particulièrement foisonnant. Si les conditions de tournage éprouvantes et la défiance des autorités rapprochent Roustayi de ses illustres compatriotes, le choix du polar, le sujet (la lutte contre la drogue) et le rythme haletant du film lui confèrent assurément une singularité. Le cinéaste est encore un diamant brut, et sa Loi de Téhéran n’est pas dépourvue d’erreurs de jeunesse, mais son parcours est à suivre de très près, désormais.
En Iran, le trafic et la consommation de drogue sont sévèrement punis par la loi. Le premier crime est même passible de la peine de mort lorsque la vente concerne 5 kilos de produit, voire seulement 30 grammes dans le cas de l’héroïne. L’Etat a décidé d’appliquer cette tolérance zéro face à une consommation en forte augmentation dans le contexte d’un pays qui compte jusqu’à 25% de chômeurs et où les stupéfiants sont désormais largement disponibles. On ne s’étonnera donc pas qu’une grande partie des peines capitales en Iran sont prononcées contre des trafiquants de drogue. C’est ce sujet brûlant qu’a saisi le jeune cinéaste Saeed Roustayi pour son polar La Loi de Téhéran (Metri Shesh Va Nim), dont il est également le scénariste. Le film est consacré à la traque du trafiquant Naser Khakzad (Navid Mohammadzadeh) par l’équipe dirigée par l’énergique lieutenant Samad Majidi (Peyman Maadi). Sorti dans les salles iraniennes il y a déjà plus de deux ans, présenté dans les festivals du monde entier depuis lors, il a remporté plusieurs prix (notamment au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux, en 2020) et rencontré un vrai succès populaire en Iran.
Plusieurs éléments sont à mettre à l’actif du film, à commencer par cette première demi-heure menée tambour battant à partir d’une séquence initiale de poursuite d’un petit dealer à travers les rues de la capitale iranienne. On comprend rapidement que le principe est ici celui de l’action permanente, non pas celle de scènes choc (fusillades, poursuites ou bagarres) finalement assez rares, mais celle qu’incarne un héros en mouvement permanent, qui s’acharne à faire tomber le trafiquant Khakzad. Nulle intériorité ou travail réflexif chez le lieutenant Majidi ; il sait où il veut en venir et n’hésite pas à employer des méthodes expéditives pour provoquer des aveux : menaces, intimidations, chantage. Les méthodes parfois brutales des forces de l’ordre n’empêchent pourtant pas celles-ci de s’inscrire dans un cadre légal bien visible et parfois tatillon, qui exige un respect des procédures d’enquête et ne tolère guère la corruption policière (auquel résiste le probe Majidi malgré des offres de pots-de-vin mirobolantes). On reconnaîtra donc aussi à Roustayi de faire preuve de nuance en ne livrant pas une énième variation de thriller policier musclé.
Vivant une histoire sentimentale compliquée avec une épouse à qui il ose à peine avouer le métier qu’il exerce, Majidi veut atteindre son but le plus rapidement possible – il démissionnera d’ailleurs dès cet objectif atteint. Ce qui donne lieu à un enchaînement de séquences d’interrogatoires tous fructueux, séquences certes quelque peu naïves (nul n’ignore que le travail policier exige beaucoup de temps et de patience), mais qui ont le mérite de conserver un rythme soutenu. On en comprend aussi plus tard l’avantage scénaristique : La Loi de Téhéran a en effet comme particularité de débuter comme une chasse à l’homme, mais celle-ci se termine rapidement, le film basculant alors dans une confrontation implacable entre le protagoniste et l’antagoniste, jusqu’à les placer presque au même niveau.
L’œuvre de Saeed Roustayi marque également par son vérisme manifeste. Cinéaste déterminé, débrouillard et tout-terrain comme bon nombre de ses compatriotes, il a réussi à donner une image très réaliste du fléau de la drogue dans les rues de Téhéran, n’hésitant pas à engager des centaines de vrais toxicomanes pour les besoins de certaines séquences, bataillant pour obtenir des autorités les permis de production nécessaires, et consacrant six mois de préproduction afin de reconstituer les décors réels auxquels il n’a pas eu accès. Il en résulte une peinture saisissante d’authenticité de la rue iranienne, de ses déshérités et de ceux qui ne ménagent pas leurs efforts dans l’exercice d’une mission qui ressemble à un tonneau des Danaïdes. Le plus remarquable est que, sur un plan visuel et de mise en scène, le style nerveux et le souci de réalisme du film n’empêchent pas Roustayi de livrer bon nombre d’images à l’esthétique léchée ainsi que des séquences mises en scène de manière très impressionnante. On pense ainsi à la descente de police dans le chantier de construction rempli de toxicomanes de tout poil, ou aux séquences de la grande cellule bondée, véritable mer de misère humaine filmée comme un organe vivant, grouillement dangereux et imprévisible. Pour un second long-métrage, et compte tenu des conditions de tournage décrites plus haut, quel tour de force !
Toutes ces qualités confèrent une force inouïe à la première partie du film mais nourrissent un espoir disproportionné concernant la suite. Car, hélas, celle-ci a du mal à garder le cap. D’abord, fidèle à une regrettable tendance actuelle, La Loi de Téhéran est beaucoup trop long. Cette durée harasse d’autant plus le spectateur que le film est étonnamment bavard pour du cinéma de genre (cela fuse du début à la fin !) et que le rythme ne connaît aucune baisse de régime. En coupant 30 minutes de métrage au montage, Saeed Roustayi aurait gardé l’effet d’uppercut de son film en resserrant son intrigue sur l’essentiel. Car, une fois que démarre la confrontation entre le policier et le trafiquant, celle-ci est régulièrement polluée par des récits secondaires tirés en longueur et sans rapport entre eux. On dirait que dans toute la seconde moitié du film, le metteur en scène a hésité entre polar viril concentré sur ses deux personnages principaux (à la Heat, si l’on veut), collection de vignettes pour illustrer sa peinture du Téhéran d’en bas, et discrète critique sociale qu’on a du mal à saisir clairement (quelle position défend le cinéaste ?)… Sans parler des rebondissements incessants dans la procédure d’inculpation du trafiquant Khakzad, dont le but est de faire douter le spectateur quant à l’issue, mais la ficelle scénaristique est tellement utilisée qu’elle finit par lasser.
Roustayi aime aussi se regarder filmer, ce qu’illustrent les nombreuses séquences certes très bien mises en scène, mais exagérément rallongées au moyen de micro-rebondissements à l’artificialité croissante. Le même principe s’applique à la direction des acteurs. Peyman Maadi (déjà remarqué dans Une séparation d’Asghar Farhadi) et Navid Mohammadzadeh sont époustouflants, il faut le souligner, mais leurs nombreux numéros d’acteurs finissent eux aussi par nuire à l’efficacité du film. Les longs monologues de Mohammadzadeh, par exemple, brassant tout le répertoire émotionnel du comédien dans un flot de paroles, manquent ainsi du naturel que le cinéaste a pourtant recherché dans sa représentation de Téhéran. Dommage car, on le répète, il n’y a aucun reproche à formuler vis-à-vis de la distribution. Elle manque seulement de direction et d’un sens de la mesure. Gageons que Saeed Roustayi, qui est un très jeune metteur en scène bourré de qualités, gagnera rapidement en maturité et saura progresser sur ces quelques points. En attendant, il a mis le polar iranien sur la carte du monde, ce qui n’est déjà pas si mal.
Synopsis : Au terme d’une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l’affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une toute autre tournure…
La Loi de Téhéran : Bande-annonce
La Loi de Téhéran : Fiche technique
Titre original : Metri Shesh Va Nim
Réalisateur : Saeed Roustayi
Scénario : Saeed Roustayi
Interprétation : Peyman Maadi (Samad Majidi), Navid Mohammadzadeh (Naser Khakzad), Parinaz Izadyar (Elham), Farhad Aslani (le juge), Houman Kiai (Hamid)
Photographie : Hooman Behmanesh
Montage : Bahram Dehghan
Musique : Peyman Yazdanian
Producteurs : Hossein Hadianfar et Jamal Sadatian
Société de production : Boshra Film
Durée : 131 min.
Genre : Crime
Date de sortie : 28 juillet 2021
Iran – 2019