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Captures d'écran et mashup : LeMagduciné - crédits : Spectrum Films

Cops and Robbers, un film d’Alex Cheung en Blu-ray chez Spectrum Films

Retour sur Cops and Robbers (Dim ji bing bing), l’un des films-étalons de la Nouvelle Vague hongkongaise à redécouvrir en Blu-ray chez Spectrum Films.

Synopsis : Trois malfrats agressent des policiers pour s’emparer de leurs armes et attaquer une banque. Rapidement, les cadavres s’accumulent.

Les gendarmes et les voleurs

De la deuxième moitié des années 70 à la première des eighties s’est épanouie la Nouvelle Vague du cinéma hongkongais. Le genre policier prend notamment son ampleur pour mieux traduire les enjeux socio-culturels contemporains du cosmos hongkongais, notamment la réalité d’une jeunesse fortement en proie à la violence, le récit des boat people vietnamiens, ou encore l’éveil de la culture populaire – et jeune – de la boîte de nuit.

Cops and Robbers, premier long métrage réalisé par Alex Cheung en 1979, va justement travailler les premier et troisième éléments avec une imagerie inspirée qui posera l’esthétique de cette Nouvelle Vague. Dirty Harry (Don Siegel, 1971), French Connection (William Friedkin, 1971), Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972) et la filmographie de Sam Peckinpah inspirent ainsi une imagerie urbaine vive et soignée, richement filmée (à l’épaule, en travelling, ou encore, entre bien d’autres, avec des cadres tendant à une forme d’expressionnisme), non pas en studio mais dans une Hong Kong qui tend parfois à une forme de nuit enchantée de lumières, avec l’empreinte d’une violence radicale et soudaine marquée par une forme d’abstraction terrifiante malgré la présentation de quelques motifs socio-psychologiques.

En laissant derrière eux les archétypes et les récits de grandes fresques historiques ou légendaires pour mieux s’ancrer dans la réalité hongkongaise, il s’agit aussi pour Alex Cheung, le coproducteur Teddy Robin Kwan – véritable star musicale à l’époque – et leur équipe, de capturer les nuances qui caractérisent les personnages portés à l’écran. Cette idée constituera aussi la créativité narrative de la Nouvelle Vague. Ainsi les policiers, s’ils servent la loi et l’ordre, ne sont pas franchement exemplaires dans leurs méthodes. Aussi peinent-ils à mêler leurs fonctions policières avec leur vie intime dans le dynamisme urbain à l’image de Bullitt (Peter Yates, 1968). Par exemple, une épouse a quitté l’un d’entre eux, le laissant avec un enfant peu obéissant et enclin à des jeux de gosses – les gendarmes et les voleurs (soit « cops and robbers ») plutôt violents. Quant aux bandits, ces derniers sont loin d’être de simples malfrats tous attirés par l’argent : certains cherchent à être populaires au sein d’une jeunesse qui ne respecte pas la misère, d’autres à surmonter des handicaps qui les ont empêchés d’atteindre certains statuts sociaux. Aussi le mal peut être parfois plus profond, dans une absence de moralité acquise et passionnée dans un foyer moraliste mais jamais bienveillant, par exemple.

Si, comme The Saviour et The Story of Woo Viet, autres grands instigateurs de la Nouvelle Vague hongkongaise, la violence trouve ainsi une forme d’explication dans l’environnement et ses conditions d’existence sociale, ces films réussissent à ne jamais la justifier. Justifier la violence de ces criminels impitoyables reviendrait à pardonner les policiers parvenant à certains succès avec des moyens peu scrupuleux, et ce, même si ces derniers protègent les citoyens dont certains sont d’ailleurs peu enclins à aider cette police héroïsée par les services de communication de l’état. L’ordre doit bien sûr exister, de même que la loi, mais le cycle infernal de la violence engendré et animé par des criminels sans morale ni rigueur et par des policiers tendant à se laisser corrompre par ceux-ci, ainsi que par une forme d’arrogance née de leurs certitudes, ne peut prendre fin que dans le sang, dans lequel baignent la problématique du déshonneur du Parrain, l’abstraction et la perte des repères de French Connection et la radicalité malsaine poético-destructive d’un Peckinpah.

Cops and Robbers réussit davantage que The Saviour à mêler et nous investir de tous les motifs du genre : l’ancrage dans le réel, la violence radicale puis cauchemardesque quelque peu marquée par le giallo, ces flics peu exemplaires mais sympathiques et enfin ces figures de gangsters croisées ici et là, dont l’un, souffrant de strabisme, est un véritable sadique émulé de Dirty Harry au faciès et à l’expressivité effroyablement pop’ tout en ayant, comme noté plus haut, une certaine présentation socio-psychologique de son parcours. Premier film d’une carrière qui allait marquer le paysage cinématographique hongkongais et international, Cops and Robbers tient de ces expériences narratives qui continuent de laisser son empreinte sur la rétine, l’esprit et le cœur des spectateurs, et ce, quarante-et-un ans après sa sortie.

Bande-annonce de Cops and Robbers (Alex Cheung, 1979) pour l’édition Blu-ray signée Spectrum Films.

Cops and Robbers en Blu-ray

Le premier film d’Alex Cheung est à redécouvrir dans une édition Blu-ray signée Spectrum Films. Depuis les premiers mouvements captés sur support film dans la première moitié des années 1890, de nombreux films ont souffert de par le monde du manque de considération pour leur préservation artistique et physique. Ainsi plusieurs ont pu être remontés par des exploitants, ont moisi dans une cave humide ou ont tout bonnement disparu. Le cinéma hongkongais a donc aussi souffert de ces problèmes malgré de nombreux efforts institutionnels locaux et internationaux. Aussi n’est-t-il jamais agréable, répétons-le, de ne pas toujours pouvoir poser les mérites d’un éditeur indépendant.

Depuis longtemps difficilement visible, Cops and Robbers est ici présenté avec une copie plus satisfaisante que celle de The Saviour, qui souffrait d’un usage grossier du DNR. Toutefois, le master HD ne peut qu’être extrêmement daté tant le manque de précision est signifiant. Il semble toutefois qu’une réduction – et non pas une fixation (DNR) – du grain ait pu être opérée numériquement tant la copie manque de ce trait organique. De plus, de nombreux artefacts sont présents comme si la copie n’avait subi aucun nettoyage, ni réparation. On note de gros soucis de stabilisation du cadre et surtout des couleurs. De nombreuses taches et griffes viennent aussi dégrader l’expérience du film. Annoncé en 1080p sur sa jaquette, on remarque toutefois que Spectrum a encodé le film dans la mauvaise cadence du 25i (50 images qui s’entrelacent pour en former 25 par secondes) et non en 24 progressif avec 24 images pleines par seconde). L’éditeur aurait pu corriger ce souci. Du côté de la bande-son, si la VO semble avoir été relativement nettoyée, un souffle en arrière-plan sonore se fait beaucoup trop entendre. La VF ne s’en sort mieux guère au niveau du souffle. Ajoutez à cela un problème de mixage des dialogues français beaucoup trop imposants sur des effets sonores aussi écrasés par une mise en retrait.

La copie est ainsi tellement problématique que l’expérience du spectateur pourrait en souffrir. Des (re)découvertes pourraient s’accompagner d’une déception, non pas pour le film même, mais pour ses conditions de visionnage. Pour contrebalancer ce tort, Spectrum Films a heureusement rempli son édition de compléments dont l’ensemble tient de l’excellence. On trouve comme d’habitude une excellente présentation de Cops and Robbers par Arnaud Lanuque. Ce dernier revient, en sept minutes environ (contre une douzaine d’habitude), sur l’inscription du film dans la Nouvelle Vague hongkongaise ainsi que sur sa conception. Vient ensuite un module d’une trentaine de minutes du spécialiste Julien Sévéon, habitué des éditions Spectrum ainsi que du film d’exploitation, qui livre un exposé sur le lien intrinsèque entre la Nouvelle Vague hongkongaise et le polar. Le retour de Sévéon, bien que passionnant, aurait pu gagner à être plus concis afin de dynamiser son exposé historique. On notera d’ailleurs que le spécialiste, comme Arnaud Lanuque sur sa présentation, semble avoir été coupé – avec un fondu au noir – dans son récit afin d’avoir terminé. On trouve de plus des rushes d’époque en Super 8 tournés par Alex Cheung. On y voit son premier court métrage, des rushes d’un tournage en 1979, et pour la majorité, des moments captés sur la production de Cops and Robbers avec des décors peints, des acteurs en action, un repas festif avec l’équipe du film ou encore Teddy Robin Kwan en plein concert. Le module, qui alterne entre couleur et noir et blanc, propose certainement des images SD upscalées avec de très rares titres contextuels français. Les titres cantonais ne sont pas traduits. On trouve ensuite deux formidables interviews exclusives d’Alex Cheung et de Teddy Robin Kwan. Le temps d’une petite heure, le premier revient entre autres sur ses débuts, sa rencontre importante avec Teddy Robin Kwan qui produira donc son premier long après avoir été charmé par ses essais en Super 8 (ce dont il est honoré), la façon dont il est arrivé sur ce projet après avoir travaillé à la télévision, la conception du film avec la volonté de filmer directement dans Hong Kong avec une postsynchronisation des dialogues par la suite avec les acteurs, ses influences. Quant au coproducteur, ce dernier se souvient le temps d’une vingtaine de minutes de son intérêt pour la Nouvelle Vague, sa découverte des travaux filmiques d’Alex Cheung et de sa volonté de soutenir son premier métrage.

Extrait – le premier traquenard policier du film

Le prolongement de l’expérience du film ne s’arrête pas là. En plus de la bande-annonce, Spectrum Films vous propose aussi de revenir sur Cops and Robbers avec deux modules critiques. Il s’agit d’abord de la critique du film par les youtubers Dirty Tommy et la Critique Masquée (connue sous le nom de la Critique de Zoltan depuis septembre 2019). Ils reviennent, le temps d’une dizaine de minutes qui aurait pu en faire cinq plus animées, sur le plaisir de l’immersion urbaine du métrage, ainsi que sur celui de la variation de tons. Les deux font aussi des liens entre le film d’Alex Cheung, Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992) pour les travellings sur les personnages marchant sur un trottoir, et Peur sur la Ville (Henri Verneuil, 1975) avec son tueur sadique, Minos, qui souffre lui aussi d’un strabisme. Il semble que Dirty Tommy ait oublié d’où son pseudo était inspiré, Dirty Harry, dont le film de Verneuil est un émule. L’esthétique urbaine immersive du film aurait davantage été influencée par le cinéma européen selon eux, notamment le cinéma de Verneuil (ce qui peut se défendre) et de Philippe de Broca (dont le cinéma est, rappelons-le, formidablement coloré et héroïquement délirant car marqué dans son essence par la bande-dessinée). Scotchés face à la violence du film, les deux critiques ne semblent pas tout à fait être dans leur élément, surtout Dirty Tommy qui, habituellement gouailleur, est ici assez silencieux et effacé. La Critique Masquée dirige d’ailleurs le fil du module et encourage les auditeurs à découvrir ce film dans « l’excellente édition Blu-ray de Spectrum Films ». L’éditeur aurait certainement dû les laisser poster la critique en ligne afin de gagner en influence. La Critique Masquée nous rappelle finalement de façon erronée qu’ils sont présents sur « tous les DVD Spectrum ». Cependant, même si nos deux youtubers manquent franchement de rigueur dans leur propos un peu trop léger, maladroit et même hasardeux (on peut dire qu’ils n’ont rien consulté concernant le film mais pourquoi pas, un point de vue vierge peut être intéressant), force est de constater qu’ils ont eu la décence de ne pas consulter les différents propos des modules de présentation pour mieux les répéter sans jamais proposer de point de vue personnel, à l’inverse de The Filmtalker dans l’édition Blu-ray de The Story of Woo Viet.

Enfin, vous serez davantage passionnés avec le podcast de No Ciné consacré au film. Pendant une douzaine de minutes, Thomas Rozec et ses chroniqueurs Arnaud Bordas et Stéphane Moïssakis reviennent sur la Nouvelle Vague hongkongaise et ce nouveau sang de cinéastes prêts à offrir des films forts et audacieux malgré une limite de moyens parfois visible à l’écran. Ces films, dont fait partie le « très soigné » Cops and Robbers, captaient le zeitgeist en l’abordant sans complaisance et l’animaient avec une foi dans le medium et une énergie rare prêtes à redynamiser tout un pan du cinéma mondial et à marquer, encore aujourd’hui, de nombreux cinéphiles. Notons que le podcast était d’abord disponible sur Binge Audio avant d’être supprimé, probablement pour rejoindre au dernier moment les autres bonus de l’édition. En effet, sa présence n’est pas affichée sur la jaquette de l’édition.

Avec des conditions de visionnages problématiques mais justifiables et de nombreux très bons compléments pour densifier l’expérience du film, on ne peut que vous conseiller de gouter à cette édition Blu-ray de Cops and Robbers qui semble constituer le seul moyen de découvrir – dans les meilleures conditions connues à ce jour – le long métrage d’Alex Cheung.

CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES – Cops and Robbers – Blu-ray

Cops and RobbersDim ji bing bing – Format respecté Haute Définition (2.35 :1) – 1080i – 25ips – encodage AVC – Son : Cantonais 2.0 DTS HD Master Audio – Français 2.0 DTS HD Master Audio – Éditeur : Spectrum Films – Blu-ray Disc 50 – Drame Policier – Hong Kong – 1979 – 1h31mn

COMPLÉMENTS

Présentation du film par Arnaud Lanuque

Les Polars de la Nouvelle Vague HK par Julien Sévéon

Interviews exclusives de Alex Cheung et Teddy Robin Kwan

Rushes d’époque en Super 8 tournés par Alex Cheung

Version française d’époque

Critique par Dirty Tommy et Critique Masquée

Podcast sur le film par l’équipe de No Ciné

Bande-annonce

Sortie en combo Blu-ray + DVD en 2019 – prix indicatif public : 19,00€

NOTE ÉDITION
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3.5