Depuis fin février est disponible en édition Blu-ray Madigan (en français, Police sur la ville). A l’occasion de cette sortie HD signée Elephant Films, retour sur le long métrage du mésestimé Don Siegel, qui suit les parcours croisés de deux flics – un détective et un préfet – tourmentés par leurs devoirs respectifs dans une New-York loin d’être la shiny city à la verticalité impressionnante et aux établissements luxueux.
Synopsis : Daniel Madigan (Richard Widmark) et Rocco Bonaro (Harry Guardino) sont deux inspecteurs de la police New-Yorkaise. Dans les rues dangereuses de Harlem, ils se lancent à la poursuite du truand Barney Benesch, mais celui-ci parvient à s’échapper après leur avoir dérobé leurs armes de service. Leur hiérarchie, gouvernée par le préfet de police Anthony Russell (Henry Fonda) va bientôt leur lancer un ultimatum : ils ont 72 heures pour le retrouver ou ils peuvent dire adieu à leur carrière de policier. Pendant ce temps, le préfet doit faire face à une affaire de corruption liée à son ami et bras droit…
New York, New York : Siegel connection
Madigan peut sembler être un polar anodin aux yeux non formés de nombreux cinéphiles. Le film constitue toutefois l’un des étalons du genre, tant dans son fond que dans sa forme, élément actif d’une certaine révolution cinématographique américaine. A l’occasion de la sortie du long métrage en Blu-ray chez Elephant Films, retour sur ce morceau de pelloche réalisé en 1968 par le mal connu et donc mésestimé Don Siegel, réalisateur de Dirty Harry (1971), The Beguiled (1971), Charley Varrick (1973) ou encore Invasion of the Body Snatchers (1956).
1 – Des histoires d’hommes et de femmes
Madigan est un héritier du film noir, toutefois le long métrage s’en émancipe en proposant une chronique policière incarnée par deux individus et leurs devoirs respectifs. Il ne s’agit pas de suivre un détective essayer de résoudre son enquête tandis que le puzzle semble de plus en plus important à la manière d’un Raymond Chandler. Ici, le scénario suit deux individus dans leur quotidien professionnel ainsi que dans leur intimité. Un policier ne porte pas une cape lorsqu’il prend son poste, il reste ici, tels les gusses des Flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972), un être humain dont les actes, sentiments et convictions se croisent et se confrontent autant dans le quotidien du ménage familial que dans celui du boulot. Ainsi le préfet découvre la corruption de son meilleur ami et bras droit. Fonda donne de sa stature et de sa pudeur pour incarner un personnage tout en droiture ne supportant pas la corruption. Mais il vit une relation amoureuse avec une femme mariée et mère de famille, à la réputation importante dans les milieux féministes new-yorkais. Il doute aussi de la droiture de Madigan, qui a toujours « eu de beaux costumes » et un niveau de vie qui dépassait son salaire de flic, mais qui n’a jamais cessé d’être incorruptible. Le même Dan Madigan qui ne manque pas de sympathie pour ses vieilles sources aujourd’hui désœuvrées. Le même détective qui ne manque pas de bagou mais qui s’est laissé berner par un truand au point de se faire dérober son arme de service. Le même qui a du mal à obéir aux attentes de sa compagne Julia qui ne demande qu’à le voir faire un métier moins dangereux aux horaires raisonnables et au salaire bien supérieur à sa maigre rente de flic. En bref, derrière les costumes et les tirades bien salées du détective Madigan, derrière la façade morale, infaillible et sobre de préfet Russell, se cachent des êtres banals aux problèmes d’autant plus banals que la réalité semble intrinsèquement liée au programme de cette alter detective story.
2 – Dans la ville : Siegel bientôt dirty
Justement, la réalité s’entremêle davantage avec le travail de cinématographie urbaine de Siegel. Avant Dirty Harry et son Coogan’s Bluff (Un shérif à New York, 1968), Siegel profite de Madigan pour proposer un polar urbain ancré dans la réalité socio-géographique de son contexte. En effet, le cinéaste ne voulait pas tourner tout le film en studio. D’ailleurs, dès son Invasion des profanateurs de sépulture, il faisait courir son héros dans un décor urbain bien réel. À la lecture des lignes sorties plus haut, le lecteur pourra remarquer que ce n’est pas un geste fétichiste de la part du cinéaste, et que son Madigan, tout comme son œuvre, est pertinente et cohérente tant dans le fond que dans la forme. Le récit cinématographique siegelien existe. Ainsi le détective Dan Madigan tente de retrouver son évadé dans une New-York labyrinthique dont la hauteur des tours donne davantage le tournis qu’elle inspire la grandeur. Loin d’illustrer les paroles romantiques de New York, New York chantées avec ferveur par Sinatra, Don Siegel fait de la ville américaine un terrain de jeu sur lequel le flic course le criminel ; l’alcoolique demande à boire sans être embêté ; un vieux tueur se tape des mineures ; un préfet couche avec une dame déjà engagée dans son petit nid douillet. La New York de Madigan, et plus largement la ville selon Siegel, permet au réalisateur non pas de jouer de la métaphore d’une Amérique plus grise que blanche, mais de capter les faits, gestes, couleurs et autres habits, soit le zeigteist de ce microcosme de société américaine en pleine évolution socio-politico-culturelle.
L’œuvre de Siegel, inspirée par nombre de films noirs (La Cité sans voiles, Jules Dassin, 1948 ; Le Grand Chantage, Alexander Mackendrick ,1957) ainsi que par le néo-réalisme italien et l’œuvre aventurière de John Ford, participe activement à la nouvelle vague de polars urbains américains (tels que Bullitt, Peter Yates, 1968). Siegel en est l’un des grands génies. Et le cinéaste est d’autant plus génial que là où certains des films du genre pourraient très bien fonctionner en studio (tant le propos comme la forme sont artificialisés au possible au point de devenir des gimmicks : un flic qui rode dans la ville, etcétéra), ses métrages appartiennent, comme le cinéaste, à la rue, au désert, à ce monde d’hommes et de femmes loin du glamour hollywoodien.
3 – I’m the law : sur l’édition HD signée Elephant Films
Madigan se présente ici sous son plus beau jour. Le master HD est excellent : le format est respecté ; la définition est satisfaisante et on retrouve un rendu des couleurs tout en nuances. Si le résultat est loin au-dessus de la précédente édition DVD d’Universal (qui était plus que sale), on peut hélas remarquer quelques soucis d’instabilité de l’image à de rares moments ainsi qu’un manque de piqué concernant l’ensemble. La piste sonore originale a été bel et bien remasterisée. On regrettera encore, comme souvent chez Elephant Films, la version française. Le rendu sonore est médiocre tant les voix sont mises en avant et semblent alors détachées/désarticulées de l’image et du reste des effets sonores.
L’édition Blu-ray est hélas légère en bonus : la bande-annonce originale en VOSTFR (ici non remasterisée) ; les trailers de trois autres titres édités chez Elephant Films ; une galerie photos proposant de formidables clichés de tournage en noir et blanc proposés dans un excellent état ; et Peur sur la ville, un entretien autour du film avec Julien Comelli (d’une durée de vingt-cinq minutes, présenté en HD). On aurait voulu le document plus long, d’une part parce que Comelli fournit quantité d’informations sur le film, son héritage noir, son tournage chaotique ; d’autre part, parce que la transmission du savoir nécessite parfois un cadre un peu moins énergique tant le débit du journaliste est fast & furious. Et cela, même en prenant en compte les quelques moments de « pause » offerts par les extraits de Madigan. Surtout, lorsqu’on considère l’introduction plutôt longuette du complément, longueur causée par le pastiche lourdingue et kitsch de l’entrée en matière. Enfin, concernant le DVD présent dans l’édition Elephant Films, celui-ci n’ayant pas été fournis à notre rédaction, rien ne sera prononcé à son propos.
Bande-annonce – Madigan (Police sur la ville)
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES Blu-ray
1080p – 24 ips – MPEG-4 – 16/9ème– 2.35:1 (format respecté) – Couleurs – Son : DTS-HD Master Audio – Français 2.0 mono & Anglais 2.0 mono – durée : 101 min – Etats-Unis – 1968
COMPLÉMENTS
– Peur sur la ville, entretien avec Julien Comelli par Erwan Le Gac (VF – 25 min 42 – HD)
– Bande-annnonce (VOSTFR – 2 min 50 – SD)
– Bandes-annonces des autres films « dans la collection » d’Elephant Films
– Galerie de photos (HD)
– Crédits
Sortie le 28 février 2019 – Prix (combo Blu-ray + DVD) : 19,99€