Pour achever le cycle mené par LeMagduciné sur la dernière décennie cinématographique, la rédaction a réalisé son Top 20 des meilleurs films des années 2010. Bonne lecture.
20 – Interstellar de Christopher Nolan
Avec Interstellar, Christopher Nolan réalise peut-être son projet le plus ambitieux, quatre ans après le succès planétaire d’Inception qui le fit, après une trilogie du Dark Knight déjà adoubée, définitivement entrer dans la cour des très grands. Mais se frotter à la SF semblait inéluctable, passage quasiment obligé et décisif pour ce genre de réalisateur de films à grand spectacle et à gros budgets. Comme Kubrick en son temps, Nolan réalise son 2001 à lui, cristallisant toutes les thématiques écumant sa filmographie : la famille, le temps, la rédemption, prenant ici la forme d’un voyage métaphysique à sens unique. Sublimées par le score d’un Hans Zimmer peut-être au sommet de son art, les images d’Interstellar sont de celles qui restent gravées dans la mémoire, et, sans doute, dans l’histoire du cinéma. Que ce soit la scène de la mise à feu de la fusée, ou la déchirante conversation vidéo entre un père et une fille à jamais séparés, les frissons se multiplient et l’admiration traverse les années. Avec Interstellar, Nolan réalisait peut-être, en plus de son projet le plus ambitieux, le plus grand film de sa carrière.
Jules Chambry
19 – Gone Girl de David Fincher
Tout Fincher se verse dans Gone Girl : la maturité déjà observée dans Zodiac, les figures duales qui ont irrigué Fight Club, les jeux manipulatoires à la The Game ou Se7en. C’est pourtant quelque chose de plus terre à terre qui fait l’étoffe du dernier long métrage en date du réalisateur d’Alien 3. Là où American Beauty autopsiait sous une lumière de morgue l’Amérique suburbaine et l’institution du mariage, Gone Girl va encore plus loin, en y ajoutant un procès en incompétence du système judiciaire, une hystérisation collective due à une fausse disparition, des parents opportunistes et psychotiques, une médiatisation de masse aux effets pernicieux – avec, en apogée, une nymphette grimée en enfant de chœur. L’humain, dans tous ses travers, exerce une perversion absolue sur le récit. Personne n’est blanc comme neige dans Gone Girl. Ni les policiers convaincus sans preuve, ni les avocats adeptes de mises en scène préfabriquées et encore moins des amants davantage préoccupés par leurs intérêts et crises d’orgueil que par la pérennité de leur couple. Ben Affleck campe à merveille l’Américain moyen désabusé dont la culpabilité se fait et se défait en place publique. Rosamund Pike, glaciale et hitchcockienne, lui donne la réplique avec un air prononcé d’ange exterminateur. À n’en point douter, ces deux-là nous livrent du Machiavel en bonbons acidulés.
Jonathan Fanara
18 – The Neon Demon de Nicolas Winding Refn
Les années 2010 ont marqué un virage drastique dans la filmographie de Nicolas Winding Refn. Délaissant complètement les films bruts sur les bas-fonds de Copenhague, NWR entreprend une démarche artistique de plus en plus radicale au fil de la décennie. Si Drive reste l’un de ses plus grands succès, le public se clive à partir d’Only God Forgives et surtout de The Neon Demon, son chef d’œuvre de 2016. Avec ce film, NWR donne à boire et à manger à ses aficionados comme à ses détracteurs. Si The Neon Demon semble être aux premiers abords un nouvel égotrip de la part du Danois, n’hésitant pas à convoquer une certaine dimension autobiographique, il n’en reste pas moins une œuvre de cinéma totale. En racontant l’odyssée macabre d’une jeune femme dans le monde de la mode de Los Angeles, NWR perpétue sa recherche esthétique entamée avec des films comme Bronson ou Valhalla Rising. Dans ce monde à la quête de la beauté parfaite, NWR déploie ses néons et ses couleurs criardes pour nous en mettre plein les yeux accompagnés des nappes de synthés de Cliff Martinez. Tout cela donne naissance à une fantasmagorie orgasmique puisant autant dans Suspiria de Dario Argento que dans Mullholland Drive de David Lynch. NWR est absolument sans limite et il le prouvera en poussant le vice encore plus loin dans sa série Too Old to die Young en 2019.
Maxime Thiss
17 – Whiplash de Damien Chazelle
Sur le rythme endiablé d’un morceau de jazz, la voix de stentor d’un professeur couvre le son saccadé des baguettes d’un jeune batteur, tendu et ambitieux. « Faster ! » hurle le célèbre et terrorisant Terence Fletcher, incarné par le démentiel J. K. Simmons. Par sa pression constante, son suspense haletant et sa mise en scène abrupte, la puissance de Whiplash a marqué le cinéma des années 2010. Le film, Grand Prix du Festival de Deauville 2014, se focalise sur le duel haletant entre deux hommes en quête de perfection et de réussite. Il permet à son réalisateur, Damien Chazelle, d’accéder à une renommée internationale. Le cinéaste passionné de jazz y insuffle son amour pour la musique, mêlé à un traitement brut, presque oppressant. Il révèle déjà dans Whiplash ses thèmes de prédilection, notamment la poursuite effrénée de rêves au prix de tous les sacrifices. Celle-ci justifie pour Terence Fletcher ses méthodes d’enseignement extrêmes et pour Andrew son abandon de Nicole. Whiplash, œuvre musicale viscérale, acte de naissance d’un grand réalisateur, reste une des meilleures découvertes de cette décennie.
Arianne Laure
16 – The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson
Avec The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson donne naissance à son magnum opus. Son film le plus Andersonien et par la même occasion son film le plus abouti. Tout ce que l’on aime dans le cinéma du Texan se retrouve à son apogée dans son essai de 2014. Ces couleurs pastels, ce sens de la symétrie, ces cadres fixes millimétrés, il se fait même le plaisir de convoquer du stop-motion hérité de Fantastic Mr Fox le temps d’une scène d’action incroyable. Et bien évidemment, que serait Wes Anderson sans toute sa troupe d’acteurs ici réunie au grand complet dans des apparitions plus ou moins longues mais toujours plaisantes. De Bill Murray à Willem Dafoe, en passant par Tilda Swinton et Owen Wilson, toute la clique trouve sa place dans le Grand Budapest Hotel. On assiste alors à de véritables festivités comme s’il s’agissait d’une rencontre de vieux amis dont on fait pleinement partie. Tour à tour hilarant et émouvant, laissant la part belle à de nouveaux visages (Saoirse Ronan en tête), The Grand Budapest Hotel est un cocktail jubilatoire, alliant une narration diablement efficace à une ambition plastique à son paroxysme.
Maxime Thiss
15 – The Tree of Life de Terrence Malick
Il est de ces chocs esthétiques et émotionnels qui marquent leur temps et leur époque. En 2011, Robert de Niro et son jury Cannois ne s’y sont pas trompé en décernant la Palme d’or au cinquième film de Terrence Malick. Aujourd’hui, le film divise toujours mais l’empreinte qu’il laisse, lui et plus généralement le cinéma de Malick, sur les productions contemporaines, est palpable voire incontestable. Poésie visuelle virtuose à la force de cinéma sans égal, ode à la nature et film-somme sur l’origine de l’humanité, The Tree of Life est l’un des grands films de notre époque. Une symphonie organique ambitieuse où le montage est en réinvention constante. Ce sillon visuel et technique, Malick le creusera tout au long de la décennie 2010 avec sa trilogie (A la merveille – Knight of Cups – Song to Song), qui n’en finira pas de diviser par son parti pris radical. Pour le reste, The Tree of Life est un chef d’œuvre, dans son sens le plus pur, une œuvre au-dessus des autres, un geste absolu de cinéma et un objet de fascination et d’influence. La marque des grands films.
Jonathan Rodriguez
14 – Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese
Leonardo DiCaprio, Martin Scorsese, une plongée dans les arcanes viciées (et forcément pourries jusqu’à la moelle) de la finance des 90’s : rien que sur le papier, on sentait qu’il émanait du Loup de Wall Street un fumet de grandeur contrariée. Un peu comme si après quelques années de films de films à la solennité affirmée, Martin Scorsese avait mis le doigt sur un sujet apte à faire ressurgir de lui ses penchants pour l’alpha et l’oméga de son cinéma, à savoir une réussite insolente et une descente aux enfers aussi équivalente. En résulte in fine un opéra dantesque de 3h dans lequel le septuagénaire, littéralement déchaîné, filme l’envers du décor du rêve américain avec une énergie insoupçonnée et un coté débridé absolument hypnotisant ; lequel a vite fait de rendre hilare vu les frasques magnétiques de DiCaprio et surtout l’absence totale de bienséance du film qui mélange cocaïne, sexe et biftons à 100 à l’heure. A n’en pas douter le film le plus frappé et délirant de la carrière de Marty.
Antoine Delassus
13 – Mademoiselle de Park Chan Wook
Pour cette décennie cinématographique, Park Chan-wook ajoute à sa filmographie impressionnante une oeuvre sulfureuse qui marquera l’année 2016. Mademoiselle est un thriller qui mêle suspens, émotions et érotisme. Aussi fascinant que Thirst, mais pas aussi jubilatoire que Old Boy, cette adaptation du roman britannique Du Bout des doigts de Sarah Waters transpose le récit dans la Corée occupée par le Japon des années 30. Une romance lesbienne, sans rentrer dans le fétichisme cinématographique complaisant, expose la cruauté et la sensualité qui animent la servante coréenne et sa maîtresse japonaise. Un film où les femmes sont au cœur du récit et de l’action à la manière de Lady Vengeance. Comment évoquer Mademoiselle sans se rappeler des frissons ressentis lors de cette scène d’amour entre les deux femmes où leurs corps se mêlent en plans serrés ? Park Chan-wook plonge dans une esthétique sensuelle et cruelle à la fois. Etant avant tout un maître dans le thriller, il filme avec habileté et génie la cruauté`des hommes et leurs vices profonds. Un récit où les personnages se jouent des apparences, allant même jusqu’à tromper le spectateur dans un récit en abîme au twist final surprenant. Sexe, mensonges et violences, des ingrédients qui auraient pu valoir la palme d’or à ce film.
Céline Lacroix
12 – Incendies de Denis Villeneuve
Denis Villeneuve a frappé très fort avec l’adaptation de la pièce de Wajdi Mouawad Incendies, son quatrième long métrage, mais assurément le premier qui a contribué à le faire reconnaître mondialement. L’histoire est d’une violence émotionnelle fracassante, et il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être touché par l’histoire de Nawal (Lubna Azabal) , une mère en détresse après avoir découvert juste avant de mourir des vérités horrifiques sur son passé. Ce passé est dessiné sur fond de guerre civile dans un pays anonyme du Moyen-Orient, mais que l’on pourra assez aisément associer au Liban, le dramaturge étant lui-même d’origine libanaise. La détresse, c’est le geste de passer à ses enfants jumeaux une quête et une promesse qu’elle n’aura pas pu tenir, sans vraiment penser aux conséquences terribles de son acte. La pièce de Mouawad, superbement adaptée par son compatriote Villeneuve, et interprétée de manière bouleversante par Lubna Azabal et Mélissa Désormeaux-Poulin qui joue Jeanne (l’une des jumeaux de Nawal) est, dans le cinéma d’aujourd’hui, ce qui pourrait se rapprocher le plus de la tragédie grecque la plus complète. Absolument rien n’y manque, et chaque séquence, flashback ou temps présent qui se rejoignent dans une évidence et une cohérence totales, apporte son lot de twist et d’évolution dramatique, le twist final en étant bien sûr le summum. Mais la contemporanéité du film n’en est pas pour autant omise avec les crimes d’honneur, les guerres de religion, les vendetta et horreurs sociales diverses et variées, ainsi que tout le contexte de ce qui compose malheureusement nos JT quotidiens. Incendies est un très grand film qui marque définitivement la décennie d’une empreinte indélébile, et qui réussit avant tout la gageure d’avoir une tenue impeccable malgré un sujet somme toute très casse-gueule.
Béatrice Delesalle
11 – Mud de Jeff Nichols
S’il y a bien un cinéaste dont la décennie 2010 a permis l’éclosion c’est bien Jeff Nichols. À 40 ans et cinq films à son compteur, il est aujourd’hui considéré comme l’un des auteurs les plus talentueux de sa génération. Son troisième film, Mud, à seulement 34 ans, est une fable somptueuse qui puise dans l’imaginaire de Spielberg et dans les thématiques Malickienne. Un film d’aventure – au sens le plus noble du terme – où se mêlent les questionnements autour de la filiation, de l’identification à l’imaginaire lié à l’adolescence et la quête d’aventure. C’est aussi un film qui marque au fer rouge la foi aveugle que Jeff Nichols déploie dans sa narration. La confiance qu’il place dans la magie de ses histoires donne à ce grand récit classique une pureté romanesque peu égalée ces dernières années. La maîtrise visuelle et narrative font bloc, le tout porté par Matthew McConaughey, sous son plus beau visage, et la perle montante Tye Sheridan. Du grand cinéma.
Jonathan Rodriguez
10 – Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
Céline Sciamma réalise un coup double : un prix à Cannes et la présence dans notre top de la décennie l’année même de sa sortie (oui, oui, nous sommes pétris de prétention). Pourquoi ? Parce que son film est un véritable tour de force tout en douceur. La réalisatrice propose un modèle vertueux d’égalité entre ses personnages, d’action pour eux, ils sont des êtres en mouvement, pas des objets. Mais elle le fait sans en faire des militantes, sans grand slogan, juste en filmant la naissance d’un amour, une histoire de regards qui évoluent, qui se jaugent, qui dialoguent, sans domination. A cette image, la scène d’amour du film est un trésor d’humour et de sensualité, une scène jamais vue auparavant, frontale mais non dégradante pour ses personnages. Avec Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma propose de nouveau une utopie à fêlures qui clôture à merveille une décennie faite de soubresauts concernant l’égalité homme-femme, le rapport de force entre réalisateurs et acteurs, l’engagement féministe ou encore les violences faites aux femmes, car ici elles discutent de vrais sujets, de poésie, sans aucune distinction entre elles, sans besoin d’évoquer un homme ou un sujet futile. Une parfaite réussite visuellement magnifique dont le climax est un chant de femmes dans un film qui ne fait qu’un usage modéré de la musique, chant durant lequel une jeune femme prend feu littéralement, s’embrase symboliquement aussi pour un regard qui la fait grandir et qu’elle rend pour faire à son tour bouger l’autre qui n’est qu’un mouvement permanent.
Chloé Margueritte
9 – Vice Versa de Pete Docter
Enchaînant depuis 2010 des suites aussi bonnes (Toy Story 3) que mauvaises (Cars 2, Monstres Academy), nous ne pouvons pas dire que Pixar brillait par ses projets originaux. Pourtant, le studio d’animation était mondialement connu pour ces titres inoubliables qui parvenaient à conjuguer intelligence, émotion, poésie et œuvre d’art. En effet, qui d’autre aurait pu faire un film de super-héros qui surpasse sans mal la concurrence (Les Indestructibles) ? Une séquence musicale qui titille notre cœur sans le moindre effort (l’exceptionnelle introduction de Là-haut) ? Un long-métrage d’une beauté visuelle et sensorielle renversante (WALL-E) ? À une époque, les exemples étaient nombreux ! Mais même Pixar, « dirigée » par Disney, s’est vu s’engouffrée dans le commercial au point de bâcler ses titres originaux. Certes sympathiques mais oubliables (Rebelle, Le Voyage d’Arlo). Qu’à cela ne tienne, l’année 2015 marquait le grand retour du studio avec le brillantissime Vice-Versa. Partant d’un postulat pour le moins difficile à traiter sur le papier (personnifier les émotions d’une jeune adolescente), le vétéran Peter Docter (Monstres & Cie., scénariste des premiers Toy Story…) et son équipe sont parvenus à livrer un véritable bijou cinématographique. Une merveille d’inventivité, qui parvient à brasser moult thématiques (l’importance de chaque émotion, l’enfance, les souvenirs, l’ami imaginaire…) par le pouvoir de l’image et de l’écriture. Que ce soit sur grand écran ou bien à la télévision, nous ressortons du visionnage avec du baume au cœur. Avec l’impression d’avoir regardé une œuvre qui a su nous parler, nous toucher au plus profond de notre être. L’Oscar du Meilleur film d’animation en 2016 viendra confirmer le retour mérité du studio à ce qu’il sait faire de mieux quand il s’en donne les moyens et le temps : émerveiller.
Sébastien Decocq
8 – La La Land de Damien Chazelle
Après avoir séduit le monde entier avec son puissant et intense Whiplash, Damien Chazelle réalise en 2016 (2017, chez nous) la comédie musicale dont il avait toujours rêvé. Sur les pas de Jacques Demy, enrobé d’un vernis hollywoodien, La La Land est à la fois un immense hommage au genre de la comédie musicale, et une façon de le remettre au goût du jour en le modernisant. Raflant presque tous les prix sur son passage, le film devient pour beaucoup de spectateurs un classique instantané, de par sa BO merveilleuse (signée Justin Hurwitz) et ses séquences musicales ciselées. Ryan Gosling se transcende pour incarner ce pianiste désabusé, Emma Stone rayonne comme jamais en chanteuse aux rêves frustrés. Dès la scène d’ouverture, et sa joie de vivre communicative, jusqu’à ce plan final inoubliable qui aura pris au ventre plus d’un cinéphile, La La Land est un rêve éveillé de cinéma et de musique, un cadeau offert par Chazelle dont la passion n’a jamais été aussi communicative. Et si l’histoire n’est pas la plus originale qui soit, la réalisation force le respect, l’usage des couleurs corrobore un récit plein de non-dits et de regards lourds de sens. Et enfin, cet « épilogue » restera pour beaucoup parmi les dix minutes les plus bouleversantes de la décennie. La La Land conservera-t-il son aura à travers le temps ? Sera-t-il un classique absolu de la comédie musicale d’ici quelques dizaines d’années ? Les paris sont pris, mais pour ses admirateurs, la réponse ne fait aucun doute.
Jules Chambry
7 – Parasite de Bong Joon-ho
Dans Snowpiercer et Okja, films réjouissants autant qu’imparfaits, le propos politique et satirique de Bong Joon-ho semblait prendre le pas sur la forme. Dans Parasite, le cinéaste sud-coréen retrouve l’adéquation entre le fond et la forme qui faisait la réussite de The Host. Il faut voir le film comme une grandiose déconstruction de la théorie du ruissellement. Ici, tout ce qui ruisselle des quartiers riches aux quartiers pauvres, par les rues en pente et les escaliers qui les séparent, c’est, littéralement, de la flotte. Et, face à cette injustice, les pauvres se battent… entre eux. Trop démonstratif, trop transparent ? L’humour sauvage laisse pourtant la place au drame. On peut rire de tout, même des riches, sans oublier pour autant le chaos qu’ils sèment dans leur sillage. La charge politique féroce est rendue sur l’écran avec un sens aigu de la mise en scène, jubilatoire pour les spectateurs tout comme pour le réalisateur (on sent constamment chez Bong un plaisir irrésistiblement communicatif à faire du cinéma), et qui met à peu près tout le monde d’accord (même ceux qui pourraient s’estimer visés !). Même si ce n’est que pour deux heures, c’est toujours ça de pris.
Victor A.
6 – Her de Spike Jonze
Sous cette forme de film d’anticipation, Her prend le chemin d’un récit initiatique amoureux, où la technologie prendra des allures de catalyseur vital pour Theodore, pour apprendre sur lui-même. Loin d’être une chronique sur la déshumanisation de l’homme, Her crée sa propre réalité irréelle pour épouser avec délicatesse, toutes les possibilités que la technologie propose à l’homme. La technologie est au final, la propre métaphore de ce qu’est l’amour : une expérience qui nous permet de voir le monde différemment, un espace-temps délectable qui nous ouvre des portes inattendues. Jonze écrit alors un film terrible de sensibilité, intelligent, une histoire d’amour inédite mais universelle, qui passe du chaud au froid avec facilité, jamais moralisatrice sur la condition humaine, filmant avec drôlerie et tristesse la solitude affective d’un homme qui ne demande qu’à s’affranchir des sentiments qui l’empêchent d’avancer. C’est juste l’histoire d’un homme qui veut enfin, commencer à écrire ses propres lettres.
Sébastien Guilhermet
5 – Premier Contact de Denis Villeneuve
Premier Contact est un film marquant car c’est un grand film humaniste de cette dernière décennie 2010-2020. Mettant en scène le temps dans une perspective rarement envisagée, il sait aussi être au plus près de ses deux personnages principaux et met en scène un personnage de femme forte loin de toute création « dans l’air du temps ». Le rapport à l’Alien construit aussi, pays par pays, un lien à l’étranger, à l’autre que soi et au sens du langage. Le temps étire la perspective, il donne aussi une autre dimension à la mise en scène de même que ces immenses vaisseaux qui mènent les personnages au-dessus du sol, face à d’immenses traces. Denis Villeneuve filme un récit d’anticipation majeur dans lequel on voit sans voir (magnifique travail sur les images, les écrans). Le rapport entre l’homme et le savoir, l’objectif est non pas de brouiller la vue, mais de débloquer le regard, de le faire évoluer. Quitte pour ses personnages et les spectateurs à opérer une véritable révolution de leurs acquis. Langage, tracés, temps, rencontres sont autant de thèmes que Villeneuve fait danser sous nos yeux et redessine avec brio. La marque d’un grand film d’époque.
Chloé Margueritte
4 – Inception de Christopher Nolan
Inception, dès sa sortie en 2010, s’est imposé comme l’un des films les plus importants de cette décennie et a su conserver sa réputation au fil du temps. C’est est une plongée incroyable dans les rêves de ses protagonistes, où tout devient possible. Il est absolument jouissif de constater que ce qui est normalement limité, comme le décor et l’architecture, devient le terrain de jeu de l’imagination. Christopher Nolan a réussi le coup de maître de renouveler le film d’action en y imposant sa patte artistique, en nous faisant plonger dans une histoire à plusieurs niveaux. Une histoire qui peut paraître complexe, à cause des différents niveaux de narration, mais qui ne l’est pas nécessairement, les motivations des personnages n’étant pas difficiles à comprendre. La réalisation est d’ailleurs époustouflante, se servant avec brio de l’aspect onirique du film pour présenter des scènes d’action innovantes (on retiendra la scène du couloir). Mais le point d’orgue de cette œuvre est sans doute la magnifique bande son réalisée par Hans Zimmer, qui signe ici un de ses chefs-d’œuvre.
Flora Sarrey
3 – Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve
En s’intéressant au questionnement métaphysique des réplicants, Scott questionnait l’humanité des sujets à travers la peur de mourir. Mais cette fois-ci les années ont passé et les craintes d’hier sont devenues réalités : on se situe dans un monde post-apocalyptique dans lequel les inégalités sociales n’ont fait que s’accroître. Dans un tel contexte, s’interroger sur l’Homme revient à parler de la vie, de celle qui manque dans le quotidien comme dans le cœur des protagonistes, cela revient à faire de Blade Runner 2049 une sorte d’antithèse de son aîné. Toute la grandeur du projet réside là, dans sa capacité à réactualiser la performance du film initial, à savoir soutenir par l’esthétisme un discours métaphysique ou philosophique, ou autrement dit en mettant continuellement la forme au service du fond : en privilégiant le plan-séquence et le rythme indolent, le travail sur la profondeur de champ et la poésie picturale, Villeneuve gorge de sens ses images et offre de nouvelles perspectives à la question identitaire. Bien plus qu’une banale copie, Blade Runner 2049 est un film majeur !
Loic Loew
2 – Mad Max Fury Road de George Miller
Bien entendu, échaudés que nous étions par tous ces remakes, ces reboots et ces suites tournées 20 ou 30 ans plus tard, nous avons pu aller voir ce Mad Max Fury Road avec un regard un peu sceptique, renforcé encore par le changement d’acteur, le Britannique Tom Hardy remplaçant l’Américain Mel Gibson devant la caméra de l’Australien George Miller. Le résultat dépasse pourtant toutes les espérances. Miller emploie tout son talent à nous faire renouer avec cet univers post-apocalyptique où tout montre la désintégration et le pourrissement, à commencer par un Immortal Joe qui mérite sa place au panthéon des meilleurs méchants du cinéma. La course-poursuite qui constitue l’essentiel du film est non seulement impressionnante mais novatrice, ne ressemblant à aucun autre film d’action vu jusqu’à présent. Le cinéaste décrit tout un univers : les décors et les situations ne sont pas seulement des prétextes aux scènes d’action, mais ont un rôle à jouer dans la mise en place de ce monde pourrissant. Visuellement, Mad Max Fury Road est juste sublime et réserve des scènes de toute beauté. Et, cerise sur le gâteau, le film nous présente un personnage, Furiosa, qui parvient à voler la vedette à un Max qui, finalement, est ici presque un personnage secondaire. Du coup, ce n’est pas une surprise d’apprendre qu’un film prochain pourrait être centré sur ce personnage marquant. Et après des succès critique et public ainsi qu’une pluie de récompenses (dont six Oscars), le minimum que l’on puisse dire, c’est que l’on attend la suite avec impatience.
Hervé Aubert
1 – Mommy de Xavier Dolan
En 2014, Xavier Dolan, 25 piges et déjà trois films au compteur réalise Mommy, un film d’une maîtrise et d’une audace remarquable. Le trio formé par Diane (Anne Dorval), Steve (Antoine Olivier Pilon) et Kyla (Suzanne Clément) est un des plus forts qu’il nous ait été donné de voir au cinéma. Steve, cet ado à fleur de peau, à la fois impulsif et attentif, violent mais attachant, est proprement fascinant. Anne Dorval en mère courage tentant de joindre les deux bouts et Suzanne Clément, fantastique en écorchée vive qui ne trouve plus les mots équilibrent parfaitement la triangulation affective voulue par Dolan. Mommy est un merveilleux film sur l’amour mais également une superbe réflexion sur le langage. Au travers de la langue québécoise bien sûr mais également dans les registres qui opposent ou rapprochent les personnages : Steve usant de grossièretés permanentes mais changeant de style lorsqu’il y est contraint, Diane qui verse dans le « joual » local tout en ayant conscience qu’un bon français lui est nécessaire pour retrouver du travail et bien sûr Kyla, l’enseignante sensée maîtriser le parler mais affublée d’un bégaiement rédhibitoire. Langage du corps souvent contredit par celui des mots, rapports d’admiration ou de défiance, une complexité des relations humaines résumée par cette formule de Diane à l’égard de son fils : « Mon Steve, il a de l’entregent ! », sous entendu, il sait se tenir pour peu qu’on sache l’apprivoiser. Langage cinématographique audacieux enfin à l’image de cette scène magnifique où Steve, lancé sur son skate avec Oasis dans les oreilles, ouvre lui-même le champ du cadre cinématographique (passage du format carré ( 1.33:1) au format rectangulaire (1.85.1)) ou encore de celle, bouleversante, où Diane comprenant qu’elle n’y arrivera pas avec Steve se met à rêver du fils – et de la vie – qu’elle aurait pu avoir : musique, cadrages (nouveau passage au format rectangulaire), lumière…tous les choix de mise en scène y sont d’une justesse absolue. Un des grands films des années 2010.
Serge Théloma