Le tueur du Zodiac : le tueur ultime du cinéma ?

Antoine Delassus Rédacteur LeMagduCiné

Il y a 50 ans, l’un des tueurs en série les plus énigmatiques qui soit, alias le tueur du Zodiac, commettait son premier méfait. Un demi-siècle plus tard, le mystère reste entier quant à l’identité de ce frappé qui a terrorisé la Californie. Autant dire une anomalie qu’on a voulu passer au crible : car, de cette frustration innée que de ne jamais avoir mis la main dessus, n’aurait-on pas créé le tueur le plus cinématographique qui soit ? Éléments de réponses…

Nous sommes le 4 juillet 1969. 

La petite bourgade de Vallejo en Californie est en pleine effervescence. Les drapeaux flottent au vent, ça sent la bière, les feux d’artifices, les hot-dogs et… l’insouciance. Du genre de celle qu’on éprouve quand tout un pays va célébrer à l’unisson sa fête nationale. Du genre de celle qu’éprouvèrent peut-être Darlene Ferrin et Michael Mageau, deux ados sans histoire qui pourtant vont entrer dans l’Histoire. Et pas n’importe laquelle d’ailleurs : celle du plus énigmatique tueur en série qui soit, le tueur du Zodiac. Mystérieux, barbare, singulier, dérangé, les qualificatifs pleuvent autour du sillage de ce bien étrange personnage ; si bien qu’on pourrait aisément ajouter dangereux ou imprévisible à la liste tant derrière cette figure notoirement admise au sein du décorum californien, se cache une entité que les policiers de tous bords de l’état ont jamais cessé de chercher. En vain. 

Anatomie d’un symbole

Il faudra attendre le 1er août 1969, pour que la singularité du Zodiac se fasse jour. Puisqu’à l’heure où la culture hippie, les élans contestataires du Vietnam et les retombées d’Apollo 11 parasitent encore la société américaine, une voix dissidente a voulu s’exprimer, et ce par l’intermédiaire d’une lettre grimée en cryptogramme. Bardée de symboles étranges, empruntant autant à l’alphabet qu’au morse, le courrier arrivera comme si de rien n’était à la rédaction du San Francisco Chronicle ; mais aussi chez le Vallejo Times Herald & le San Francisco Examiner. Avec elle, une menace : celle de commettre davantage de victimes si ladite lettre n’est pas affichée à la première page des quotidiens. Evidemment, la menace restera fantoche (du moins initialement) puisque seul l’un des 3 quotidiens publiera le cryptogramme, et directement en page… 4. Un affront pour la figure criminelle qui récidivera une semaine plus tard via des courriers, lesquels donnent non seulement son identité au tueur – il se fera appeler désormais le tueur du Zodiac– mais aussi sur ses exactions puisque des détails sur ses meurtres sont révélés. Dès lors, la menace devient tangible, palpable. Qui est donc ce joyeux larron occupé à traumatiser une région toute entière ? Que cherche-il ? Gloire ? Soins ? Reconnaissance ? A ce stade, personne n’est en mesure d’affirmer quoique ce soit. On cherche des similarités entre lesdits meurtres, on affine les recherches mais toujours rien. Mais déjà un détail qui a son importance ici : le tueur a créé son image.

Tel un marketeux prêt à tout pour vendre un produit quitte à créer le besoin/la demande, le tueur s’est bâti une image de marque. Il a désormais son symbole (une croix encerclé), une tribune et surtout, c’est ça qui nous intéresse, des moyens pour cultiver la peur. Puisque le 14 octobre 1969, alors que l’enquête pour le coincer commence à piétiner, le San Francisco Chronicle reçoit un bien étrange courrier : un morceau de chemise maculé de sang. Ce sang, c’est celui de Paul Stine, un chauffeur de taxi refroidi quelques jours plus tôt par ce qui s’apparente au Zodiac. Dès lors, les vaines palabres deviennent réalité. On a bien à faire à un tueur imprévisible, que personne n’a jamais vu, qui façonne son image et surtout qui se permet d’user de la terreur qu’il diffuse, pour asseoir sa domination. Et l’on sent, à la manière qu’il a eu de correspondre avec la presse, qu’il était également très soucieux de la représentation, de la perception qu’il avait auprès des autres. C’est sans doute ce point qui le rend très cinématographique en l’état. Puisque à l’heure où bon nombre de ses contemporains invoquaient religion, amour ou revendications absurdes pour justifier de leurs meurtres, et ce sans jamais se soucier de leur impact (qu’il soit culturel ou même sociétal), le tueur du Zodiac fut nettement plus intéressé à l’idée de muter, de dépasser sa condition d’homme et derechef devenir quelque chose de plus versatile : un symbole. Car un symbole, ça s’infiltre, ça s’insinue, ça se disperse et ça n’est en aucune façon cantonné aux lois de la physique. En clair, un symbole est partout. 

Once Upon A Time in … Hollywood

Et comme le dit l’adage, une image vaut mieux qu’un long discours. Il ne faudra ainsi pas longtemps pour voir Hollywood, industrie qui sans surprise, carbure aux images, s’emparer de ce symbole. En effet, dès 1971, soit à peine 2 ans après le premier meurtre revendiqué par le Zodiac, ce dernier se voit transposé à l’écran et confronté à rien de moins que l’Inspecteur Harry. Dans ce film, le magnétique Clint Eastwood incarne un policier impassible bien décidé à stopper un tueur connu sous le nom de Scorpion ; un homme taciturne, qui vise sans distinction hommes d’églises & hommes de couleurs et qui n’a pas peur d’y aller franco coté violence. Si vous rajoutez que plus tard dans le film, le tueur menace directement de faire exploser des bus scolaires – une menace qu’avait lui-même formulé le Zodiac en 1969-, on comprend que Scorpion est le Zodiac. Du moins sa transposition au cinéma. Et déjà, ce postulat soulève quelques questions. Comme celle de se demander si le cinéma en tant que média n’a pas été trop rapide ? Car, on ne peut juger de l’atmosphère sur place, mais oser porter à l’échelle nationale un vrai traumatisme vécu par toute une région qui pendant plusieurs années a été la cible d’un tueur, qui plus est seulement 2 ans après sa « naissance », est-ce bien raisonnable ? 

Toujours est-il qu’Hollywood étant ce qu’il est, à savoir une charogne déguisée en studio, les costumes cravates ont vite surfé sur le filon, quitte à proposer depuis lors pas loin d’une dizaine de longs-métrages dans lesquels le tueur est soit mentionné soit carrément le pivot de l’intrigue. On pourra s’offusquer et dire que 10 films en 50 ans semble en définitive assez peu, mais là où on constate que le Zodiac a exercé une certaine influence, c’est aussi et surtout parce que sa plus grande qualité est aussi son plus grand défaut (tout du moins pour la police) : son anonymat.
Puisque en terme cinématographiques, dès lors que quelqu’un est mis face à la caméra, il devient un personnage. Autrement dit, une personne (majoritairement) fictive et que le scénariste a pour tache de décrire, à la fois physiquement et psychologiquement, avec pour mission de coucher un objectif. Dans le cas des personnages ayant réellement existé, tout ce travail de densification est malheureusement impossible puisque la personnalité a déjà pu exprimer à travers ses actes, ses pensées et son corps, sa psychologie et ce qu’elle a tenté de faire au fil des ans. Maintenant que l’on a abordé ce point, confrontons ça au Zodiac. On ne sait pas à quoi il ressemble (si ce n’est qu’une forte probabilité existe qu’il soit blanc), les policiers/profilers n’ont jamais su cerner son mode opératoire ou sa psychologie, ni même prévoir ses attaques et même les psychologues/psychiatres n’ont pas été en mesure d’expliquer la raison de son comportement meurtrier. En clair, le Zodiac est une ombre. Une entité insaisissable, sur laquelle le temps n’a pas d’emprise et qui peut derechef se mouvoir où elle le souhaite. Et même se dupliquer. Tout le credo d’un symbole autrement dit. 

Forcément après ça, on en vient naturellement à se demander si le Zodiac avait conscience de tout cela quand il a osé arborer ce patronyme désuet et ce symbole pour le moins énigmatique. Savait-il qu’il deviendrait plus qu’un simple tueur ? Ou était-il trop occupé à occire les chimères qui le rongeaient de l’intérieur ? Nul n’en saura jamais rien et c’est sans doute sur ce point que la comparaison avec Hollywood s’arrête d’ailleurs. Car a contrario du monde merveilleux du cinéma, dans lequel tous les tueurs sont condamnés à se faire salement dérouiller, que ça soit par Jodie Foster (Le Silence des Agneaux) ou Brad Pitt (Seven), le Zodiac est 50 ans après, toujours en cavale. D’aucuns prétendraient qu’il est en prison (sous une identité que l’on ignore), d’autres pensent qu’il est mort et les derniers qui ne se prononcent pas, pensent qu’il a juste remisé ses pulsions meurtrières au placard. Mais comme on a pu le souligner avant, un symbole est résistant. Il peut fasciner, voire littéralement obséder. C’est sans doute ces deux états d’esprits qui ont dû ainsi alimenter le dessinateur Robert Graymisth, alors employé au San Francisco Chronicle, qui va, de concert avec la police, tenter de décrypter la psyché du tueur, étudier son profil quitte à tomber, après plusieurs années fastidieuses (qui lui coûteront d’ailleurs son mariage) sur un suspect, Arthur Leigh Allen. Un suspect qu’un certain David Fincher, l’un des écoliers ayant pris l’un des bus scolaires visés par le Zodiac, dépeindra à l’écran presque 40 ans plus tard dans son film éponyme, pour finalement admettre qu’aucune concordance génétique/ADN n’existe entre le tueur et le fameux suspect. 

Frustration quant tu nous tiens…

Rédacteur LeMagduCiné