Whiplash, un film de Damien Chazelle: Critique

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 [Critique] Whiplash

Synopsis : Andrew, jeune batteur  au talent insoupçonné a l’ambition de devenir le prochain Charlie Parker. Terence Fletcher, le professeur le plus réputé de son école de musique, lui fait intégrer son groupe. Pour devenir meilleur musicien, Andrew doit surmonter l’humiliation, le sadisme et la manipulation de Fletcher.

Sang, sueur et larmes : la torture mélomane

« Not my quite Tempo » : cette phrase va vous hanter
Sang, sueur et larmes. Voilà à quoi s’attendre en s’immergeant dans Whiplash sur fond de rythme déchaîné de caisses et de cymbales. Pour son second film, Damien Chazelle, le réalisateur américain d’origine française a su trouver le bon tempo de la torture mélomane. Il s’inspire de sa propre expérience en tant que batteur pour réaliser ce film, très bien orchestré. Avant même d’être en salle, ce film a été récompensé au Sundance 2014, Deauville 2014 et a reçu un standing ovation au Festival de Cannes 2014 pour la catégorie « Quinzaine des Réalisateurs ».

Un montage et une réalisation orchestrés
Damien Chazelle, est parvenu à traduire l’univers musical du Jazz à travers la caméra. Avec une manière chirurgicale de découper et monter les scènes, en totale accord avec les performances musicales. On ressent cette alliance amoureuse de la musique à l’image, ainsi que cette volonté de lui rendre corps. Il donne du mouvement au rythme, avec des travelling latéraux sur les musiciens, ces gros plans sur les partitions et les instruments. L’immersion au chœur du groupe musical est telle que l’on devient plus que simple spectateur, mais nous-même maîtres d’orchestre battant le tempo.

Relation maître/apprenti très masochiste
Le récit nous montre cette relation mentor/élève qui devient rapidement celle d’un bourreau et sa victime. Le réalisateur dit même s’être inspiré particulièrement de film de guerre et non de films sur le jazz, pour mieux représenter ce lien entre chef et élève. Full Metal Jacket de Stanley Kubrick devient l’exemple le plus approprié pour dépeindre cette dévotion empoisonnée d’Andrew à Fletcher.

J.K. Simmons interprète avec brio cette figure despotique. Crâne chauve mis en lumière, ridules exacerbés et corps parfaitement athlétique ; il incarne cette autorité tranchante et ambiguë L’acteur a lui-même suivi des études qui le destinait à devenir compositeur. Le personnage de Terence Fletcher est donc difficile à cerner, sous sa poker face de génie, il pousse à bout, torture ses élèves pour les élever au-delà de ce que l’on attend d’eux. Ce professeur représente parfaitement le tyran, surgissant toujours de manière inattendue dans le cadre, aux répliques cinglantes, et à la personnalité difficile à cerner. Presque vu de manière inhumaine et mécanique, il va jusqu’à encenser la souffrance physique du jeune Andrew. Avec des plans serrés sur ces visages crispés, ces muscles tendus et ces gouttes de sueurs que l’on ne peut discerner de ces larmes, le spectateur ressent la douleur autant que la fierté d’Andrew.

Quant à Miles Teler, jeune révélation depuis Divergente et The Spectacular Now, il se surpasse pour Whiplash. Pratiquant la batterie depuis ses 15 ans, il joue réellement lors des scènes de solo. C’est donc bien son sang qui est versé et de véritables ampoules que l’on voit crever sous nos yeux. Le personnage d’Andrew, en recherche désespérée d’attention et d’approbation, rentre alors dans ce cercle pervers d’humiliation et de torture physique pour se faire accepter par Fletcher. Il s’impose d’être le meilleur, dans une cadence inhumaine de répétition, prêt à mourir pour mériter sa place de batteur officiel. Dans la scène de performance finale, les deux personnages sont en osmose dans le cadre, avec un jeu d’échange de regard, digne d’un match de tennis qui décrit parfaitement leur relation compétitive. Ils deviennent également liés dans le récit, à travers leur montagne russe, du succès à la déchéance.

Le succès au gout du sang
On adhère, ou pas, face à ce discours sur la réussite, prouvant qu’en nous donnant corps et âme dans notre but, notre passion, jusqu’à même sacrifier notre entourage, on parvient au succès. Mais ce mérite reste tout de même fragile, comme le montre le film dans un véritable jeu du chat et la souris entre Fletcher et Andrew. Avec l’intérêt du professeur qui peut alors passer d’un élève à l’autre, dans un but de stimulation de la compétition chez Andrew. Le récit dépeint cruellement la réalité du milieu du show business où le succès est éphémère. Au bon vouloir, de ce Dieu du Jazz, Andrew détient les baguettes, comme objet de torture, puis perd ce titre.

Film de Jazz moderne
Au delà du discours sur le succès, le film nous plonge dans l’univers doucereux et rythmé du Jazz. Avec cette esthétique dorée, brune et noire, la lumière donne aux instruments dorés un contraste avec le fond obscur des salles de concert, ce qui augmente cette ambiance à la fois électrique et rassurante.

Avec un regard très actuel, la question de l’héritage du jazz se pose face au désenchantement de ce genre musical. Le film alors prend notre âme musicale aux tripes, accélère notre rythme cardiaque vibrant au tempo des caisses. Jusqu’à la dernière scène, d’apothéose, on est soulevé. Le rythme de notre souffle se fait en accord avec celui du montage. Tout du long, on est mené à la baguette, sans jamais être confortablement installé. On finit à bout de souffle et c’est ce qui fait la beauté du film.

Le film est un une réussite tant filmique que musicale, réinventant le film sur le jazz. Avec une performance merveilleuse des acteurs, et une œuvre étonnamment bien orchestrée par Damien Chazelle, Whiplash sublime nos sens et désynchronise notre myocarde.

Whiplash : Bande-annonce (VOSTFR)

Whiplash : Fiche Technique

Réalisateur : Damien Chazelle
Scénariste : Damien Chazelle
Interprétation : Miles Teller (Andrew), J.K. Simmons (Fletcher), Paul Reiser (Jim), Melissa Benoist (Nicole), Austin Stowell (Ryan), Nate Lang (Carl)
Directeur de photographie : Sharone Meir
Musique : Justin Hurwitz
Montage : Tom Cross
Producteurs : Jason Blum, David Lancaster, Helen Estabrook…
Production : Bold Films, Blumhouse Productions, Right of Way Films
Genre : Drame, Musicale
Durée : 1h 47min
Date de sortie : 24 décembre 2014

Etats-Unis – 2014