Mud – Sur les rives du Mississippi : fable initiatique dans le bayou et cinéma d’émotion
Une petite île au milieu du Mississippi. Ellis et Neckbone, deux adolescents intrépides de 14 ans, découvrent un bateau perché au sommet d’un arbre et rencontrent un individu mystérieux avec un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise porte-bonheur : Mud. Ellis et Neckbone vont aider ce fugitif au passé trouble à s’enfuir, en échange de son arme. Quelle est la véritable histoire de Mud ? Et qui est cette jolie blonde, Juniper, qui vient de débarquer dans la ville de L’Arkansas ?…
Après l’Arkansas et l’Ohio, Jeff Nichols pose ses caméras, sur les rives boueuses du Mississipi, celles de son enfance. Mud, à mi-chemin entre film d’aventures et thriller romantique, nous entraîne dans une Amérique bien loin de la modernité et de l’urbanisation. Le long des rives du Mississipi, la vie se déroule lentement. Le fleuve, symbole du sud des Etats-Unis, verdoyant et fantomatique, immense et sauvage, est admirablement filmé par le réalisateur [1] et devient un véritable personnage à part entière, avec sa dangereuse et trompeuse tranquillité. L’existence n’est-peut-être pas si paisible dans le bayou, surtout après l’arrivée du héros sauvage et romantique, Mud, lancé dans une course contre la mort après avoir tué par amour. A son contact, ses deux jeunes confidents et alliés, Ellis et Neckbone, apprennent la vie et l’amour, ses beautés et ses noirceurs, l’apprentissage des compromis auxquels les adultes sont soumis, la découverte du mensonge, les premières trahisons sentimentales… Ce récit d’initiation et d’apprentissage de l’adolescence est filmé par Nichols avec une fluidité quasi-onirique, renforçant la mélancolie de ce passage délicat de l’innocence au monde adulte.
Après le grand Take Shelter [5] (2011), Jeff Nichols se réapproprie les grandes légendes de l’Amérique, de Tom Sawyer à Huck Finn, et cultive avec une riche maîtrise formelle et esthétique les pulsions des sentiments. Mud est un revival virtuose de l’aventure juvénile sur grand écran, qui telle une brindille de bois au fil d’un cours ample, sinueux et rêveur, charrie les émotions de Mark Twain, de La nuit du chasseur[6], les bris de Southern Gothic et les ombres de William Faulkner [7]. A seulement 34 ans, Jeff Nichols s’inscrit dans le sillon des plus grands cinéastes américains, Kazan pour le lyrisme calme, Arthur Penn pour l’intelligence de la construction narrative. Mud peut être considéré comme un hymne à l’amour, au réel, à la puissance des sentiments et à la beauté des êtres. Il nous plonge dans un monde où l’innocence a encore droit de cité. Un monde où l’on croit aux histoires d’amours impossibles, où les parents sont encore des héros et où les mystères de la vie semblent infinis à explorer [8]. Reparti injustement bredouille du dernier festival de Cannes, Mud est indéniablement une œuvre d’une sensibilité rare, un récit universel, une poésie. Ne nous méprenons pas : c’est du grand cinéma !
Mud – Sur les rives du Mississippi : Bande-annonce
[1] Comme Ben Zeitlin dans Les Bêtes du sud sauvage (2012), Nichols filme avec beaucoup de soin ce long fleuve tranquille, qui même lorsque le rythme du récit s’endort, réussit à nous tenir en haleine.[2] Egalement dans Les bêtes du sud sauvage de Zeiltin, quasi documentaire ethnologique, on retrouve ce regard sur les classes populaires vivant pauvrement dans le bayou, cette ambiance poisseuse et délicate de la civilisation des bords du fleuve, mais avec plus de dureté.
[3] Ce revirement de l’acteur apparaît surtout dans PaperBoy (2012) et Killer Joe (2012).
[4] Tye Sheridan, déjà remarqué dans The Tree of life (2011) de Terrence Malick, film mystique et panthéiste et palme d’or du festival de Cannes 2011.
[5] Take Shelter (2012) est un intense drame psychologique, prix du festival de Deauville. un genre digne du drame familial The Tree of Life.
[6] Le plan subaquatique mêlant une étrange inquiétude rend hommage à La Nuit du chasseur (1956) de Charles Laughton.
[7] Mud est un film de caractères, un peu à la Faulkner, de situations psychologiques et de rapports humains forcés.
8] Il est impossible de ne pas penser à Stand by Me de Rob Reiner (1987), autre conte initiatique mêlant adolescence et sens de la vie dans un décor naturel, ou à Un monde parfait (1993) de Clint Eastwood avec Kevin Costner.