Les années 2010 : Adam Driver, le grand brun aux deux visages

Antoine Delassus Rédacteur LeMagduCiné

A l’aune de la fin d’une décennie qui aura durablement marqué les esprits, on a pensé qu’il serait bon de mettre les projecteurs sur les âmes ayant in fine façonné ces 10 ans d’images, d’émotions et de sensations fortes. Dès lors, ne pas évoquer le cas du mystérieux Adam Driver, aka l’une des plus belles révélations de cette décade, semblait impossible.

De longs cheveux noirs, une paire d’yeux emplis de confiance et un sourire lui donnant l’air du gendre idéal : rencontrer Adam Driver est toujours une petite déconvenue en soi. Il faut dire que sous cet apparat de parfait petit banquier de la City se cache l’un des acteurs les plus versatiles, complets et intriguants de sa génération. Une image forcément triviale quand on la compare à sa déjà grande réputation, mais une image avant tout. Car Adam Driver, en bon acteur qu’il est, ne se contente pas d’en donner : il les contrôle. Pas question donc de le parquer dans une case, comme le font beaucoup de journalistes. La seule image qu’on pourra tirer de l’américain sera celle qu’il veut bien laisser transparaître : celle d’un homme humble mais paradoxalement exigeant et à l’humour insoupçonné. 

De l’important d’etre constant (ou pas)…

Issu d’une famille de l’Arkansas très investie spirituellement (son père puis beau-père étaient tous les deux pasteurs baptistes), ce qui lui donnera sans doute ces valeurs altruistes qu’il défend de toutes parts, rien ne prédestinait Adam Driver au monde du cinéma. A peu près tout le contraire d’ailleurs. Et pourtant, passé le cap du 11 Septembre 2001, qui le verra à seulement 18 ans s’enrôler dans les Marines et d’un vilain accident de VTT qui l’empêchera de se rendre en Irak, voilà que le grand brun décide séance tenante d’intégrer la très réputée Julliard School de New-York. Là-bas, il s’initie à l’art du spectacle pendant 4 ans, fais ses gammes et écume bien vite les castings, quitte à empiler les séries policières qui pullulent sur TMC (New York Police Judiciaire & New York Unité Spéciale en tête) et finalement arriver à jouer dans un téléfilm HBO comptant rien de moins que le légendaire Al Pacino. Un début prometteur loin s’en faut qui se verra doublé d’une chance qu’on se le dise typiquement américaine. Parce que, sans crier gare le voilà à parader pour ses premières minutes de cinéma dans le J.Edgar de Clint Eastwood. Rien que ça. Et la suite n’en sera que plus étonnante puisque après 2 comédies romantiques passées inaperçues, le voilà à réitérer son coup du chapeau, en bossant coup sur coup avec Noah Baumbach (Frances Ha) et Steven Spielberg (Lincoln). Un fait d’arme que beaucoup considéreront à l’époque comme de la figuration de luxe, mais qui in fine révélera surtout la méthode de travail de l’américain. D’un coté, un penchant assumé pour la versatilité ; de l’autre (et c’est paradoxal) une exigence érigée au rang de leitmotiv artistique. Puisque s’il fait ses gammes avec Spielberg et Baumbach en 2012, révélant in fine son goût pour l’excellence et surtout les grands cinéastes de son temps, il émane de Driver une envie d’éclectisme. Un peu comme si déjà conscient de son (indéniable) talent, l’acteur avait envie de brouiller les pistes et constamment être là ou ne l’attend pas. Résultat, le voilà qu’en 2013, il s’embarque dans l’imaginaire des frères Coen (Inside Llewyn Davis) en jouant le cow-boy chanteur ; en 2014, il reçoit la reconnaissance de ses pairs à la Mostra de Venise (Hungry Hearts) et en 2015, les étoiles s’alignent carrément pour lui car voilà qu’il endosse le rôle de l’antagoniste dans une petite saga prometteuse : Star Wars.

La recette Driver : entre fragilité contenue et uber-confiance…

Inexorablement, quand tu partages l’écran avec Harrison Ford et es l’attention de millions de fan à travers le monde, ta notoriété grandit. Mais ça n’a pas eu l’air de l’inquiéter ni même de remettre en cause sa vision du métier, puisque Adam Driver est paradoxalement resté le même après ça. Il a juste dû en finir avec le relatif anonymat qui était jusque là sa niche au sein de la profession. Puisque sa carrière post-Star Wars va repartir de plus belle. D’abord Jeff Nichols (Midnight Spécial), puis Jim Jarmusch (Paterson, The Dead Don’t Die), Martin Scorsese (Silence), Steven Soderbergh (Logan Lucky), Terry Gilliam (L’Homme qui Tua Don Quichotte), Spike Lee (BlackKklansman), et enfin Rian Johnson (Star Wars : Les Derniers Jedi). Bref, l’accumulation frise le respect, et ce d’autant plus quand l’on sait qu’il est encore trentenaire, autrement dit la décennie qui compte le plus dans une carrière hollywoodienne. Mais ce qui étonne le plus, c’est la manière qu’il a eu de mêler parfois au sein d’une même prestation, les deux pôles qui animent son jeu. S’il semble s’être énamouré pour des rôles aussi complexes (Kylo Ren en tête), c’est bien parce que ses prestations embrassent à la fois une sorte de fragilité la plupart du temps contenue et une confiance accrue. Dès lors, chacune de ses performances marque l’esprit puisque si la posture est souvent emplie de confiance (entre un policier du MidWest dans The Dead Don’t Die ou un chercheur mystérieux dans Midnight Spécial), le rendu est souvent plus fragile ; en atteste le désamorçage par l’humour du personnage dans le film de Jarmusch et le relatif éloignement dans le film de Nichols. C’est d’autant plus remarquable qu’aux premiers abords, ces rôles ne se ressemblent jamais, à contrario d’un Leonardo DiCaprio qui lui excelle depuis des années maintenant dans les rôles de meneurs à la confiance exacerbée. Chez Driver, non, l’envie d’occuper l’écran est souvent reléguée au second plan, comme une volonté d’être au service de l’histoire (en lieue et place de l’incarner) et ainsi afficher une retenue qui colle avec son humilité. Puisque si cet acteur fait aussi parler de lui, c’est parce que comme dit plus haut, il a su garder les pieds sur terre et éviter d’être grisé par le succès. En atteste son incursion dans le genre télévisuel avec la série Girls, qui non content de l’imposer comme un sex-symbol montreront qu’il est aussi et surtout très engagé dans des causes telles que le féminisme ou l’armée (qui fut un temps sa famille). Il ne sera donc pas étonnant de le voir aux manettes de AITAF, « Arts in the Army Force » une fondation permettant aux vétérans d’exprimer leurs ressentis au gré de pièces de théâtre et autres ressorts de jeu. La preuve s’il en est, qu’en plus d’être pétri d’engagements, Driver n’a pas oublié d’où il vient. Une qualité majeure qui alliée à ses autres points forts font et feront de lui un incontournable dans l’actorat américain. Et quitte à le prouver une fois de plus, vous ne serez pas surpris d’apprendre que ses prochains films seront réalisés par les non moins recommandables Ridley Scott et Léos Carax. Une certaine idée de cinéma en somme.

Rédacteur LeMagduCiné