Ces fins de film qui nous inspirent, nous galvanisent (1ʳᵉ partie)

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On en reste coi. Le souffle court, d’où percent parfois, malgré tout, quelques paroles mal assurées à l’attention de son entourage, ou de soi-même, quand les lumières se rallument. Le film vient de se terminer et, si nous connaissons désormais la destination du voyage, le sol se dérobe un peu malgré tout sous nos pieds : pris par une fin inspirante, galvanisante, jamais vue… et qu’importent les superlatifs, puisqu’elle est tout simplement inoubliable. L’extrême pointe d’une œuvre qui cristallise son essence et la grave dans nos souvenirs de cinéphile. La rédaction du MagduCiné vous propose sa sélection, forcément subjective, de ses apothéoses de cinéma préférées, en deux parties. Voici la première. Vous êtes prévenus : les spoilers sont inévitables.

Selon Christopher Nolan (Première, mars 2024), « le succès d’un film dépend avant tout de la manière dont le récit se déploie pour parvenir à sa conclusion (…). Tout l’équilibre d’un film repose sur sa dernière séquence et sur la manière dont celle-ci va définir et modifier l’expérience que vous avez vécue pendant les deux heures précédentes. »

Si son propos part d’un principe qui ne s’applique pas systématiquement, il met en lumière une des caractéristiques du cinéma en tant qu’art : tenir le spectateur en haleine, l’intriguer avant de dénouer l’intrigue, souvent en conclusion. Une fin réussie peut donner du relief à tout ce qui a précédé, et permettre d’apporter au spectateur un éclairage particulier, clef et déterminant à l’ensemble du récit. Il s’agit de la dernière impression, de l’ultime expérience, avant la torpeur, la jubilation, la peine ou l’état de choc du générique de fin. C’est un des objectifs du 7ᵉ art.

Scarface (1983) : anatomie d’une chute

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Avec sa vulgarité, son kitch, sa virilité, son machisme, son hyperviolence, son outrance, son langage cru, sa consommation de drogue, Scarface est de ces films qui agitent ce curieux paradoxe : repousser et fasciner en même temps. Le long métrage tient sa force de sa figure centrale, Tony Montana, devenue iconique, et se calque sur une mécanique d’ascension progressive et de déchéance brutale. Si la mégalomanie du héros lui permet d’abord de dominer tous les aspects de sa vie, elle finit par le mener à sa perte.

Ce qui frappe en premier lieu lors de la scène finale, c’est le stress généré par l’état d’alerte. La résidence de Tony Montana est assiégée par un nombre incalculable d’assaillants, tous venus pour l’assassiner. D’autres circonstances participent à générer chez lui un état de choc : sa sœur est morte sous ses yeux, il a tué son meilleur ami (ce qu’il semble regretter), il a perdu sa femme, son prestige, ses affaires dans le trafic de drogue… Mais son égo est si grand qu’il tente malgré tout de maîtriser la situation en roulant des mécaniques, ce qui donne à l’acteur l’occasion de nous offrir une performance de pure théâtralité, d’ultime transcendance.

Les tirs fusent et semblent déchirer l’espace. Les pièces deviennent comme des compartiments où chaque centimètre carré peut être mortel. Tony Montana, dans un élan de folie et de fureur, sort l’artillerie lourde et fait exploser la porte de son bureau.

Say hello to my little friends !

À un débit impressionnant, il parvient à atteindre plusieurs assassins potentiels avec sa mitrailleuse, tandis que les tirs de riposte s’enchainent. Mais l’adrénaline, associée à sa récente consommation de cocaïne, fait qu’il ne semble pas sentir les tirs qu’il reçoit en plein thorax. Ce dernier revendique alors sa supériorité, son indestructibilité, dans un moment à la fois inouï et surréaliste.

C’est par un ultime coup explosif derrière lui, effectué par celui qui semble être le chef de bande, qu’il chutera et périra dans la fontaine de sa pièce centrale. Cette dernière affichera alors ironiquement : « The world is yours ».

Authentiquement fou, éblouissant et iconique, Pacino signe ici la performance la plus hallucinante de toute sa carrière.

Oka Liptus

3h10 pour Yuma (1957) : correspondance pour la liberté

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Une légende et une rumeur racontent que lorsque vous prenez le 3h10 pour Yuma, vous pouvez voir les fantômes des hors-la-loi galoper dans le ciel. Ces premières paroles chantées nous placent déjà dans la légèreté d’un conte, celui qui guérit des remords. Quasiment anti-spectaculaire, le 3h10 pour Yuma de Delmer Daves développe un buddy-movie singulier pas comme les autres. Lorsqu’un hold-up tourne au meurtre, nous assistons à la rencontre entre un « berger » et un « agneau égaré ». Et l’un doit escorter l’autre pour que justice soit rendue. Leur complicité n’est pas flagrante, mais elle le deviendra dans une parenthèse de réflexion, parfaitement cohérente avec le fait qu’ils attendent tous les deux une correspondance.

Au-delà des westerns mécaniquement traditionnels et manichéens, l’image du hors-la-loi est transfigurée, de même que celle du fermier. Ben Wade, gentleman d’exception, n’est pas plus le prisonnier de son geôlier que ce dernier l’est de sa propre condition. C’est Dan Evans qui succombe à l’appât du gain, mais les deux hommes partagent cette même quête de la liberté, celle qui efface toutes les frontières géographiques, sociales et morales. Tous deux s’élèvent ainsi dans un duel intense, où les mots valent mieux qu’un revolver, avant que l’on s’avance crescendo vers une fusillade plus convenue, mais aux enjeux extrêmement chargés. 3h10 pour Yuma est ainsi fait de héros incarnés et vivants, qui trébuchent certes, mais qui peuvent également surmonter leurs propres démons.

Lorsque certains dénouements préfèrent la tangente du twist nihiliste, d’autres encapsulent un sentiment des plus vivifiants, cher au cinéma hollywoodien. Au terme d’une course effrénée contre la montre, le duo finit par sauter dans le train en marche et fuir leurs assaillants. Ben et Dan sont ainsi récompensés par leur effort conjoint, car ils se situent bel et bien sur la route de la liberté. Le premier n’aura pas de difficultés à s’évader de nouveau de la prison de Yuma pour atteindre cet horizon qu’il pourchasse, aidant ainsi le fermier à restaurer son autorité et sa dignité. Pour Dan, en plus d’avoir rempli sa mission, une miraculeuse pluie arrose les terres arides de l’Arizona, préservant ainsi son bétail, sous les yeux émerveillés et enchantés de sa femme. Cette eau divine symbolise autant leur renaissance qu’un baptême qui les délivrerait de leur agonie. Une conclusion des plus sincères et des plus mémorables !

Jérémy Chommanivong

La Couleur de l’argent : « I’m back »

Une sorte de non-fin, qui réussit malgré tout à parachever de la plus belle manière La Couleur de l’argent, de Martin Scorsese. Voilà le tour de force du maître italo-américain, avec Richard Price à l’écriture, quand il réalise en 1986 sa comédie dramatique dans le milieu du billard, avec Paul Newman et un jeune Tom Cruise en haut de l’affiche. Le film est une lointaine suite de L’Arnaqueur (1961), de Robert Rossen, mettant déjà en scène Eddie Felson, le personnage qu’interprète Newman dans les deux œuvres. Un prodige des tapis verts qui en est éjecté à l’issue du drame psychologique de Rossen, et réapparait donc les cheveux poivre et sel au milieu des années 80 face à Vincent Lauria, joué par Cruise.

Vieux loup contre jeune loup. Sauf qu’au début de La Couleur de l’argent, Felson demeure un retraité du jeu du neuf, gagnant sa vie en vendeur d’alcool et en manageant des joueurs. C’est ainsi qu’il rencontre Vincent, aussi doué pour le billard qu’indiscipliné et innocent de ses enjeux d’argent. Un diamant brut que Felson entend tailler sur la route des salles enfumées où, sous ses directives, Vincent arnaque ; c’est-à-dire perd peu pour ensuite gagner gros. Mais l’enseignement est à double sens, car Fast Eddie est gagné par la passion désintéressée de Vincent pour le jeu. Jusqu’à une dispute marquant une séparation entre les deux hommes : point de départ pour Felson de sa redécouverte du billard comme joueur, bien décidé à redevenir le meilleur en négligeant l’appât du gain.

Alors, comment conclure La Couleur de l’argent sans duel entre les deux protagonistes ? Et comment ne pas terminer la partition sur une note finale, soit positive soit négative, sur la victoire ou la défaite de Felson face à Vincent lors d’un duel autour d’une table à six trous ? Tout l’intérêt de la fin de Scorsese est justement de transiger avec le second impératif, la dernière image du film magnifiant Felson en train de casser le jeu, accompagnée d’un « I’m back » (« je suis de retour »). Sans que le vainqueur de la partie ne soit jamais connu car, au-delà de la défaite ou de la victoire, finalement secondaire, le personnage de Newman a accompli son destin : redevenir le joueur passionné qu’il était. Un véritable fruit amer pour le spectateur, d’abord décontenancé de ne pas connaître la résolution binaire de la partie, avant de savourer le véritable goût du film quand son générique défile.

Kyuzo

Le Limier : to be or not duperie

Joseph L. Mankiewicz a surpris son monde en 1972 avec Le Limier (Sleuth), production nantie de seulement 2 interprètes (mais pas des moindres : Laurence Ollivier & Michael Caine.) Où l’histoire de Milo, un acteur épris de la femme d’un écrivain richissime, qui décide de se rendre au domicile de ce dernier pour lui demander d’accorder le divorce. Avec une arrogance so British, l’auteur à succès soumet alors une condition : celle de voir Milo s’improviser voleur des bijoux de son épouse pour qu’ils puissent tous les deux « gagner » : les bijoux pour l’un, l’argent de l’assurance pour l’autre.

Commence alors un jeu cruel imaginé par le romancier qui se sachant humilié, va tout faire pour partager sa peine avec Milo. D’un faux cambriolage réalisé dans un habit de clown à une mise à mort qu’on apprendra simulée par la suite, Andrew multiplie les incartades jusqu’à l’arrivée d’un détective ayant eu vent de la mort de Milo, lequel va tomber sur une série d’indices ne laissant guère de doutes quant à l’identité du coupable. Mais alors qu’on pense l’écrivain sur le point d’être arrêté, Milo ressurgit des habits du policier et lui révèle que la police est en route pour élucider le meurtre de… la maitresse d’Andrew. Taquin et surtout maitre du jeu, il se décide pourtant à révéler que quatre indices très compromettants du méfait se cachent dans la résidence. Et alors qu’il les trouve la sueur au front, il se décide à tuer Milo, pensant qu’à l’instar de tout le reste, il ne s’agit que d’une ruse. Et pourtant, tel l’ultime atout dans sa manche, Milo pousse son dernier souffle alors que la lumière rouge & bleue envahit les carreaux de la demeure.

Au-delà de voir et surtout ressentir un profond sentiment d’excitation face à la paire Laurence Olivier/Michael Caine, Le Limier marque surtout par cette fin autant imprévisible que diablement cohérente. Puisqu’au détour de cette histoire qui parle de lutte des classes, on se surprend à voir Mankiewicz utiliser (à bon escient d’ailleurs) la crédulité de ses personnages & les faux-semblants. Toutes nos certitudes sont ainsi ébranlées et lorsque Milo dégaine sa carte de l’arrivée imminente de la police, on en vient à penser à un énième mensonge de sa part pour ébranler l’arrogance d’Andrew. La frontière entre le récit et l’écran se faisant de plus en plus poreuse, on se plait alors à avoir été dupé de la même façon qu’Andrew, distillant une connivence avec les personnages telle que l’on en est soi-même devenu un. Et ça, c’est fort !

Antoine Delassus